
Et pourquoi suis-je si irritée par cette proposition de faire semblant d’être moins intelligente afin de trouver un homme? Parce que je sais déjà ce que ça donne et c’est monstrueux. Je sais qu’il y a des femmes qui l’acceptent. J’ai vu ma mère le faire toute sa vie jusqu’à être convaincue que c’était la réalité. La phrase que ma mère m’a répétée toute mon enfance est : « Je n’aurais jamais rien fait de ma vie si je n’avais pas rencontré ton père. ». Ma mère est une femme intelligente qu’on a convaincue de son infériorité, de son incomplétude et qui a passé sa vie à vivre dans de la violence infligée par des hommes. J’ai été comme elle un temps, mais ma thérapie fonctionne et je ne le suis plus. Ma mère a perdu sa vie, sur bien des plans… et jamais je n’accepterai de vivre sa vie.
Il me semble pourtant que ce n’est pas compliqué à comprendre. Dès qu’on positionne une personne comme supérieure à l’autre dans une relation, on entre nécessairement dans une dynamique de violence. C’est impossible de l’éviter. C’est plus souvent de la violence psychologique, de la violence qualifiée d’ordinaire, d’invisible, mais c’est de la violence quand même. Si des jeunes hommes de 19-20 ans sont capables de le comprendre en classe, je ne vois pas pourquoi c’est apparemment impossible pour des hommes plus âgés de comprendre cela. Parce qu’ils sont trop faibles pour se remettre en question, me direz-vous. Je suis d’accord… mais ce n’est pas seulement une question de faiblesse et de fragilité, même s’il y a quelque chose de cet ordre, mais il y a aussi de l’inconscience, une absence de questionnement des idées reçues, des façons d’être en relation… mais aussi bien sûr, le versant plus mesquin : la peur de perdre un statut qui les avantage (à leurs yeux parce que dans les faits, je ne sais pas trop comment ça peut leur sembler positif de rendre une personne misérable afin de se sentir mieux eux… C’est du délire qui dans les faits augmente en fait leur fragilité, mais pour différentes raisons, ils restent aveugles à cela.
Je ne serai jamais, mais jamais attirée par un homme qui s’estime supérieur à moi et qui me traite et me parle comme si j’étais une enfant ou une idiote. Je ne suis pas non plus attirée par un compte en banque, les gros cadeaux, la politesse vide d’ouvrir les portes ou de laisser passer devant… Tout cela n’est que comédie et preuve d’égos fragiles… Un homme m’a dit il y a quelques années qu’il serait incapable d’être en couple avec une femme ayant un plus gros salaire que lui. Il m’a dit aussi qu’il fallait que je sois vraiment gentille avec les hommes que je fréquentais parce que c’était devenu vraiment difficile pour eux maintenant. J’ai failli partir à rire. Je me suis retenue, par absence d’envie de subir des commentaires mesquins après, mais j’aurais clairement dû. Apparemment, cet homme ne s’est pas aperçu que ça fait à peine 5 minutes historiquement que les femmes commencent (mais ne sont pas tout à fait encore) à être traitées comme des personnes, des êtres humains complets. Ça fait 5 minutes qu’on demande aux hommes de fournir des efforts qu’on ne devrait jamais avoir eu à leur demander…
Apparemment, il n’est jamais venu à l’esprit de cet homme de questionner sa conception de la virilité. Pourquoi l’associe-t-il toujours à quelque chose d’aussi superficiel et aléatoire que le revenu? Est-ce qu’il n’y a vraiment pas de façon plus pertinente et riche de concevoir sa virilité? Il m’en vient pourtant plusieurs à l’esprit à chaque fois que j’y pense. Dois-je conclure que les hommes souffrent d’un manque d’imagination dans leur conception d’eux-mêmes? D’un manque de regard sur le monde et des options infinies qui s’offrent à eux? Dois-je conclure qu’ils sont paresseux dans leur réflexion? Et… Pas tous les hommes, sera la réponse qu’on me fera inévitablement… Je répondrai qu’il y en a suffisamment dont les idées et le comportement posent problème pour que la vie soit encore extrêmement lourde et réductrice pour les femmes.
Apparemment il n’est jamais non plus venu à l’esprit de cet homme de se questionner sur pourquoi il lui semble extrêmement difficile de faire ce qui est pourtant la base de toute rencontre réelle avec l’autre, c’est-à-dire de le considérer comme son égal… Une personne avec des besoins, un droit au respect et à la dignité, un droit à la vie. Le droit à une vie qui ne soit pas amoindrie et réduite parce que l’autre estime être mieux et avoir droit à plus. Comment est-ce que l’idée de forcer une femme à se limiter dans sa capacité de se réaliser, de se dépasser, de gagner de l’argent, peut-être plus que vous, pour avoir droit à votre amour peut sembler normale et acceptable? Ça me semble plutôt clairement du délire et clairement pas de l’amour.
Je n’ai jamais choisi un homme pour son compte en banque, son apparence physique, son statut social, la taille de son pénis, ses muscles ou… Je m’en contrecrisse honnêtement. Je me suis parfois trompée en attribuant des qualités qu’ils n’avaient pas vraiment à des hommes. Ce qui me serait vraiment séduisant, c’est un homme qui me voit comme son égale et a un respect sincère pour moi, des qualités internes, pas des attributs superficiels qui ne me servent absolument à rien dans la vie et sont inévitablement utilisés pour me rabaisser. Pourquoi ça me séduirait tant? Parce que ce serait la base… une base pour une relation intéressante où au lieu d’être malheureuse et violentée, je pourrais être moi, c’est-à-dire une personne drôle, intelligente, taquine, belle, intéressante et pleine de surprises que je finis toujours par garder pour moi parce que je ne me sens jamais en confiance avec les hommes que je rencontre et qui portent des idées archaïques sur les femmes et comment il est acceptable de les traiter.
Un de mes exs violents ayant un peu réfléchi, me disait souvent que si les gens me connaissaient vraiment, ils m’aimeraient puisque je suis pleine d’amour… Je répondrai que oui, mais que pour me connaître et voir qui je suis réellement, encore faut-il me respecter et avoir vraiment envie de me connaître au lieu de me plaquer dessus des idées généralisantes sur les femmes ou les relations. Un peu de curiosité et d’ouverture d’esprit ne vous tuerait pas. À ceux qui disent que les hommes plus jeunes sont chanceux de recevoir une éducation étant davantage teintée par le féminisme, je répondrai qu’il existe un foisonnement de films, d’articles, de livres et… qui portent des visions différentes du monde, des hommes, des femmes et des relations depuis au moins les années 60… Vous avez juste fait le choix de ne pas vous remettre en question et de vous sentir attaqués au lieu de faire le choix d’explorer et d’essayer. Vous avez fait le choix du maintien de la condescendance, vous avez refusé de voir la misogynie internalisée que vous portez.
Caricature de Victor Hugo par Benjamin, 1841.