
Quand j’étais enfant, jusqu’à ce que je me révolte quand même assez violemment à l’adolescence, je n’avais pas vraiment le droit d’avoir des limites. Je n’avais pas le droit d’avoir des besoins. Pas le droit de dire non et… Si vous avez lu ce passage en vous disant que j’essayais de faire pitié, ce n’est pas le cas. Relisez-le maintenant comme juste une énonciation de faits. Je raconte mon histoire. Je ne suis pas en train de me plaindre. J’explique ce qui m’a constituée afin que vous compreniez mieux pourquoi certaines choses me dérangent autant. (J’essaie ici de comprendre comment des personnes peuvent tordre à ce point ce que je dis pour avoir l’impression que je suis juste en train de me plaindre… Ha! Ha! C’est un blogue dont vous êtes l’héroïne ou le héros…)
Quand on n’a pas de limites comme individu, on est en quelque sorte poreux, au service de l’autre et rempli par lui. C’est difficile de savoir qui on est. C’est rare aussi qu’une personne qui n’a pas des limites claires ait une bonne estime de soi. C’est aussi un peu impossible au sens où elle est en quelque sorte dressée à être ce que l’autre veut qu’elle soit et ne sait donc pas réellement qui elle est. Il n’y a pas beaucoup de place pour exister dans ce cadre. Il n’y a pas non plus vraiment de possibilité de s’affirmer puisqu’on ne sait pas qui on est et donc on ne sait pas non plus ce qu’on veut ni ce qui est bon pour soi ou pas.
J’avais donc pas mal appris à « être pour l’autre » quand j’étais plus jeune. Quand j’ai commencé à fréquenter des hommes, à l’adolescence, je commençais à avoir une meilleure idée de qui j’étais et de mes goûts, mais je restais en quelque sorte à la disposition de l’autre et beaucoup plus tournée vers l’autre, ses désirs, ses besoins et… que vers moi. Je m’apprêtais en quelque sorte pour l’autre. Je ne suis clairement pas la seule jeune femme qui a vécu ça. C’est ce qu’on nous apprend pas mal à toutes à différents degrés et différents niveaux. Nous devons plaire aux hommes. Il y a beaucoup de femmes qui restent toute leur vie avec l’impression que c’est en fait une obligation, voire une nécessité vitale, sous peine de ne pas réellement exister. Beaucoup d’hommes pensent aussi que c’est notre devoir de leur plaire et d’être à leur service, sortes de deuxièmes mamans. J’entends encore aujourd’hui des femmes me dire qu’elles sont de bonnes femmes parce qu’elles savent bien tenir leur maison, sorte de résurgence archaïque de la femme maman/servante… alors qu’on pourrait penser qu’en 2022, les hommes ont finalement compris qu’ils doivent aussi participer activement à la tenue du logis et autres tâches concernant toutes les personnes impliquées dans la famille. L’image de la « bonne sexy » n’est jamais bien loin non plus… Ça a pour moi quelque chose de vraiment effrayant, ces catégories, ces définitions, ces idées qu’on implante dans la tête des humains. Elles ont eu pour moi des conséquences catastrophiques en tout cas.
L’absence de limite et l’attention à l’autre qui me caractérisaient n’étaient pas des signes de faiblesse, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Je suis au contraire quelqu’un qui a appris très jeune à s’adapter à énormément de choses très rapidement et à survivre peu importe les circonstances. Il reste toujours une partie de moi qui tient le coup. Une partie de moi qui sait se réfugier dans un coin de ma tête et rester intègre et intacte peu importe ce que je vis et ce qu’on me fait. Cette capacité d’adaptation et d’intégration des traumatismes est une grande force qui m’a beaucoup servie dans ma vie, par exemple durant la pandémie, moment où, malgré le fait qu’il fallait énormément prendre sur soi et se limiter, je n’ai jamais réellement souffert des conditions qui nous étaient imposées. J’avais vécu pire, comme je l’ai déjà dit. Il reste que, quand j’ai commencé à fréquenter des hommes et longtemps après, mon absence de limite, ma disposition tournée vers l’autre et ma capacité d’adaptation m’ont en quelque sorte catapultée directement dans les bras d’hommes qui reproduiraient les abus que j’avais vécus avant et feraient parfois même pire. Je confondais ces comportements avec de l’amour, parce que je ne connaissais rien d’autre. Je me sentais constamment en faute et je pensais que je devais me changer ou encore faire plus d’efforts (Alors que j’en faisais déjà trop…) pour que l’autre finisse par être satisfait et plus gentil avec moi, voire à, chose qui me semblait alors impossible, m’aimer.
