Quand je dis que les hommes ne sont pas toujours conscients que ce qu’ils font est de la violence, je ne veux absolument pas dire qu’ils ne sont pas responsables de ce qu’ils font. Ils ont fait le choix, à plusieurs reprises au cours de leur vie, de ne pas croire ce qu’on leur disait, de ne pas être troublés s’ils blessaient et/ou faisaient pleurer une femme et plein d’autres erreurs de raisonnements, des choix d’aveuglement qu’ils ont décidés par eux-mêmes et ils portent la responsabilité de leur absence de remise en question ainsi que de leur refus de voir leurs problèmes. Ils ont choisi l’aveuglement. Ils sont responsables. Je préférais éviter qu’il y ait un malentendu par rapport à mes propos.
Si une personne arrive à 30, 40, 50 ans sans s’être posé de questions sur son comportement, sans être capable de questionner qui elle est et comment elle traite les autres, sans vouloir cesser d’avoir des comportements violents, c’est difficile d’imaginer que cette personne est lucide, bienveillante et qu’elle changera réellement un jour. Ce n’est pas impossible, mais ça prend du temps et rester là à attendre en continuant à souffrir à cause de ces personnes n’est pas une bonne idée. La prise de conscience n’arrivera peut-être jamais.
Une autre chose qui m’a marquée dans le documentaire et dont je pense que les personnes ne sont pas toujours conscientes, c’est la honte que portent les victimes de violence. De l’extérieur, c’est facile de dire que la honte revient à l’agresseur et c’est vrai. Mais quand ça nous arrive, il y a une forme de projection qui fait qu’on vit la honte de l’agresseur à sa place. Alors tous les petits commentaires déplacés nous indiquant comment on aurait pu l’éviter sont extrêmement pénible à entendre. Les excuses trouvées à l’agresseur aussi. Pensez-vous que nous n’avons pas assez honte et qu’il faut encore plus nous culpabiliser? Pensez-vous que je n’ai pas honte d’avoir ne serait-ce qu’une seconde avoir été attirée par des hommes qui choisissent de me traiter comme de la merde? J’ai eu honte pendant des mois après la dernière fois. Des mois. Et ça m’arrive encore. Qu’est-ce que vous pensez que ça me fait quand on me dit que peut-être l’autre gars passait sans arrêt devant chez moi pour essayer de me croiser pour revivre le beau moment qu’on avait vécu? Quel beau moment? Celui où j’ai réalisé qu’il voulait me voir alors qu’il était amoureux d’une autre? Pourquoi ne pas me parler si c’était ça, au lieu de me terroriser pendant des mois? Comment est-ce qu’on peut imaginer que c’est un beau moment quand on fait autant preuve de malhonnêteté? Il m’a catapultée en pleine horreur ce beau moment-là… C’est déjà assez épuisant de vivre ces situations et leurs conséquences. Nous n’avons pas besoin d’être encore plus culpabilisées ni qu’on trouve des excuses aux personnes qui nous ont fait du mal. Nous avons besoin qu’on prenne soin de nous. Nous avons besoin que ces personnes cessent de se trouver des excuses et règlent leurs problèmes pour arrêter de nuire aux autres inutilement.
Parfois on me dit aussi que je devrais être contente de m’être aperçue si vite que des hommes risquaient d’être violents. C’est sûr que je suis contente même s’il aurait été mieux que je n’aie pas à vivre ça du tout. Il y a quand même un deuil à vivre même si c’est mieux que notre lien avec cette personne soit coupé. Il y a un deuil à faire même s’il l’autre nous dépeint probablement comme une conne et une folle et une méchante à qui veut bien l’entendre. C’est une déception énorme, quand on espérait vivre quelque chose de beau, de s’apercevoir que l’autre a toute cette merde dans le coeur et dans la tête et nous la fait subir au lieu de nous offrir quelque chose de nourrissant. Il y a une immense tristesse pour moi à vivre ces choses. Pas seulement à cause de ce qui m’a été fait, mais aussi parce que d’autres personnes y sont et y seront exposées. Je trouve ça terrible honnêtement.
Ça m’a un peu tuée, ce qui est arrivé ces deux dernières années. Ça va me prendre du temps me reconstruire et non, je ne suis pas certaine de m’exposer à nouveau à ces situations. Je n’en peux plus. Pour le moment, j’ai l’impression que c’est la mort qui m’attend la prochaine fois. Mais je sais qu’un jour j’irai mieux. Un jour je ne penserai pas à des souvenirs horribles à chaque fois que je sors de chez moi ou que je regarde par la fenêtre. Un jour je n’aurai plus peur de sortir de chez moi. Un jour je serai ailleurs. Heureuse et en paix, avec mes amours et peut-être plus d’amour encore.
