
Le lendemain, j’avais une classique gueule de bois avec en plus des larmes incessantes qui provenaient à la fois du choc, de la déception et de l’incompréhension. Je suis restée chez moi et je n’ai pas pu faire grand-chose de la journée sauf me reposer. Je ressentais un mélange d’anxiété, de colère et de tristesse. J’étais pas mal perdue.
Le surlendemain, j’avais encore le mélange de sentiments, mais avec plus de lucidité. Malgré cette lucidité supplémentaire, l’anxiété montait de plus en plus. Je ne voulais pas sortir. C’est une chose qui se produit quand j’ai des crises de stress post-traumatique plus aiguë. Les choses que je vais décrire ici ne sont pas mon expérience quotidienne de la maladie, mais seulement les pires moments. En général ça va plutôt bien et je n’ai pas trop de symptômes, mais quand quelqu’un ou une situation me fait très mal, ça peut revenir quand même assez violemment. Je pense que cela dépend surtout de sur quels traumatismes du passé cela s’appuie.
Le surlendemain, j’ai commencé à avoir des douleurs dans la nuque, les épaules et dans le bas du dos, douleurs qui sont très fortement associées au stress post-traumatique, même si elles peuvent sembler communes. J’ai ressenti un très grand abattement et une fatigue qui me semblaient insurmontables. J’ai commencé à avoir de la misère à marcher et à avoir des étourdissements. Je suis tombée et je me suis éraflé le mollet. J’ai dû annuler la réunion que j’avais parce que je ne me sentais pas assez bien pour m’y rendre, surtout pas à vélo comme j’avais prévu.
C’est difficile de rendre compte d’à quel point cela peut être terrorisant quand cela se produit. Le corps ne répond plus comme il le devrait et chez moi il tend à se rigidifier et à s’affaiblir. Je pense que personne n’aimerait ça, mais pour moi qui n’arrête jamais, quand le corps ne répond plus, ça me tue intérieurement et ça me fait effroyablement peur. Mon corps répond en bonne partie comme cela parce que j’ai un trauma développemental aussi, qui pourrait à lui seul expliquer que je souffre de stress post-traumatique complexe chronique, même si je n’avais pas vécu les autres expériences traumatiques qui sont venues se rajouter par-dessus au cours de ma vie. Une des choses les plus stupides qu’on m’ait dites dans ma vie a été prononcées par un de mes anciens amoureux qui, parlant de mon premier viol, a dit : « Ça fait assez longtemps que c’est arrivé pour que ça ne te fasse plus rien ». Les expériences traumatiques ne disparaissent pas, peu importe le travail qu’on fait dessus. On finit par les intégrer, comme je l’ai fait avec beaucoup de choses et par pouvoir en parler et vivre avec au quotidien sans que cela soit trop présent, justement en acceptant de revivre en différé ce que cela nous a fait vivre au moment de l’événement traumatique, et qui était alors insupportable pour le cerveau qui fait un genre de shut down, mais emmagasine tout quand même. Selon Gabor Maté, le traumatisme n’est pas l’événement traumatique en tant que tel, mais ce qui en reste en vous après. Cela devient ces espèces de souvenirs non vécus dont j’ai parlé dans un autre billet. Ils se manifestent au travers de différents symptômes comme des flashbacks, dans mon cas une très grande fatigue qui n’a souvent pas d’explication identifiable rationnellement, mais dont la présence est indubitable et réelle et plusieurs autres symptômes. Je ne suis donc pas fatiguée pour faire chier ou parce que je suis une petite nature, mais parce que je souffre de stress post-traumatique.
Le trauma développemental se retrouve chez les enfants qui ont grandi dans des milieux violents. Cette violence n’a pas à être physique. La violence physique n’est pas réellement pire que la violence psychologique, contrairement à ce que la plupart des gens pensent. Ses effets sont bien réels. Être un enfant doué qui grandi avec un père qui souffre de trouble de personnalité narcissique c’est vraiment terrible. L’intelligence, la curiosité, la capacité d’analyse de l’enfant mettent bien souvent le narcissique en déroute, ce qui résulte souvent en crises de rage qui peuvent prendre différentes formes. Mon frère et moi (il est doué aussi, c’est génétique) avons donc subi un nombre assez incroyable de mensonges, humiliations, dénigrements et… si bien qu’aujourd’hui, nous sommes souvent encore remplis de honte sans toujours savoir pourquoi. Une honte d’exister, en quelque sorte… comme si on nous avait convaincus très jeunes que nous étions tellement terribles et décevants que nous n’avions pas droit à la vie au même titre que les autres. C’est une perception de soi dont il est très difficile de se défaire. J’y travaille ardemment depuis 16 ans… et il y a encore des jours où cette honte constitutrice de mon identité me submerge, mais j’ai quand même progressé beaucoup et dans la plupart des circonstances, j’ai moins facilement honte que les autres et je ne me laisse plus faire honte par les autres non plus. Ce pourquoi, j’ai, dans certaines situations, une réaction très vive à ce que les autres essaient de me faire porter… comme face à la petite éditrice qui essayait de me faire croire que c’était moi le problème et non ce qu’elle avait fait… et bien d’autres personnes aussi. À cause du milieu d’où je viens, je suis très sensible à la honte, très susceptible aussi de prendre celle de l’autre à sa place, ce pourquoi je dois toujours analyser très bien les situations conflictuelles pour voir ce qui a bien pu réellement se passer et qui a fait quoi. Je ne pourrais par exemple jamais être en couple avec un homme qui fait constamment de l’humour dénigrant. Je finirais probablement par l’assommer… ou pire.