C’est facile de prendre une posture condescendante et de me suggérer ou me dire carrément que j’étais naïve et faible. Ce n’est pas le cas. L’esprit humain ne peut pas inventer à partir de rien. Tout ce qui est créé et pensé prend appui sur autre chose que l’esprit a acquis avant. Si on n’a pas d’image saine de l’amour, on ne peut pas en inventer une de toutes pièces à partir de rien. Il faut généralement de l’aide pour y arriver. Il faut aussi faire le ménage dans les idées malsaines qu’on nous a inculquées afin de pouvoir construire quelque chose qui soit plus vivable et réellement sain. D’où l’utilité de la thérapie et des lectures de textes qui montrent d’autres visions du monde, de l’amour, des femmes, des hommes, des relations et… Mais ce n’est pas tout le monde qui va chercher ça. Beaucoup de personnes se contentent de ce qu’on leur a appris.
Je me souviens très exactement de la relation durant laquelle à la fois une amie et l’homme violent que je fréquentais m’ont dit que mon problème, c’est que je n’avais pas de limites. À l’époque, j’étais quand même rendue dans la trentaine, je me souviens que je n’avais littéralement aucune idée de ce qu’ils me disaient. Je ne comprenais pas du tout ce que pouvait être cette histoire de limites. Avec le temps, j’ai compris de plus en plus et je suis encore en train de comprendre, je vous dirais. J’ai aussi appris que la plupart du temps, j’ai tendance en fait à dépasser mes limites et à m’en demander vraiment beaucoup trop. C’est une des raisons pourquoi j’étais fâchée dans cette histoire avec la femme… Parce que c’est à moi d’identifier mes limites et si je pense que je suis rendue dans un état où c’est trop difficile de fréquenter des hommes, surtout si ceux-ci ne tiennent absolument pas compte de moi et de ce que je leur dis dans nos interactions. Si je pense que je suis rendue dans un état où même prendre le risque que ce soit encore un homme qui me manque de respect est devenu trop pour moi, moi seule le sait.
Parfois, j’ai l’impression que les informations qu’on donne aux autres ne restent pas vraiment dans leur tête. J’en ai en fait la certitude quand je vis une crise de stress post-traumatique et que l’autre me traite comme une adolescente qui vivrait sa première peine d’amour, donc avec condescendance, malgré tout ce que je lui ai raconté de mon vécu, malgré que j’aie informé cette personne que je souffre de stress post-traumatique complexe chronique. Je trouve ça dégueulasse en fait quand on me fait ça. Alors qu’elle essayait de m’informer que tout le monde a un passé, ce dont je suis déjà au courant et dont je tiens toujours compte dans mes interactions avec les autres, c’est elle, en fait, qui ne tient pas compte de mon passé et s’imagine qu’elle a une meilleure idée que moi de comment je devrais me sentir.
À différents moments de ma vie et pour différentes raisons, plusieurs personnes dans ma vie m’ont dit qu’elles se seraient suicidées si elles avaient vécu ce que j’ai vécu. Ça rend donc ça encore plus ridicule quand quelqu’un essaie de me faire croire que mon passé ne devrait pas m’affecter… Ou que je suis fragile… J’ai eu vraiment beaucoup d’hommes dans ma vie. Plus que toutes les femmes que je connais en fait. Pourtant il m’arrive souvent d’être traitée comme si je manquais d’expérience, alors que ce qui devrait être compris c’est que je suis dans l’état où je suis à cause d’une énorme accumulation de mauvaises expériences avec des hommes. Pas juste deux ou trois comme ça arrive parfois… Plutôt 25 à 30 fois ça. La plupart des femmes auraient abandonné l’idée d’avoir des relations bien avant moi.
Je continue plus tard. Je dois m’occuper des chiens et étudier.
Bonne journée!

