Je me souviens qu’à la fin de ma vingtaine, j’étais allée faire le tour du Lac Brome à vélo avec un groupe de cyclistes et une amie. Au retour, un homme horrible nous ramenait à Montréal. Il a passé tout le temps du voyage à dire des choses répugnantes sur les femmes. J’étais assise à l’arrière de la voiture. J’avais envie d’ouvrir la portière et de sauter hors de la voiture, même si ça impliquait d’être défigurée sur l’asphalte. J’ai un visage expressif. J’imagine que le dégoût que je ressentais face à ses propos se lisait sur mon visage. Il me regardait dans le rétroviseur et a fini par me demander pourquoi je faisais cette tête-là. Je lui ai dit que les choses qu’il disait me semblaient fausses et irrespectueuse des femmes. J’ai oublié sa réaction. Je me souviens surtout de la réaction de mon amie quand nous sommes arrivées. Réaction de honte et de colère pendant laquelle elle m’a dit que ce que j’avais fait ne se faisait pas et qu’il aurait pu nous laisser là sur le bord de la route. Si c’était à refaire, j’exigerais qu’il arrête la voiture et sorte mon vélo et je rentrerais à vélo à Montréal. Même si ça impliquait de me mettre ne danger ou d’arriver à la maison à moitié morte, plutôt ça que d’être là à subir l’écoute d’horreurs au sujet des femmes et d’ensuite devoir subir la honte d’une autre femme parce que j’avais défendu les femmes.
J’ai oublié de dire d’où était venue la phrase horrible qu’aucun homme ne voudrait jamais de moi du vieux monsieur. Pendant mes vacances, j’ai commencé à me couper la frange et, même si ce n’était pas tout à fait droit, puisque je n’allais nulle part et que je savais qu’il était triste ce jour-là, je me suis dit que j’allais aller prendre un verre chez lui et que je finirais plus tard. C’est pour ça, selon lui, qu’aucun homme ne m’aimera jamais : parce que je ne suis pas toujours en robe, parce que je ne me mets pas du rouge aux joues et parce que parfois mes cheveux ne sont pas absolument droits. Pauvres personnes qui se font couper les cheveux avec plaisir par leurs enfants. J’imagine qu’on doit les fouetter ou les condamner à mort dans l’intimité. C’est à ces détails que tient apparemment la désirabilité et la volonté de « garder » une femme, selon lui.
La façon dont les gens nous traitent et parlent de nous concerne toujours seulement ces personnes et les idées selon lesquelles elles vivent. Cela ne dit jamais rien de notre valeur personnelle et ça ne la change aucunement. Peu importe ce que ces personnes se racontent et tentent de nous faire croire. C’est une chose que j’ai apprise il y a longtemps, même s’il n’est pas toujours facile de m’en souvenir. C’est le même homme qui m’avait dit que si on me voyait dans la rue avec un tablier de peinture, je perdrais mes chances avec tous les hommes parce qu’apparemment, ne pas arborer l’image parfaite qu’on tente d’imposer aux femmes nous rend inaimables et indésirables. Je lui avais demandé quel genre d’homme considérerait que je suis inaimable et laide en me voyant faire quelque chose qui me passionne. Un crétin superficiel incapable d’aimer, selon moi, mais non, lui croyait qu’en fait, je devais me soumettre aux désirs qu’il imagine que les hommes hétérosexuels ont tous d’une sorte de femme qui me semble sortie des années 50 et à laquelle personnellement je ne veux jamais ressembler. En 2023, on me demande encore régulièrement de ne pas exister et de me soumettre aux désirs et aux regards des hommes. Même quand ils ont l’air de prime abord bienveillants, comme le gars qui m’a blessée l’été dernier qui n’arrêtait pas de me dire que c’était moi qui décidais et qu’il voulait me connaître, alors qu’au fond, il avait déjà décidé pour moi et m’avait déjà placée, sans me connaître, dans la case du bouche-trou de son ex absente pour un temps. Comme s’il aurait été possible pour moi d’être vivante et connue par lui dans un cadre comme ça, comme si c’était possible que je désire me retrouver dans un espace étroit, étouffant, contrôlé et meurtrier comme ça. Meurtrier, parce que j’aurais toujours été effacée derrière l’image idéalisée de la personne qu’il attendait. Je n’aurais pas existé.
