L’absurdité totale (fin)

            C’est sûr qu’il y a des personnes pour qui le fait de rompre le lien avec le centre peut sembler intense. Pas pour moi. Je suis une personne intègre qui travaille extrêmement fort. Je suis aussi une personne sensible, honnête et généreuse. Il n’est pas possible pour moi de m’épanouir dans un lieu où on endosse un comportement inacceptable d’une personne et où on me demande d’être polie avec une personne qui m’a menacée et qui a nui à mon travail. Je n’ai même pas été capable de supporter d’aller à cet endroit pour finir les deux derniers cours des formations que j’avais pourtant payées et oui, je sais que ça a déçu certaines personnes qui auraient aimé que j’y sois, mais déjà être confrontée à la présence et au sourire hypocrite de l’artiste à mon avant-dernier cours m’avais été assez pénible. J’avais envie de pleurer. À la fois de rage, de dégoût, de tristesse, d’injustice et… Les hypocrites et les gens irrespectueux, j’ai vraiment beaucoup de difficulté avec ça. J’ai été respectueuse avec l’artiste dès le départ. Mon respect a peu à peu diminué au fil de ses comportements nuisibles et irrespectueux dans le cadre du projet. Ce qu’il me restait de respect s’est effondré le jour où j’ai reçu son courriel de menaces (que j’ai encore d’ailleurs et que je conserverai pour toujours alors bonne chance pour prétendre que ce n’est pas arrivé…). À partir du moment où elle a fait ça, j’ai perdu toute obligation d’agir de façon respectueuse avec cette personne. La seule chose à laquelle elle a droit, c’est un respect de base envers un être vivant auquel je ne ferai pas de mal intentionnellement inutilement. 

            On se fait souvent garocher par la tête le concept de bienveillance en ce moment. C’est la mode. La compréhension réelle de ce concept, qui nous provient encore une fois de la tradition bouddhiste, est cependant très rare. Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous ressors sans arrêt les bouddhistes comme ça… C’est parce que je me suis longtemps identifiée comme bouddhiste et que j’ai lu énormément de textes, à la fois anciens et modernes, de leur tradition et fréquenté des temples bouddhistes aussi. Je ne m’identifie plus autant comme bouddhiste aujourd’hui, mais j’ai quand même gardé leurs enseignements en moi et je continue d’aligner ma vie sur ceux-ci autant que je le peux, ne serait-ce que parce qu’ils sont pleins de sagesse et constituent de très bonnes règles de vie et de comportement au quotidien. La bienveillance n’est absolument pas le fait d’être gentil tout le temps et d’adopter une fausse politesse et une voix doucereuse en toutes circonstances peu importe ce qu’il arrive. Je vais citer à nouveau mon exemple préféré, soit celui du Dalaï-Lama qui, alors qu’on le questionnait sur la non-violence dans des circonstances extrêmes, et je résume son propos ici, qu’être bienveillant n’est pas être un imbécile heureux et se laisser faire n’importe quoi en souriant au point de se mettre en danger. Si quelqu’un entre dans une pièce armé d’une mitraillette, vous êtes selon lui autorisé à lui tirer dans les jambes, le désarmer et ensuite vous occuper de sa souffrance de façon bienveillante. 

            Bien sûr, il n’est pas question de danger de vie ou de mort ni de tirer sur des gens dans la situation qui nous occupe et la violence n’est pas quelque chose que je me permets à moins de circonstances vraiment extrêmes. Il y a quand même, dans cette situation, une forme de mise en danger de ma personne. J’ai passé (et je vais continuer à passer) beaucoup d’années à me construire un nom, à construire ma carrière, à construire le legs que je veux laisser aux jeunes par mon enseignement et mes pratiques artistiques. J’ai développé des relations de confiance avec des artistes, des auteurs, des professeurs, des maisons d’édition et… J’ai un certain pouvoir de diffusion et d’influence dont je n’abuse jamais, ne serait-ce qu’à cause de ma position de professeure. À moi seule, il y a une maison d’édition au Québec à qui j’ai fait vendre autour de 5000 livres depuis le début de ma carrière. Il y en a deux autres dont le nombre tourne autour de 2500-3000 copies de livres de leurs auteurs. Quand une personne se retrouve sur mon plan de cours, ça veut dire automatiquement qu’elle vendra entre 100 et 140 copies de son œuvre. Ces données, dans un marché aussi petit que celui du Québec, sont considérables. Et je suis juste une personne. Il y a plein d’autres membres du corps professoral qui exercent le même rôle de visibilité, de diffusion et de contribution à la rémunération des artistes au Québec. Nous ne sommes pas des pions à utiliser, mais des personnes qui méritent le respect. Nous sommes utiles, travaillants et généralement bienveillant. Comme j’enseigne principalement la littérature contemporaine, j’ai littéralement le pouvoir (au sens d’aide et non au sens de délire de pouvoir dont j’abuserais) de faire une différence concrète dans la vie d’une personne dont je crois en son travail. La plupart des artistes, toutes disciplines confondues, sont conscients de comment nous pouvons les aider. 

