Les choses qui nous changent

« Les gens qui me reprochent la trop grande violence de mes textes le font sur le même ton que ceux qui me demandent pourquoi je ne me suis pas sauvée plus jeune. Lorsque j’étais encore enfant, par exemple. Beaucoup de ces personnes aiment me dire qu’elles ne seraient pas restées victimes longtemps. Elles se seraient enfuies. Elles auraient fugué. Mais elles se projettent dans une réalité complètement étrangère à la leur, tout en conservant au fond de leur tête des idéaux sur la liberté et les droits fondamentaux. Elles oublient de mettre de côté leur savoir sur la dignité et le courage. Ça semble être un exercice difficile que d’imaginer une réalité où l’on vous a appris la peur avant le langage. » – Armer la rage – Marie-Pier Lafontaine  

            J’ai réalisé, récemment, que j’avais passé pas mal toute ma vie à espérer que les choses se passent bien en relation. Ça a occupé une bonne partie de mon énergie. C’est en un sens très décourageant quand on y pense. J’ai passé aussi beaucoup d’années en thérapie à penser que c’était nécessairement moi, le problème, puisque je rencontrais le même type de personnes sans arrêt. Je ne pense plus être le problème, en tout cas, pas dans la majorité des cas, même si j’en ai eu et que j’en ai encore, des problèmes. J’en ai réglé beaucoup. Je travaille sur les autres. J’ai des défauts aussi, oui, je l’ai déjà dit, mais je ne suis généralement pas la personne qui fait n’importe quoi à l’autre dans une relation. Surtout jamais en premier, en tout cas. Je me demande souvent d’où ça vient, même si je le sais, la tendance que tellement de personnes ont à projeter leurs propres défauts sur les autres, à penser du mal des autres à partir de préjugés qui n’ont souvent absolument aucun fondement. C’est très difficile à comprendre pour moi. J’ai plutôt tendance à faire l’inverse, c’est-à-dire à penser trop de bien des autres. Et après je tombe des nues quand je finis par réaliser que l’autre s’est construit une image de moi qui n’a pas grand-chose à voir avec qui je suis réellement et qu’en plus la personne trouve normal d’avoir fait ça. J’ai de la misère à comprendre la vision en tunnel et la fragilité narcissique des autres. 

            Ce matin, je lisais Armer la rage de Marie-Pier Lafontaine. Même si les violences que nous avons vécues sont parfois les mêmes et parfois différentes, j’ai reconnu beaucoup de choses. Il y a à la fois quelque chose de rassurant et d’alarmant dans ce constat. Bien sûr, je sais toujours que je ne suis pas seule à vivre ces choses, même si les personnes qui me les font essaient souvent de me faire croire que je suis seule à les vivre, mais quand je traverse un livre comme celui-là, il y a la joie d’une autre voix qui s’élève et en même temps l’horreur de savoir les violences si communes. C’est un drôle de sentiment. Je pense quand même que c’est important pour moi de continuer à lire ces livres. Je ne suivrai jamais le conseil qu’on me rabâche si souvent de « ne plus penser à ça »… comme si c’était possible. Comme elle le dit autrement dans le livre, il faudrait qu’on me coupe une partie du cerveau pour que je puisse ne plus être affectée et ne plus penser à ce que j’ai vécu. Le passage cité au début de mon texte m’a marquée aussi. J’étais triste, bien que pas surprise, de constater qu’elle subit aussi ces fanfaronnades absurdes de la part des personnes qui aiment imaginer que les violences vécues ont quelque chose à voir avec notre faiblesse, parfois même avec notre idiotie. Il existe, souvent sous forme de mensongère bienveillance, la tendance à faire cela. La personne prétend vouloir nous aider à voir ce que nous aurions pu faire pour éviter de vivre les violences comme des tartes, mais ce qu’il y a derrière ces faussement bons et généreux conseils, c’est une volonté parfois inconsciente, parfois hypocrite, de se dissocier de nous, de ne surtout pas imaginer une seconde qu’il serait possible qu’on les range dans le même panier que nous, dans le panier des personnes qui ont vécu des violences sans l’avoir mérité et sans avoir su l’éviter du haut de notre enfance qu’eux ont apparemment eu extrêmement savante… Je me demande où toute cette intelligente s’est enfuie. C’est extrêmement violent à recevoir et ça n’est jamais réellement bienveillant, contrairement à ce que vous prétendez. Je préférerais que vous demandiez à des experts de la question ou à nous directement… aux personnes qui les ont vécues, ces violences. Nous savons généralement très bien pourquoi les choses sont arrivées comme elles sont arrivées et pourquoi nous avons réagi comme nous avons réagi. Je cherche encore une façon polie de dire aux gens qui me disent des conneries que bien que je sache qu’elles ont droit à leur opinion et qu’elles peuvent penser par elles-mêmes, la façon dont elles choisissent de penser et de s’exprimer est crissement violente et ignorante et que je préférerais qu’elles s’informent réellement avant de dire n’importe quoi.  