C’est souvent leur honte et leur souffrance mal réglée qui fait que les autres nous traitent mal. C’est particulièrement souvent le cas chez les personnes qui consomment beaucoup et qui le font justement par honte d’elles-mêmes et par refus d’affronter ces souffrances qu’elles portent. J’ai toujours refusé ça dans ma vie, même si on m’a fait extrêmement honte et qu’on a essayé de me convaincre à de multiples reprises que je ne méritais pas d’être aimée, voire de vivre. J’ai grandi sous le regard d’un homme qui alternait le fait de me dire que j’étais laide et décevante comme femme ou se sortir les yeux de la tête et la langue de la bouche comme un animal en rut qui aurait voulu baiser sa propre fille. Les hommes que je rencontre me traitent encore souvent aujourd’hui comme ça, oui. Je trouve que c’est désespérant et ça me donne envie de vomir. Jamais je ne traiterais un être humain comme ça. Et non, dire que le monsieur est chauve et en surpoids n’est pas faire ça. Je n’ai jamais ri de lui à cause de son apparence. Je souligne ces traits pour montrer qu’il ne correspond pas non plus physiquement à l’idéal que l’on tente d’imposer aux hommes… mais qu’il se sent quand même autorisé à dénigrer mon apparence sans réfléchir une seule seconde à la sienne. Le fait d’être en surpoids ou de perdre ses cheveux ne sont pas des traits que je considère répugnants chez un homme et il m’est déjà arrivé d’en fréquenter qui avait ces caractéristiques sans les rabaisser et en les trouvant beaux en fait. Je n’ai pas une conception de la beauté très clichée. Je ne me laisse jamais imposer où voir la beauté. C’est une qualité précieuse et rare que j’ai.
J’aimerais bien comprendre pourquoi mon choix de ne pas me vêtir comme un cliché de femme et de ne pas trop exposer inutilement mon corps est un tel problème pour les autres. Je sais que c’est en partie parce que beaucoup d’hommes s’imaginent que mon corps doit être à leur disposition, mais ce n’est pas le cas. Ça aussi, c’est une conception misogyne qui survit sournoisement. Comme si être belle c’était être à moitié nue et vêtue selon la définition de la beauté des autres. Je m’habille comme je m’habille en partie parce que j’ai envie d’avoir la paix, mais ça ne fonctionne même pas. Il y a quand même des hommes qui s’imaginent que c’est bien correct de me faire des commentaires sexuels même dissimulée sous un hoodie. Qu’est-ce qui leur fait penser que c’est ok de me faire perdre mon temps et de me déranger comme ça alors que tout ce qu’ils veulent c’est me mettre leur pénis dedans et que surtout je ferme ma gueule et n’existe pas intérieurement? C’est d’une violence infinie. Pourquoi les hommes me dérangent et me font perdre mon temps alors qu’ils n’ont rien de pertinent à m’offrir? Qu’ils ont juste l’intention de me prendre quelque chose? C’est quand même aberrant. En quoi ce serait anormal de ma part de vouloir un homme qui ne veut pas juste m’utiliser et qui tiennent compte des traumatismes que j’ai vécus. Il me semble que ce qui est plutôt anormal, c’est que les hommes que je rencontre se comportent en fait comme des cruchons vides dans lesquels ce que je dis serait juste recraché sans que rien n’ait été compris et sans qu’ils aient l’impression qu’ils ont à prendre en considération ce que je leur dis et ce que j’ai vécu. Ils ne sont apparemment pas concernés et je dois juste me soumettre et me plier sans vivre quoi que ce soit à ce qu’ils veulent. En souriant, bien sûr, parce que les femmes doivent sourire.
Je continue bientôt. Je dois aller faire quelques trucs. Je voulais quand même dire que j’ai oublié de préciser que, malgré ce que les gens semblent s’imaginer à mon sujet, je fais partie du 4% de femmes qui se trouvent belles et s’aiment, oui… peu importe ce que les autres pensent de mon apparence. Ça a été une route très difficile, pour moi, m’aimer et me trouver belle, difficulté n’ayant rien à voir avec mon corps, mais seulement avec les violences qu’on m’a fait subir.
À plus!
