Les erreurs de perception (5)

            Quand cette femme me parlait, une autre question qui m’est venue en tête était : Est-ce qu’on en est vraiment encore là? Est-ce que des femmes qui me semblent très intelligentes et indépendantes acceptent encore de subir cette vie archaïque? La réponse est malheureusement oui. De mon point de vue de femme qui sait qu’il est maintenant démontré qu’il n’existe pas une telle chose que l’essence masculine ou féminine (Un genre (tel que défini par la culture) qui précéderait la venue au monde et serait inscrit en nous.), de femme qui sait que nos cerveaux ne sont en fait pas différents du tout et que quand ils le sont, c’est sous l’effet de facteurs liés à l’éducation et à la culture (Dans les sociétés où les femmes sont par exemple traitées traditionnellement comme si elles étaient profondément inférieures, le cerveau se développe d’une façon différente, même si à la base, il avait la même structure…), de femme qui sait que nous ne sommes biologiquement jamais complètement homme ou femme et que nous ne saurons jamais, à moins de passer des examens médicaux auxquels en fait très peu d’entre nous aurons accès durant leur vie, de quel côté notre organisme penche réellement peu importe notre apparence extérieure (Ce pourquoi il me semble absurde de dire que les femmes trans ne sont pas des femmes. Vous n’avez absolument pas les connaissances ni les compétences pour faire une telle affirmation et vous ne faites que rajouter aux souffrances et violences qu’elles endurent déjà.), de femme qui sait que bien d’autres choses qu’on nous enseigne sur les hommes et les femmes sont fausses… De mon point de vue, c’est impossible que je puisse croire et accepter, que je puisse me soumettre au type de vie et de relation que je vois encore trop souvent dans le monde. 

            Je n’ai pas de mépris pour cette femme. C’est une femme que je juge intelligente et dont je respecte le travail, travail sur la langue que personnellement je n’aurais jamais la patience ni l’intérêt de faire. J’ai juste ressenti un profond malaise à l’entendre me dire ces choses comme si elles allaient de soi. Je ne sais pas comment le dire, je ne sais pas quelle est la formule préférable. Nous n’avons pas le même féminisme? Nous ne sommes pas rendues à la même place dans notre féminisme? Je vous laisse choisir. Je n’ai pas eu envie de lui répondre dans les détails puisque souvent ça ne sert à rien. Il faut que chaque personne soit prête, à son rythme, à accepter que certaines choses qu’elle croit au sujet du monde sont en fait fausses et qu’elle accepte qu’aujourd’hui il est absolument nécessaire travailler à construire les relations et le monde autrement. Notre perception de nous-mêmes aussi, doit changer. Vous me direz que je peux aussi juste accepter que les gens pensent ce qu’ils pensent… Une partie de moi le fait, mais une autre partie constate à quel point les fausses croyances sur les hommes et les femmes causent d’innombrables souffrances, à la fois chez les hommes et les femmes et ça ne peut pas faire autrement que m’enrager qu’on persiste dans de fausses croyances si nuisibles. 

            Au-delà de ce qu’elle m’a dit de sa vie, cette femme m’encourageait dans mon choix de choisir de laisser tomber les relations amoureuses. Elle a cependant précisé qu’il fallait quand même avoir du sexe. Là aussi, je ne me suis pas sentie vue puisque cette femme sait que j’ai été violentée et agressée plusieurs fois dans ma vie. C’est sûr que oui, la sexualité partagée me manque énormément et très souvent et, plus jeune, je n’aurais jamais pu imaginer m’en passer. Il reste qu’il y a quelque chose de profondément absurde à croire que ça pourrait me faire un quelconque bien d’avoir seulement des relations sexuelles avec des hommes qui se fichent de moi. Plus jeune, j’ai cru qu’il me serait possible de trouver un amant respectueux. Le fait est qu’absolument tous les hommes avec qui j’ai eu des relations que je voulais sans lendemain (et il y en a quand même eu beaucoup) se sont sentis obligés de me mentir, et ce, même si je leur disais que je n’attendais rien d’autre d’eux et que j’étais sincère dans ce que je disais. Finalement j’en ressortais en n’ayant pas du tout été respectée et je me sentais encore plus comme de la merde. C’est parce que ces hommes-là aussi, croyaient à de fausses idées que la société leur a entrées dans le crâne, soit que toutes les femmes veulent absolument avoir des relations avec eux, qu’il est impossible qu’une femme ait des désirs sexuels par elle-même, détachés de sentiments, soit aussi l’idée (qui est en fait une agression puisqu’elle constitue un contournement du consentement) que c’est correct de mentir à une femme pour coucher avec elle. C’est désespérant.      

            J’ai eu longtemps le rêve qu’un jour je rencontrerais un homme qui me traiterait comme son égale. Un homme qui respecterait et serait même fier de mon intelligence. Qui ne chercherait pas à me rabaisser. Qui voudrait réellement me connaître plutôt que de m’enfoncer et m’emprisonner dans un rôle caricatural de bonne femme, de femme fatale ou de nymphette n’ayant rien à voir avec qui je suis. Un homme qui ne me parlerait pas comme à une enfant. Un homme respectueux. Un homme lucide à propos de lui-même et de la vie. Un homme intelligent. Un homme qui a sa vie et ses passions et qui ne les abandonne jamais complètement et qui surtout n’essaie pas de me faire sentir coupable de cet abandon qu’il aurait choisi. Un homme qui ne me regarde pas de haut. Un homme qui prend la peine de me parler, de m’écouter, de poser des questions. Un homme qui ne se raconte pas secrètement des choses mesquines à mon sujet dans sa petite tête méprisante. Un homme qui ne me voit pas comme sale ou brisée parce que j’ai été violentée et violée. Un homme qui ne voit pas que mon corps et qui ne me réduit pas à celui-ci. Un homme qui me laisse mon espace et m’encourage à réaliser mes rêves. Un homme qui me laisse vivre et qui ne voit pas mon existence comme une menace pour lui. Un homme avec qui partager et échanger. Un homme curieux, plein de projets, heureux d’être en vie… et je lui rendrais toutes ces choses bien sûr… et nous aurions aussi nos problèmes, bien sûr… Ça n’a pas l’air d’arriver finalement. Peut-être que j’ai rêvé d’une licorne. J’ai juste eu Lancelot le bouc modifié à la place, c’est-à-dire un mensonge. Mon rêve me semblait pourtant beau, désirable et plausible.  

(Je ne sais pas qui a fait cette photo ni si elle est libre de droits malheureusement… mais elle est si belle.)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s