            Le fait qu’on dise souvent à Lafontaine que ses textes sont en quelque sorte insupportables m’a aussi marquée. C’est quelque chose qu’on me dit souvent, comme si le cerveau allait vous éclater d’oser regarder en face ce que d’autres vivent. En plus de devoir gérer les effets secondaires des violences réellement vécues, nous devons nous taper vos jérémiades sur comment c’est trop pour vous et comment ce serait apparemment incroyablement pénible pour vous d’apprendre ce que nous avons vécu. Comme si nous devions nous taire pour votre confort. Nous ne devrions pas avoir à subir la violence de votre volonté d’aveuglement. Je me demande toujours s’il y en aurait autant d’histoires de traumatismes à la suite de l’écoute d’un récit d’un trauma fait par une autre personne ayant réellement vécu ce trauma si on arrêtait de se voiler la face et de faire semblant que la violence n’existe pas ou qu’elle est réservée à seulement quelques personnes. En fait j’en entends souvent parler, de ces genres de traumatismes d’exposition au trauma d’une autre personne, mais, personnellement je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui en ait vraiment vécu un. Se sentir interpelé, troublé, avoir des flashbacks de son trauma en entendant le récit de l’autre, d’accord… mais ça ne constitue pas en soi un traumatisme et les autres n’ont pas à arrêter de parler de ce qu’ils ont vécu sous prétexte que nous avons vécu des choses difficiles. Tout cela me rend très dubitative. J’accepterai cependant d’aller investiguer plus loin bientôt. Je l’ai déjà fait un peu, mais pour le moment, je conserve tous mes doutes face à cette attitude. 

            Le livre de Lafontaine est excellent. À lire. 

            Ces jours-ci, je regarde des choses liées à la violence des hommes ou la violence vécue par les hommes. J’ai bien aimé que le personnage de Réginald souffre de stress post-traumatique dans 5e rang justement parce que ce n’est pas normalement le type de séries que je regarde. J’aurais préféré que ce soit dû à autre chose que la guerre puisqu’on utilise encore trop souvent les exemples extrêmes alors qu’on parle très peu des cas comme moi, le stress post-traumatique complexe chronique qui découle d’une multitude d’événements, parfois petits et parfois grands et dont la chronicisation provient de l’infinie répétition de ces événements à travers le temps. Lafontaine en parle un peu, elle et ça m’a fait sourire. Il reste que pendant mon visionnement, je ne pouvais m’empêcher d’être mal à l’aise devant la certitude que j’ai qu’un jour quelqu’un trouvera intelligent de me dire que Réginald (un personnage de fiction dont on oubliera alors pratiquement l’irréalité à ce moment) souffre plus que moi parce qu’il a vu des femmes se faire violer par ses amis à la guerre. Je n’ai aucun doute que quelqu’un fera ça un jour, insinuant alors que le fait de vivre un viol est moins pire qu’en voir un… ou alors on me dira cela parce qu’on aura décidé que je n’en ai pas vraiment vécu un, encore moins deux, puisque je ne suis pas complètement détruite. Vous vous dites peut-être que j’exagère avec cette histoire de Réginald qui souffrirait plus que moi. Wait for it. Je ne broncherai même pas quand ça arrivera. Je suis quand même un peu heureuse qu’on parle de stress post-traumatique dans une série grand public. Cela développera probablement quand même la curiosité de certaines personnes, j’imagine… Je l’espère.

