Guérir (Partie 7)

            Malgré tout ce que j’ai écrit et malgré ce que ses choix m’ont fait traverser, je ne le déteste toujours pas. Je pense que j’aurais surtout aimée qu’il prenne plus soin de moi et réfléchisse plus à comment être placée dans une situation comme celle-là risquait de me faire sentir. J’aurais aimé que les choses soient autrement, mais c’est ça qui s’est passé malheureusement. 

            Il y a quand même une partie de moi qui est heureuse d’avoir pu réexplorer mes traumatismes différemment et d’avoir avancé dans ma guérison. Ça, je ne le dois qu’à moi et à ma curiosité entourant ce qui m’est arrivé, comment en prendre soin et comment ça affecte mes relations aux autres. 

            J’aimerais quand même que plus de personnes se posent des questions sur ses sujets et réfléchissent avant d’agir, avant d’entraîner une autre personne dans une situation qui risque fort de la blesser. Je sais que peu de personnes sont sensibilisées à ça. J’entends parfois des hommes dire imbécilement qu’ils aimeraient ça, eux, être utilisés comme des objets sexuels. Je pense qu’ils ne sont pas conscients de ce que cela signifie réellement quand ça arrive vraiment et de l’impact que cela peut avoir sur la psyché. Bien sûr leur imagination ne va pas très loin quand ils disent cela. Ils pensent à une forme de plaisir de se laisser faire plein de choses et d’être temporairement dominé durant une situation dont ils assument qu’elle sera plaisante. Ils sont apparemment aveugles au fait que cette expérience serait alors leur choix, qu’elle sera limitée dans le temps selon leur désir et qu’ils ne seront donc pas réellement réduits au statut d’objet… et donc pas traumatisés. Ce n’est donc absolument pas la même situation. Il y a beaucoup d’inconscience dans une telle affirmation. Le fait est aussi que considérant la position privilégiée que les hommes ont dans notre société, le fait d’être un seule fois traité comme un objet sexuel n’aurait pas les mêmes conséquences que cela a sur des personnes qui sont quotidiennement réduites au statut d’objet ou de sous-humain. Je ne suis bien sûr pas en train de dire que c’est moins grave si un homme se fait agresser, avant que quelqu’un m’accuse malhonnêtement de dire cette connerie. Je dis qu’il y a des différences et qu’elles s’expliquent de plusieurs façons. Une agression n’est jamais un choix ni jamais moins grave. Mais avoir envie d’être un objet sexuel n’est pas la même chose que de se retrouver de force dans cette position et qu’il est pas mal insensé de répondre quelque chose comme ça à une personne qui a, elle, réellement été réduite au statut d’objet et en porte les traces traumatiques.

            Il y a beaucoup de choses qui s’entremêlent dans mon expérience. Les choses que j’ai vécues avant à un niveau personnel. Le manque d’amour et de compréhension dont j’ai longtemps souffert et dont, honnêtement, je souffre encore aujourd’hui même si j’ai appris à gérer les choses différemment. La quantité quand même épouvantable de violences que j’ai vécues et que je vis encore parfois au quotidien. J’avoue rester un peu bouche-bée quand quelqu’un me sort que je devrais être moins dure et que, par exemple dans ce cas, il a le cœur brisé et donc je n’ai pas le droit de lui en vouloir (chose que je ne fais pas de toute façon, mais qu’on assume quand même que je fais). C’est comme si je n’existais jamais pour les autres. Et moi? Est-ce que je n’ai pas le droit d’être triste qu’on ne prenne jamais en considération la souffrance que je porte? Pourquoi est-ce toujours à moi d’être forte et de montrer de la compassion et de faire plus d’efforts que l’autre? Pourquoi est-ce qu’on met toujours cela sur ma faute? Parce que c’est toujours ma faute. Avant on me disait que je vivais les choses difficiles que je vivais parce que je ne m’aimais pas. C’était donc en mettre la responsabilité sur moi. Bien maintenant je m’aime et les gens ne font pas vraiment plus attention à moi dans la vie. Ils sont même parfois encore plus violents en fait. On me dit que c’est parce que je ne suis pas assez douce, puisque bien sûr les femmes doivent être accommodantes et toujours se tourner vers l’autre et accepter tout ce qui lui chante sans rechigner et surtout ne jamais être fâchée ni blessée. Être facile à vivre. On me dit que c’est ma faute parce que je ne porte pas souvent des robes (oui, oui, pour vrai). Comme si les hommes étaient tous des imbéciles arriérés seulement capables d’aimer et de désirer un certain type de femmes toujours en robes… On me dit que je dois être difficile à vivre parce que j’ai été agressée et que je n’ai pas le droit d’imposer ça aux autres. Je ne sais pas quoi dire sur cette phrase tellement elle est conne et fausse. Je dirai simplement qu’en général j’ai vraiment beaucoup moins de problèmes et de caprices que les personnes que je connais qui n’ont pas été agressées et qui ne sont pas en thérapie depuis 16 ans… 

            On dirait que la panoplie quand même immense de choses que moi je dois dépasser et gérer pour laisser quelqu’un entrer dans ma vie est toujours minimisée, voire invisible et qu’on me demande toujours seulement à moi de fournir des efforts pour l’autre. De m’apprêter, en quelque sorte, pour le satisfaire. Il me semble que ça a quelque chose d’insensé et que je devrais avoir droit, comme tout le monde à ce qu’on tienne compte de ma situation aussi dans une relation et que tout ne soit pas toujours au sujet de l’homme, même si bien sûr c’est triste qu’il soit blessé et ait le cœur brisé. La chose qu’on oublie, c’est que le mien aussi l’est. Il est même en poussières après tout ce qui m’est arrivé. Il reste quand même capable d’aimer et de se soucier des autres. Quand est-ce que j’ai le droit d’être ne serait-ce qu’un peu considérée?  

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