Il y a un stade que j’aime particulièrement dans le développement des chiots. C’est quand leur perception spatiale n’est pas encore totalement développée. J’habite un petit appartement sur deux étages. L’escalier qui monte à l’étage est dans la cuisine. Les chiens ne sont pas autorisés en haut sauf à l’heure du sommeil. La petite ne connaît pas encore les règles. À 11 semaines, elle est beaucoup trop jeune pour cela. Avec chacun de mes chiots, il y a eu un moment où, marchant avec moi dans la cuisine, ils pensent que nous allons au même endroit. Je commence alors à monter l’escalier parce que j’ai quelque chose à faire à l’étage et le chiot continue sa route joyeusement de son côté, pensant que nous marchons côte à côte et que nous allons au même endroit. Les chiots Boston terrier ont des oreilles très molles vraiment attendrissantes qui ne se redresseront que plus tard et qui, pendant un temps, tremblent pratiquement à chacune de leur respiration, ce qui est très mignon.
Lors de cette séparation dans l’escalier, je peux toujours voir le moment où le chiot s’arrête, réalisant que nos chemins sont devenus distincts et où je suis en fait en train de le quitter (même très temporairement) alors qu’il ne soupçonnait pas l’imminence ni même la possibilité de cette séparation. Leurs petites pattes s’arrêtent, leur cou s’étire vers moi qui pars de plus en plus vers le haut, leurs oreilles tremblent de l’arrêt brusque, leur derrière s’écrase au sol, et les pleurs arrivent. C’est le désespoir d’être quitté alors qu’on ne s’y attendait pas et qu’on pensait en fait emprunter le même chemin que la personne qu’on aime.
Ça me brise le cœur et m’attendrit à chaque fois et je sais que ça ne durera pas, alors je savoure quand même un peu les traces qui prouvent le développement de leur compréhension du monde, de leur conscience spatiale et de leur lien à moi. Les chiots n’ont pas encore la persistance d’objet, quand ils arrivent chez vous à 8-10 semaines, tout comme les bébés humains ne l’ont pas à la naissance. Les chiots viennent aussi de traverser des séparations atroces. On leur a enlevé leur mère, leurs frères et sœurs, leur environnement et… Tout à coup ils se retrouvent avec un ou des inconnus qui doivent leur sembler bien effrayants. Je pense qu’il y a un peu de peur de revivre cela dans ce moment où, alors qu’ils commencent à s’attacher à moi et penser que je serai là pour eux, je disparais sauvagement en haut des marches et il y a alors un désespoir terrible qui les envahit. Heureusement, ça finira par passer.
Il y a quelque chose de commun entre ces désespoirs répétés du chiot et notre expérience des relations interpersonnelles. Je pense qu’il y a cette même surprise et ce même désespoir, dans chaque conflit et séparation, de constater qu’alors qu’on pensait être ensemble, emprunter le même chemin que l’autre, amicalement ou amoureusement, on se retrouve seul et le cœur en morceaux, assis sur notre derrière, surpris, de constater qu’en fait l’autre avait des intentions différentes des nôtres et qu’il a choisi, depuis le départ ou subitement d’emprunter une autre route. Je sais que c’est toujours un peu comme ça que je me sens quand je me rends compte que l’autre ne voit pas les choses comme moi et n’a pas les mêmes intentions que moi. Je sais que c’est comme cela que je me suis sentie avec l’homme de cette année et celui de l’an dernier. Je pense que nous sommes toujours à la fois ou alternativement, le chiot et la personne qui part ailleurs. La différence étant simplement que je sais que je reviendrai pour elle, la toute petite, même si elle ne le sait pas… parce que j’ai la persistance d’objet et que je sais qu’elle est dans mon cœur et y restera. Elle le sait de plus en plus aussi, comme la photo le montre puisque nous nous rapprochons tous les trois un peu plus chaque jour.
Parfois les gens pensent que j’écris ces billets pour me venger ou pour dire du mal des autres, des personnes qui m’ont blessée. Ce n’est pas le cas. J’écris pour mieux comprendre les relations et pour moi, cheminer et aller mieux. Même si oui, comme tout être humain, il y a des moments où je suis moins en mesure d’être objective et où je peux dire des choses qui sont blessantes. Je n’ai jamais prétendu être parfaite ni toujours en mesure de bien réagir. Je n’ai pas la sagesse ni la maîtrise parfaite. Mais même si oui, je m’emporte parfois, je suis toujours aussi un peu consciente de ce qui se joue pour l’autre dans les moments où il ou elle me blesse et souvent je le suis même si l’autre ne l’est pas. Ça prend généralement plus de temps à l’autre pour comprendre ce qu’il vit que ça m’en prend. C’est parce que j’ai passé plus de temps à réfléchir à ces choses à cause de la thérapie, ainsi que par mes lectures, et non parce que je serais une « meilleure personne ».