J’ai aussi commencé à regarder À cœur battant, la série sur la violence masculine et les féminicides sur TOU.TV. Je ne suis pas heureuse de tous les personnages, mais je trouve quand même que c’est bien. Je pense que c’est important de montrer de l’intérieur à quel point des personnes, pas seulement des hommes, mais souvent quand même parce qu’ils consultent moins, s’aveuglent sur comment ce qu’ils font est de la violence et qu’ils répètent sans arrêt les mêmes comportements nuisibles tant qu’on ne les aide pas à prendre un autre chemin… et ça, ça devrait être un professionnel qui le fait, pas les femmes. J’entends souvent des hommes me dire que je suis faible parce que je suis en thérapie. C’est l’inverse qui est vrai et ce n’est pas que moi qui le dis… demandez à n’importe quel expert en santé mentale. Ce ne sont jamais les personnes qui auraient vraiment besoin d’être en thérapie qui le sont. Ça prend beaucoup de force pour être en thérapie puisqu’il faut être en mesure de se remettre en question et d’accepter que oui, il est possible qu’on ait un problème sans l’avoir vu jusqu’alors et oui, il est possible d’être violent sans le savoir.

Cette semaine un homme qui m’a harcelée quand j’étais à l’université m’a écrit pour s’excuser suite à une publication que j’avais faite… ça a pris plus de dix ans… imaginez. Ma belle-sœur m’a demandé ce que ça me faisait. J’ai dit que si c’était vrai j’étais heureuse pour ses proches et les autres femmes qu’il ne harcèlerait pas… parce que c’est clair que je n’ai pas été la seule. C’est long les prises de conscience. C’est long changer. C’est long avoir le courage de dire qu’on avait ce problème là et qu’on a fait du mal aux autres.

              Je ne sais pas si je retenterai les relations amoureuses un jour. Je n’ai plus les mêmes aspirations à être en couple que j’avais ni les mêmes idées naïves qu’on m’avait transmises. Chose certaine, il faudrait un homme qui s’informe et ne se contente pas de rester dans ses préjugés. C’est quand même assez rare, je trouve, les hommes qui s’informent sur la santé mentale, à moins d’être psy. En tout cas, j’en rencontre rarement, je dois dire. Ne vous fâchez pas si vous le faites. Je parle de ceux que je rencontre dans la vie de tous les jours et non de vous… Je ne serai jamais plus capable de supporter (et je n’aurais jamais dû avoir à supporter) un homme ignorant de ce que je vis et de ce dont je souffre et qui me violente pour que je sois autrement et minimise ma condition. C’est tellement épouvantablement fréquent. Des femmes aussi le font bien sûr… J’aimerais que plus de personnes, mais surtout plus d’hommes, lisent des textes féministes. Ils pensent souvent qu’on écrit contre eux alors qu’on écrit aussi pour eux, pour que tout le monde sorte des engrenages infernaux dans lesquels nous nous trouvons… 

            Je vais de mieux en mieux. J’ai encore des flashbacks de la dernière histoire. C’est normal, je pense, puisque c’était quand même assez épouvantable à se faire faire… et l’absurde silence après… Enfin… Ne me dites pas que je devrais déjà savoir qu’il y a des trous du cul et que ça ne devrait alors rien me faire d’en croiser un de plus. Je ne pense pas que ma réaction est anormale. Tout le monde sait qu’il y a des meurtres, des viols, des fraudes et…  Tout le monde est quand même surpris quand ça lui arrive ou que ça arrive à une personne qu’on connaît. Le fait de savoir qu’une chose existe n’en détruit pas l’impact… Jamais. Ce qu’on a vécu avant nous le fait vivre de différentes façons aussi… Vous n’avez pas à décider comment je dois réagir à ce qu’on me fait ni combien de temps ça me prend pour m’en remettre.

            Je continue l’autre histoire demain. Je suis finalement en mode rentrée et ça m’aidera à planifier la nouvelle session que de repenser à ce qui s’est bien passé dans l’autre avant. J’ai mis des zèbres en ligne aussi :  

À plus!

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