Je reviens à mes enfants avec un trouble développemental. J’en ai déjà parlé il y a très longtemps, mais ça vaut la peine de le répéter. Les enfants sont comme des otages. Ils sont soumis à ce que leurs parents leur font et n’ont pas toujours de moyen de s’échapper de la situation où ils se trouvent s’il n’y a pas d’aide extérieure qui vient les en sortir. C’est pourquoi la réaction face à la violence qu’ils développent le plus souvent est la sidération. Ils restent figés là, absorbant la violence de l’autre, impuissants. Elle vient de là, mon immense fatigue. La perte de fonctionnement de mon corps aussi. Il se crispe, il se fige, parce qu’il y a quelque chose dans la situation qui lui dit que c’est ce qu’il faut faire, même si, en tant qu’adulte, j’ai maintenant d’autres options. C’est une réaction profondément ancrée en moi et il faut que je travaille à la déprogrammer. Je parlerai de mes plans pour ce faire bientôt. Mais je veux bien donner un exemple de ce que ça peut faire parfois sans qu’on s’y attende.
L’hiver dernier, je ne sais pas pourquoi, j’ai décidé de regarder « Toute la vie ». Peut-être parce que je m’ennuyais de Roy Dupuis. Peut-être aussi plutôt parce que j’aime bien explorer ce que je ne connais pas et ce que je ne connaitrai jamais, ici la maternité adolescente. J’ai de la difficulté avec une partie des démarches présentes voulant qu’on évite de parler de choses qui pourraient traumatiser certaines personnes. C’est le cas, parce qu’il est impossible de déterminer ce qui va réactiver un traumatisme chez quelqu’un. J’ai par exemple été violée deux fois et je regarde ou je lis sans problème des scènes de viol parfois plusieurs jours d’affilée si mon travail le nécessite, par exemple si j’enseigne un livre qui traite de ce sujet. Ce n’est pas parce que je n’ai pas d’empathie, non, comme diront peut-être les mauvaises langues. J’ai au contraire une empathie très très puissante. L’explication de cela est en fait que, pour moi, ces traumatismes sont intégrés. Leur puissance d’évocation est en quelque sorte désactivée. Si ça m’arrivait à nouveau, probablement que certaines parties de l’expérience qui ne sont pas intégrées pourraient se réactiver et me faire du mal, mais ça ne m’est jamais arrivé par des représentations. Donc si je reviens à « Toute la vie », il y a un épisode où un jeune homme enlève sa conjointe alors qu’elle tente de quitter leur relation parce qu’il est violent et il finit par la tuer. Étrangement, ce n’est pas la scène de meurtre qui m’a le plus troublée. Ça aurait pu. J’ai vu souvent mon père enragé et désespéré à ce point-là et il y avait des armes chez nous. Ce qui m’a complètement renversée et fait faire une crise de panique dans mon salon, c’est la fuite en voiture alors qu’elle est attachée. C’est allé chercher mes expériences de mon père fou au volant dans des coins perdus dans le bois et moi, minuscule enfant assise sur le siège et terrorisée, mais n’osant pas pleurer ni dire quoi que ce soit de peur d’empirer la situation. J’absorbais stoïquement, mon petit corps allant se frapper contre la portière, la ceinture me réprimant la poitrine, j’étais presque incapable de respirer, terrorisée. Je n’aurais pas pensé qu’une scène qu’on peut dire d’un niveau de violence pas trop élevé contrairement à ce qu’on propose parfois à la télé me troublerait autant. Je peux écouter les interminables listes de choses que Ted Bundy a fait à des femmes sans sourciller et ce, même si certaines de ces choses sont très proches ou identiques à des choses qui m’ont été faites… mais j’étais là réduite à mon impuissance d’enfant complètement désarçonnée sur mon sofa, en perte de repères pendant plusieurs minutes. J’ai fini par me calmer, mais j’en ai retenu qu’on ne peut pas prévoir ce qui causera quoi chez qui, donc même s’il est utile de réfléchir à comment on discute de ces sujets, je pense qu’il vaut mieux modérer ce mouvement présent qui nous pousse à vouloir tout cacher constamment.
Petite parenthèse, ce dernier homme, de ce que j’ai pu en voir, n’a pas un profil narcissique, ce qui fait changement.
Malgré le fait que j’étais terrorisée par l’approche de ce que je savais être une crise de stress post-traumatique pénible, je n’ai pas paniqué. Je n’ai pas paniqué parce que je sais quoi faire quand ça arrive. Je vous l’expliquerai bientôt. Je dois aller au lit. Demain, je pars tôt pour participer à une vente au centre d’artistes dont je fais partie.
À plus!