Dans cette dernière histoire, la vérité m’est apparue très rapidement comparé à ce qui aurai été le cas dans le passé. Dans le passé, j’aurais cru que cette histoire était possible malgré les faits. Je précise que mon analyse reste partielle puisque je ne connais pas tous les faits. La vérité c’est que cet homme était encore comme le chiot surpris et désespéré le cul par terre et le cœur brisé du départ de la personne qu’il voyait encore alors comme sa copine… Le simple fait qu’il l’appelait encore comme cela tout en prétendant vouloir amener sa vie ailleurs montrait clairement que ce n’était pas du tout réglé pour lui et que quiconque se retrouverait sur sa route alors était à fort risque d’être blessé, pas juste moi en particulier. Il se retrouverait alors à blesser injustement quelqu’un ne lui ayant rien fait, pour une personne qui avait pris un autre chemin et l’avait temporairement ou définitivement laissé derrière, seul. Quelqu’un qui était peut-être sincère en parlant de séparation temporaire ou encore quelqu’un de lâche qui a préféré dire que c’était temporaire alors qu’elle savait intérieurement partir pour de bon. On ne sait pas. C’est à lui de déconstruire la situation et l’amour qu’il avait placé, sur la base des informations qu’il avait à ce moment, justement ou injustement en cette personne partie. C’est pas mal ça, la maturité amoureuse… comprendre qu’on doit faire le ménage en soit après que l’autre ait pris une autre route afin de ne pas blesser injustement des personnes qui ne nous ont rien fait. C’est pour ça aussi que ce n’est à peu près jamais une bonne idée de commencer à fréquenter une personne qui vient de rompre. Le risque d’être utilisé, consciemment et volontairement ou pas par l’autre n’ayant pas réglé ses affaires y est très très très élevé. Il a possiblement ressenti de la colère envers moi qu’il a pu déguiser de toutes sortes de façons alors que la cause réelle de cette colère était que je lui enlevais la façon rapide qu’il avait trouvé d’avoir moins mal… Il a pu avoir aussi l’impression d’être sincère dans son intérêt envers moi et peut-être qu’il l’était partiellement. La vérité, c’est cependant que je n’existe pas vraiment pour lui simplement parce qu’il n’a pas de place en lui pour que ce soit possible que j’existe et que je sois vraiment vue. Et ça c’est blessant et injuste pour moi.
Ce que j’ai fait n’avait pas pour but d’être méchante, mais de me protéger. J’ai refusé d’être utilisée. J’ai refusé d’être effacée par le souvenir idéalisé d’une personne blessante pour lui. J’ai quand même été traitée injustement dans cette histoire. Et profondément blessée pour rien. Le fait est aussi que bien des gens ne prennent pas le temps de réfléchir aux relations et sautent de relation malsaine en relation malsaine par peur d’être seul ou par peur d’affronter la souffrance qu’ils vivent. Je refuse personnellement d’exposer les autres à ce type de souffrance injuste et inutile. Je refuse de les utiliser. Je refuse de participer à l’aveuglement collectif qui essaie de nous faire croire qu’il faut absolument et rapidement toujours être en couple sinon notre vie ne vaut pas la peine d’être vécue. La vérité c’est aussi que je n’ai pas à attendre patiemment et silencieusement que l’autre réalise son erreur, nous rendant alors comme deux chiots pleurant côte à côte ne voyant pas la réelle présence de l’autre. Je sais aussi que bien des hommes choisissent de se cacher dans la honte qu’on les ait vus vulnérables et préfèrent se raconter qu’il nous ont trop blessée pour pouvoir réparer quoi que ce soit plutôt que de tenter de le faire… ce qui fait que je n’attends souvent plus grand-chose d’eux… heureusement ou malheureusement, je ne sais pas.
Je continue bientôt. J’ai encore quelques obligations à remplir dans les prochains jours, mais cette fois elles sont d’ordre plus concret comme préparer l’appartement pour l’hiver afin de diminuer le froid… et m’occuper des chiens, toujours, puisqu’ils en ont réellement besoin et le rendent bien.
À plus!
