Vient un moment où l’on se lève plus décidés que jamais. C’est en touchant le fond que l’on peut rebondir. Je suis une femme sans compromis. Digne d’être dans une chambre amoureuse ou dans le salon illuminé d’une belle-famille. Je ne serai plus la fille de la troisième roue, la fille d’à côté des belles choses, la fille du placard, ne serai plus à personne ni à tout le monde. Gabrielle Boulianne-Tremblay – La fille d’elle-même
Donc, durant la même conversation, il y avait une autre femme. Nous parlions de féminisme, de la condition des femmes, de couple, du livre Vieille fille de Marie Kock et… Cette autre femme me disait depuis le début qu’elle était vraiment très féministe. Puis elle s’est mise à dire des choses sur les hommes qui m’ont pas mal dérangée. Je n’aime pas plus les discours réducteurs sur les hommes que sur les femmes. Elle a dit que les hommes engraissent toujours quand ils sont en couple et que son chum ne faisait que sortir les poubelles et changer les pneus d’hiver et qu’elle savait qu’elle était chanceuse parce que c’est déjà bien plus que la majorité de ce que les chums font en général.
Je me suis raidie. J’ai réussi à ce que la mâchoire me tombe seulement intérieurement. J’ai réussi à ne pas lui dire « Et tu te prétends féministe? ». J’ai réussi aussi à ne pas la prendre de haut et à ne pas lui dire que si j’avais un chum qui fait juste ça dans notre couple, je l’aurais crissé là il y a bien longtemps déjà… J’ai réussi à me calmer et à aller chercher la vraie féministe en moi. La vraie féministe qui sait bien que, comme je l’ai dit dans un billet il y a quelques temps, nous naissons tous dans un monde où des idées préexistent à notre arrivée et où nous devons en quelque sorte passer notre vie à nous défaire du lavage de cerveau que la société nous fait à l’aide des idées sur le genre et… Je sais bien, par mon expérience personnelle, qu’on ne se défait pas facilement du réflexe de se rabaisser soi-même comme femme si facilement. C’est tellement ancré dans les normes et les mentalités. Devenir et être féministe ne signifie pas que du jour au lendemain on pourra magiquement voir toutes les oppressions dont les femmes sont victimes. Les choses arrivent graduellement à la conscience. Ça prend du temps pour les accepter, les déconstruire, puis faire autrement. Si c’était facile et automatique, le monde aurait déjà changé depuis bien longtemps. Ça n’a absolument rien de facile de s’admettre à soi-même qu’on a pu contribuer à se manquer de respect, mais aussi à des problèmes plus larges comme les inégalités entre les hommes et les femmes. Je suis arrivée au point où je l’exige, mon respect et mon égalité. Je ne les demande plus. Et si on ne me les donne pas, je m’en vais. Il n’y a pas de place pour les compromis. Je ne vais pas me contenter d’être juste « un peu moins égale ». Je ne vais pas accepter d’être traitée comme une enfant ni comme une bonne. Ça commence à faire un moment que c’est terminé, l’époque Victorienne, quand même… il faudrait se mettre à jour un peu… Au moins un peu, s’il vous plaît, mais je préférerais totalement.
(Il y a plusieurs choses à traiter dans cette conversation et dans sa suite, donc ça risque de prendre quelques billets et j’ai envie de dire tout en même temps donc c’est possible que ce soit un peu désordonné…)
En rentrant chez moi à vélo après, j’ai eu un genre de questionnement/épiphanie. Je me suis demandé si c’était en fait ça qu’on me disait, quand on me disait que mes attentes étaient trop élevées. Est-ce que c’est tout ce que j’aurais dû attendre, au fond? Un homme qui se contente d’être un genre de figurant dans le salon pendant que je m’occupe de tout le reste tout en me considérant chanceuse de ne pas être seule, de faire partie du club de celles qui ont gagné un homme, les chanceuses… La réponse est bien sûr non, mais je pense que pour beaucoup de personnes, consciemment ou pas, la réponse est oui. Je pense que beaucoup d’hommes pensent qu’on devrait se considérer chanceuses qu’ils acceptent d’être dans notre vie et je pense que plusieurs femmes se considèrent chanceuse de simplement avoir l’attention d’un homme, peu importe le caractère profondément malsain de la relation. C’est infiniment triste et déséquilibré.
Je ne pense pas que je devrais m’excuser ni penser que j’ai commis une erreur en assumant toute ma vie que les hommes sont des êtres ayant généralement un cerveau d’une intelligence décente et qui sont capables de beaucoup. Je ne vais pas regretter d’avoir cru en eux, même s’ils m’ont souvent montré que j’avais tort de le faire. Je ne pense pas que tous les hommes sont des imbéciles qui engraissent quand ils sont en couple parce qu’ils étaient apparemment incapables de faire à manger eux-mêmes avant. Si j’étais un homme, je me sentirais méprisé par ce genre de discours. Je ne vais pas regretter d’avoir cru que les hommes étaient assez intelligents et forts pour comprendre que ce que l’on nomme aujourd’hui la masculinité toxique, et que certains voient malheureusement encore comme la définition normale de l’homme, voire leur identité naturelle, leur nuit en fait et les empêche de vivre en limitant et détruisant horriblement leurs chances d’avoir des relations saines et nourrissantes avec les femmes, en réduisant et limitant horriblement leurs possibilités de vivre et d’être eux-mêmes.
Je ne m’excuserai jamais d’avoir demandé plus que ce que cette femme me décrivait. Je mourrais dans une relation aux côtés d’un homme qui agirait comme ce qu’elle décrivait et s’il y a une chose que je ne veux pas, c’est mourir, ni subjectivement, ni physiquement, les deux étant la même chose, quant à moi. Si les hommes différents de ce qu’elle me décrivait n’existent réellement pas, alors je suis incroyablement triste pour tous les hommes contemporains.
Je continue plus tard.
Bonne journée!
