Il est très facile de me faire passer pour la vilaine. Il est très facile aussi d’interpréter mon point de vue comme condescendant, méchant ou je ne sais quoi d’autre de négatif. Ça restera cependant toujours faux, même si oui, je peux être très dure parfois. Me faire passer pour la méchante permet surtout aux gens de se cacher confortablement dans leurs vieilles croyances au sujet des hommes, des femmes et des relations.
Mon point de vue a plus à voir avec la petite fille que j’ai été et qui priait, avant de s’endormir terrorisée seule dans son lit en pleurant, pour que sa mère quitte son père. Je ne suis pas croyante, mais ma grand-mère, qui a vécu avec nous pendant quelques années pendant mon enfance, l’était et elle nous avait appris à prier avant de dormir avant que nous soyons en âge de décider par nous-mêmes de ce en quoi nous croyions, mon frère et moi. Et c’est pour ça que je priais, pour le divorce, pour la fuite, pour l’échappée face à la terreur. Mon point de vue a aussi à voir avec l’adolescente que j’ai été et qui, à 15 ans, a littéralement demandé à sa mère de divorcer et qui a compris après, terrorisée encore une fois, que sa mère le dirait à son père et qu’elle serait, encore une fois, présentée comme la méchante de l’histoire. Ma mère m’avait répondu que c’était impossible parce qu’elle ne survivrait pas au fait de perdre sa maison. Ma mère a choisi de conserver son confort personnel plutôt que d’assurer la sécurité de ses enfants. Je me suis alors promis, à 15 ans, que je ne vivrais jamais la vie de ma mère, ni celle des femmes avant elle. J’étais précoce, oui… Et mes choix et mes valeurs se sont par la suite éloignés très vite de ceux de la mentalité de mes parents. Pas seulement par rébellion adolescente, non, mais parce que je savais que leur vie ne serait jamais faite pour moi et je le crois encore aujourd’hui.
Ça m’a pris beaucoup d’années avant de comprendre que, derrière cette histoire de son amour pour sa maison, ma mère devait aussi être terrorisée, parce que ma mère était une de ces femmes qui vivait avec un homme aux colères explosives dans une maison qui cachait en son sein de nombreuses armes à feu, mon père étant un chasseur. Elle ne m’en a jamais parlé, mais je sais qu’elle a dit certaines choses à mon frère qu’il ne m’a pas répétées… mais je ne serais aucunement surprise que mon père l’ait menacé de représailles si elle le quittait. Pas nécessairement de la tuer, mais peut-être de se tuer lui-même, mes parents étant très forts sur l’idée de nous répéter à l’infini qu’ils se suicideraient pour toutes sortes de raisons si nous faisions telle ou telle chose, par exemple, dans mon cas, me tatouer. Ma mère n’a pas mené sa menace à exécution pour le moment, mais je ne sais pas si elle sait que maintenant je suis tatouée.
J’étais plus dure à l’adolescence avec ma mère que je ne le suis aujourd’hui. Ça m’a pris plusieurs années aussi avant de reconnaître et d’accepter de laisser monter en moi, afin de l’évacuer, la terreur que j’avais ressentie enfant face à la présence de ces armes à feu dans la maison, armes à feu combinées avec le caractère instable et explosif de mon père. Je ne pense pas qu’il nous aurait fait du mal de cette façon même s’il nous en a fait d’autres façons. Il reste que la vision de tous les cadavres d’animaux ensanglantés auxquels j’ai été exposée (Je n’ai pas oublié la suite de mon billet sur Dahmer, non, et il y a un lien ici, oui…) entremêlée des crises de rage de mon père aurait eu de quoi laisser une marque indélébile sur l’esprit de n’importe quel enfant je pense. Le stress post-traumatique complexe chronique dont je souffre aujourd’hui provient en bonne partie de cet homme, oui. Et je comprends un peu mieux ma mère d’avoir hésité, voire d’avoir été terrorisée, face à l’idée de le quitter, oui.
Mon point de vue provient aussi du fait d’avoir vu ma mère mourir intérieurement sous mes yeux pendant les 19 ans que j’ai passés dans la maison de mes parents. Ça ne prend pas de coups de poing ni de menaces d’armes à feu pour tuer quelqu’un intérieurement. Il suffit généralement de lui enfoncer, avec constance et répétition, subtilement ou pas, des idées dénigrantes par rapport à elle dans sa tête. J’ai vu ma mère se faire dire que ses projets étaient fous, inutiles, superficiels et… J’ai vu ma mère élever deux enfants, seule, en travaillant 40 heures par semaine, parce que mon père voyageait sans arrêt, en bonne partie avec son argent à elle, oui. J’ai vu ma mère se faire faire des remarques dénigrantes sur son physique et son habillement en privé, alors qu’elle était présentée par mon père comme la plus belle femme du monde en public. J’ai vu ma mère disparaître et s’éteindre peu à peu, jusqu’à ce qu’elle devienne cette femme qui avait accepté l’idée qu’elle était incapable de faire quoi que ce soit et commencer à répéter à l’infini comme une vérité indubitable que, naïve fille de la campagne, elle n’aurait jamais pu faire quoi que ce soit de sa vie si elle n’avait jamais rencontré mon père.
Ma mère avait appris un métier avant de rencontrer mon père. Quand elle a eu son premier emploi dans son domaine, elle s’est fait faire des avances sexuelles par son patron et, les droits des femmes et les lois du travail n’étant pas ce qu’ils sont aujourd’hui, elle a été forcée de quitter pour ne plus subir cela, n’ayant pas la possibilité, à l’époque, de faire une plainte qu’elle aurait eu une quelconque chance de gagner. Les chances de gagner ce genre de plaintes étant encore très minces aujourd’hui, imaginez ce qu’elles étaient dans les années 70. Finalement ma mère a commencé à travailler dans un autre endroit et n’a pas cherché mieux puisque sa confiance en elle était complètement détruite, à la fois par les idées sur les femmes de l’époque, par son patron dégueulassement libidineux et par mon père. Elle n’a jamais pratiqué son réel métier de sa vie.
Donc mon point de vue vient en partie de là et non du fait que je serais une sale bitch qui méprise les autres femmes et leurs choix, mais je n’ai pas fini d’exposer l’origine de mon point de vue et de ma position sur les relations. D’ailleurs, ce ne sont pas la condescendance ni le mépris qui m’ont habitée lors de la conversation qui a commencé la réflexion présente dans cette série de billets. C’est la surprise. La franche et totale surprise. Un étonnement grandiose, même, je dirais. Je continue bientôt… J’ai finalement en moi encore quelques billets sur ce sujet.
(La photo montre un brouillon de case d’une autre histoire sur laquelle je travaille…)
