Bonjour et bienvenu à un nouvel épisode de « Je pense ma vie à partir de l’histoire des tueurs en série ». Bon… Je fais une petite blague, ici, mais je fais quand même un peu ça réellement. Ma curiosité pour eux n’est pas liée au fait que j’aurais des intérêts macabres, glauques ou autres conneries qu’on me dit régulièrement quand je parle de ce qui m’intéresse. La partie plus effrayante, leurs crimes, m’intéresse en fait généralement assez peu, bien que j’éprouve beaucoup de tristesse et de compassion pour leurs victimes et leurs familles. Ce qui m’intéresse surtout se situe généralement sur le plan de leur histoire, mais aussi sur celui de ce que je nomme les échecs de la communauté qui ont conduit à leur formation. Ma fascination n’est donc absolument pas liée au sang, mais plutôt à leurs histoires et aux informations qu’elles nous donnent sur le monde. Je ne fais pas non plus de cauchemars après et ça ne me déprime pas puisque j’effectue le travail nécessaire sur moi pour différencier ce qui relève de mon travail de recherche sur la violence et ma vie. Je ne suis pas non plus inhumaine ni insensible, non, autres conneries entendues régulièrement. J’ai juste le courage de regarder ces choses directement parce que pour moi c’est nécessaire de le faire.
La semaine dernière, j’ai regardé la nouvelle série sur Jeffrey Dahmer produite par Ryan Murphy et qui est disponible sur Netflix. J’en dirais généralement du bien, sauf quelques aspects liés à la représentation de l’homme lui-même qui me semblent un peu amplifiés, mais c’est une série télé et non un document d’archives et les personnes qui ont réalisé la série ont droit à leurs interprétations et leurs perceptions. La série est bien sûr esthétiquement parfaite, comme tout ce que réalise ou produit Ryan Murphy et c’est, pour moi, un détail non négligeable. L’acteur est aussi excellent. Dahmer est un des cas qui m’intéressent le plus parmi les personnes qui ont atteint un tel degré de violence, avec Kemper et Kaczinsky. Ceux avec un QI moins élevé ou plus narcissiques m’intéressent profondément moins, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas du tout de part narcissique dans ces trois-là. Probablement à un degré différent, c’est tout, et ce n’est pas ce qui domine pour moi dans leurs histoires respectives. La personnalité de Ted Bundy m’ennuie profondément par exemple… bien qu’elle ait un côté comique au-delà de l’horreur de ses crimes. Ses évasions sont à mourir de rire dans la façon dont il berne les policiers, même si elles ont dû être terrifiantes à l’époque.
Ce qui m’intéresse le plus, chez Dahmer, c’est son rapport à la solitude, ses tentatives complètement mésadaptées de la briser, ainsi que, comme mentionné, les échecs de la communauté (à part le comportement épiquement courageux de sa voisine Glenda Cleveland) qui ont menés à la création de sa personnalité et au fait qu’il soit en mesure de perpétré plus de crimes alors qu’il y aurait eu plusieurs moments où il aurait été quand même facile de le stopper, mais où tout le monde a échoué royalement, depuis ses professeurs le voyant complètement saoul au lycée sans rien dire jusqu’aux policiers refusant d’entrer dans son appartement de peur d’attraper le VIH « dans l’air » juste en franchissant la porte d’entrée. Je me concentrerai sur la solitude ici. Voyez-vous, Dahmer a une enfance extrêmement proche de la mienne, bien que je n’aie rien d’une tueuse en série, bien sûr, ni aucune envie ni intention d’emprunter cette voie. Nos structures de personnalité sont très différentes. C’est justement cet écart, qui m’intéresse, dans l’espace qu’il y a entre nos deux trajectoires à partir d’enfances semblables, dans le pourquoi je ne suis pas devenue plus comme lui, dans le pourquoi il n’est pas devenu plus comme moi? Je vais me garder aujourd’hui une petite gêne pour les détails communs, mais j’en parlerai peut-être une autre fois.
En regardant les épisodes, je me suis aperçue qu’il y a une différence importante dans nos façons de vivre et de gérer la solitude. Heureusement, penserez-vous et je confirmerai immédiatement que oui, je suis bien heureuse de ne pas être comme lui, de ne pas avoir cette soif impossible à étancher de présence de l’autre. Je me suis posé des questions sur ce qui différenciait tant les conditions de notre formation au-delà des ressemblances. Voici à quoi j’en suis arrivée :
J’ai été ce qu’on nomme une enfant parentifiée. Cela implique que j’ai dû avoir un nombre considérable de responsabilités que les enfants n’ont pas habituellement. J’ai dû faire l’adulte très tôt dans ma vie. J’ai dû apprendre très tôt aussi qu’il n’y avait personne autour de moi sur qui compter. J’ai donc appris très tôt à me gérer et à compter sur moi. C’est plus difficile pour moi de compter sur les autres qui me déçoivent et me trahissent régulièrement. C’est une chose que j’aurais aimé connaître en relation. Une personne sur qui il est possible de compter. Ça m’est arrivé quelques fois dans ma vie, mais toujours sur des aspects très précis de ma vie et non en tant que « compagnon du quotidien » disons. J’ai donc appris à être seule et à meubler cette solitude de façon plutôt saine la plupart du temps. Je l’ai fait en développant un rapport à l’intériorité et à l’intellectualité riche et qui me soutient encore aujourd’hui dans les moments difficiles. Je me suis construite.
Je continue bientôt sur lui. J’ai finalement attrapé la Covid après deux ans et demi de pandémie et bien que je ne semble pas avoir la version hardcore de l’horreur, le nombre de minutes que j’arrive à passer debout, voire assise, reste assez limité. J’ai besoin de repos et j’avais aussi besoin de parler d’autre chose que de deuil de ma vie affective, sur lequel je reviendrai bientôt puisque beaucoup de choses ont bougé intérieurement depuis le dernier billet.
Portez vos masques!
À plus!