            J’ai une réputation d’intégrité et de capacité et quantité de travail incroyables. Les maisons d’édition, les autrices et les auteurs savent qu’une fois leur travail mis entre mes mains, il sera bien traité et je trouverai des choses très intelligentes et utiles à en dire et que je serai reconnaissante par rapport à ce que ce travail a apporté à ma pratique d’enseignement. Je placerai ou mentionnerai leur travail à chaque fois que c’est possible. Je suis aussi une personne incroyablement fidèle et quand je respecte le travail d’une personne, je continue à le mettre en valeur et à le diffuser à chaque fois que je le peux, tout en me laissant la liberté de passer une œuvre si jamais j’avais envie de faire autre chose cette session-là ou de rendre visible le travail d’une personne dont la carrière n’est pas aussi avancée. Il y a une autrice au Québec, que je ne nommerai pas, mais à qui à moi seule j’ai fait vendre au moins 1000 copies de ses différents livres depuis le début de ma carrière. Je ne le fais pas pour obtenir quoi que ce soit d’elle. Je le fais parce que je respecte son travail, que nous avons des valeurs majoritairement semblables, que je considère son travail utile socialement et qu’il cadre dans le travail que je veux accomplir auprès des élèves dans mon travail d’enseignement. 

            Tout cela est très important pour moi et je n’attends pas de reconnaissance pour ce que j’apporte aux autres. J’attends du respect, tout simplement, ce qui est la moindre des choses et dans la majorité des cas, je l’obtiens sans avoir à le demander. Alors voir quelqu’un à qui je donne l’opportunité d’avoir une plateforme et une visibilité incroyables pour son travail se permettre de se plaindre et de me chier dessus, se permettre de mettre mon travail et l’opportunité que j’ai d’aider des personnes dont le travail en vaut la peine en danger, ça ne passe pas une criss de seconde et non, je ne resterai pas gentille et douce avec cette personne. Voir un centre penser qu’ils me font une faveur de me placer dans une position où je me ramasse à faire pratiquement tout le travail pour réaliser un de leurs projets dont ils attribuent quand même « l’orchestration » à quelqu’un qui se plaint d’avoir à simplement penser un trajet, dessiner une carte et en plier une centaine de copies (je ne commente pas le reste du travail puisque j’en ai été exclue) c’est risible. Vous ne me faites pas une faveur. Ça fait maintenant 15 ans que j’enseigne et je n’ai jamais eu de problème à remplir mon cours de contenu infiniment plus profond et riche pour les élèves que ce qui m’a été offert par vous dans le cadre de ce projet. La liste des personnes dont j’admire le travail et que je veux encourager en leur donnant de la visibilité et en les invitant est infiniment longue et je sais que ces personnes que je choisis moi-même seront respectueuses. Elles ne me traiteront pas comme un outil de merde dans leur grandiose projet. Et non, un simple texte reconnaissant ma contribution sur un site internet n’efface pas ce que j’ai eu à subir durant le projet. Sauver les apparences dans un texte, c’est facile. Ça ne répare rien des dégâts dans ma vie. 

Je n’accorderai jamais le droit à personne de venir foutre la merde et agir de façon insupportable et dangereuse dans le cadre de mon travail en restant douce et souriante après. Je n’accorderai jamais non plus la permission à qui que ce soit de manquer de respect et de ne pas respecter les droits de mes élèves. Vous êtes profondément imbécile si vous croyez le contraire. Même si vous étiez Marina Abramović, je ne supporterais pas une crise de nerfs de votre part dans mon cours ou dans ma vie. J’ai une haine et une impatience profondes pour les personnes centrées sur elles-mêmes, et ce, même si elles sont connues. Ma patience pour une artiste que personne ne connaît et qui se comporte de façon exécrable est donc extrêmement limitée, peu importe l’importance démesurée qu’elle s’accorde à elle-même à ce stade-ci de sa carrière. La voir s’imaginer qu’elle me fait une faveur et qu’elle aurait en quelque sorte carte blanche et le droit de me tenir dans l’obscurité par rapport à ce qu’elle fera dans mon cours et avec le travail de mes élèves est risible et insultant. 

