J’ai commencé à visionner la série L’empereur. Cela me crée une drôle d’impression. Je ressens à la fois du dégoût et une forme d’intense satisfaction causée par le fait qu’il s’agit enfin, pour une rare fois, d’un agresseur crédible et non de l’épouvantail que souvent les gens imaginent quand on leur dit qu’on a été agressé, celui qu’ils pensent qu’ils auraient facilement démasqué. La série montre très bien à quel point un agresseur peu d’abord être incroyablement charmant et attachant. Il peut même se présenter comme ayant de bonnes valeurs et en faisant des gestes « philanthropiques ». Il peut avoir l’air d’être l’allié des femmes. Ils sont légions, ces agresseurs. Pas mal plus nombreux que ceux ayant un écriteau dans le front qui dirait « Sauvez-vous! ». J’espère que beaucoup de personnes regarderont la série. Principalement des hommes. Je pense que ça donne un portrait assez juste de ce que vivent plusieurs femmes qui sont agressées. C’est une horreur trop familière…
Dans la série, le même agresseur, il me semble en tout cas que c’était lui, mentionne la statistique voulant qu’au Québec, seulement 4% des femmes se trouvent belles. Les 96% qui restent se battent tous les jours pour s’aimer ne serait-ce qu’un peu. Je n’ai pas réussi à confirmer la statistique, qui ne reste que cela, une statistique, donc un chiffre basé seulement sur les femmes à qui on a demandé… Cela m’apparaît néanmoins comme un chiffre réaliste selon l’expérience de la vie des femmes que j’ai et ce que j’entends les femmes dire. Mes amies, mes élèves, le femmes dont j’écoute subtilement les conversations dans les files d’attentes…
Pendant ce temps, un gros monsieur chauve se sentant parfaitement à l’aise avec son image se mêle de critiquer mon apparence et de me dire que parce que je ne me maquille pas toujours, parce que j’ai l’audace (alors que ça me semble un geste bien ordinaire) de sortir dans la rue pour faire pisser le chien sans enlever mon tablier de peinture et… parce que je ne corresponds pas à sa définition de ce qu’est « être une belle femme », on dirait que je ne m’aime pas. J’ai une vision complètement opposée à la sienne. Pour moi, une femme qui pense qu’elle doit absolument correspondre aux stéréotypes (la plupart du temps faux selon mon expérience) de ce que les hommes veulent, se maquiller, surtout ne pas avoir l’air fatiguée et… pour pouvoir sortir dans la rue, pour pouvoir être aimée, pouvoir vivre tout court, ça, pour moi, c’est ne pas s’aimer. (Je ne suis pas en train de dire que toutes les personnes qui se maquillent ne s’aiment pas. Je suis en train de dire que c’est sain de s’aimer et de se trouver belle sans maquillage. Après si vous aimez vous maquiller, tant mieux. L’important c’est qu’à vos yeux votre valeur personnelle et votre droit à la vie et à l’occupation de l’espace changent pas, maquillée ou pas.). Je me dis parfois que s’il fallait que les femmes se permettent de commenter sans arrêt le corps des hommes comme ils nous font, beaucoup d’entre eux rentreraient chez eux en pleurant et craindraient de sortir à nouveau. Je me dis parfois que je devrais le faire, mais je n’ai honnêtement pas de temps à perdre ni assez de cruauté ou d’imbécilité pour le faire. Aucune femme n’a à correspondre à vos critères de beauté pour avoir le droit d’exister et d’être aimée. Nous en avons marre d’être commentées, même positivement. Contrairement à ce que le monsieur pense, du printemps à l’automne, je me fais dire tous les jours par des inconnus dans la rue que je suis belle et/ou désirable. Et ça m’énerve.
Malgré mon chialage, je vais mieux. Ce matin j’ai raconté ce qui m’est arrivé à un homme qui habite sur ma rue depuis que je suis ici. Il était en tabarnak. Vraiment. Il m’a dit: « Tu sais, des imbéciles et des aveugles, il y en a en estie. Ne les écoute pas et envoie les chier de ma part. ». Je suis rentrée en me disant que l’homme qui s’était moqué de mon apparence est en fait le seul homme dans ma vie quotidienne qui se permet de me rabaisser et essaie de me faire retourner à un lavage de cerveau social visant à ce que les femmes se détestent et de sentent insatisfaisantes pour qu’on puisse mieux les contrôler et leur vendre des produits miracles pour les rendre désirables… désirables d’une seule façon bien ennuyante bien entendu… ça m’a pris des années pour échapper à ça grâce à la thérapie et me sentir belle et me donner le droit d’être qui je veux comme je veux. Quiconque essaiera de me faire sentir laide et indésirable ou de me réduire à mon corps en m’objectifiant sortira immédiatement de ma vie sans possibilité de retour. Personne ne sera jamais l’empereur de mon cul et ne me dira à quoi je dois ressembler.
Je me suis dit aussi que j’aurais dû lui demander combien d’hommes hétérosexuels avaient eu une érection en le voyant… ça lui aurait probablement fermé le clapet. Mais je préfère rester loin. Je n’ai pas la mesquinerie des hommes aigris, saouls et cokés… et, encore une fois, je n’ai pas de temps à perdre.
A plus!