            Aussi, le fait que je me sois donné tardivement le droit de commencer et de montrer ma pratique artistique ne signifie absolument pas que je ne connais rien en art ni que je ne suis pas extrêmement bien entourée dans le milieu artistique. C’est mon choix de ne pas faire étalage de mes contacts et connaissances. Soyez cependant assuré que si on me questionne sur comment la collaboration et le travail avec quelqu’un s’est déroulé, je dis toujours la vérité sans pour autant faire de démarches pour nuire à quelqu’un volontairement. C’est une question d’intégrité et parfois, être intègre ça signifie dire que les choses se dont mal passées et qu’une personne a agi de façon non-professionnelle et a manqué de respect. Le milieu artistique au Québec est très petit. Ça vaut la peine de bien agir. Je suis aussi capable de grande colère. Je suis féministe depuis assez longtemps pour savoir que la colère ne fait pas de moi une hystérique et les gens qui me connaissent et connaissent mon travail savent très clairement à quel point je suis engagée et généreuse et que si je suis rendue au point d’être en colère, c’est qu’on m’a fait quelque chose de profondément irrespectueux, voire violent. Pas parce que je serais une grosse vilaine instable.

            Mon humilité est réelle. Malgré tous mes accomplissements, toutes mes compétences et mes connaissances, je suis quelqu’un qui choisis toujours l’ouverture et le respect d’abord. Je respecte l’expertise des autres et je considère que tout le monde a quelque chose à m’apprendre. J’ai 41 ans. Si je savais déjà tout, le reste de ma vie serait profondément ennuyant et pénible, considérant que la chose que je préfère dans la vie, c’est apprendre. C’est littéralement comme une drogue pour moi. J’aime aussi transmettre et visiblement, comme c’est clairement le cas avec ce blogue, je n’ai pas besoin qu’on me traite comme une princesse ni qu’on me paie pour le faire à chaque fois. Ça reste moi qui choisis ce que je donne et à qui je le donne. 

J’ai des connaissances ou des amis critiques d’art, professeurs d’arts et artistes professionnels à qui j’aurais glissé un mot positif sur l’artiste si ça s’était bien passé. Ça n’arrivera pas. J’aurais pu moi-même écrire un article pour le journal du collège (qui n’est certes pas un grand magazine artistique, mais qui offre quand même une visibilité) ou encore pour le magazine féministe auquel je collabore pour l’artiste si ça s’était bien passé et si elle avait respecté la ligne écoféministe que nous nous étions donnée au début du projet. Ça n’arrivera pas. Je ne chercherai pas à nuire à cette personne volontairement, mais je ne l’aiderai clairement pas non plus. Assumer que je suis une petite conne incapable a été son choix et le choix du centre. C’était une erreur de leur part et elle leur appartient. Il reste que mépriser les personnes qui nous donnent les moyens de réaliser quelque chose et qui peuvent nous aider n’est absolument jamais une bonne idée. Je leur ai donné infiniment plus qu’ils m’ont donné et ce projet m’a coûté clairement plus qu’à eux sur plusieurs plans de ma vie et de ma carrière, alors non, je ne leur dois pas le respect ni la bienveillance. 

            Contrairement à la plupart des gens, je n’ai jamais peur de faire cavalier seul et de fermer des portes pour toujours si on me manque de respect. J’ai assez de respect pour moi-même et de confiance en mes forces pour savoir que j’arriverai à réaliser mes projets sans l’aide de personnes qui cautionnent des actes irrespectueux pour sauver la face et qui agissent de façon hypocrite. J’ai appris beaucoup de leçons durant cette histoire et je veillerai à les appliquer à la lettre durant le reste de ma vie. Je protégerai davantage mon nom et je choisirai mieux les personnes auxquelles je m’associe. Je suivrai aussi mon intuition et je cesserai plus rapidement une collaboration si la façon d’agir d’une personne ne me plaît pas. J’aurais eu plus qu’assez de contenu pour remplacer ce projet par autre chose à la dernière minute dans mon cours en un claquement de doigts.  

(Si vous avez imaginé une jeune femme dans la vingtaine quand vous lisiez ce texte et avez pensé que j’étais dure, je préfère vous préciser qu’elle est en fait dans la quarantaine. Oui, oui.)

            Maintenant je ferme ce dossier. 

            J’ai clairement des choses plus constructives à faire et des collaborations plus riches à explorer. 

            Je vais mieux et je suis de bonne humeur malgré le ton de ce billet. 

            Je vous souhaite une très belle journée. 

            Je ne fête pas Noël donc je passerai probablement ces prochains jours à travailler sur mes trucs, à lire, jouer avec les chiens et me reposer, mais je vous souhaite de très joyeuses fêtes! Prenez soin de vous.

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