La mémoire traumatique

            La première fois que quelqu’un a démontré une forme de désir pour mon corps, en dehors des remarques déplacées de mon père que j’ai racontées il y a quelques temps, c’était un gars au secondaire. Il m’a dit qu’il coucherait avec moi si j’avais un sac sur la tête parce qu’il aimait mon corps, mais pas ma tête. Je ne lui avais rien demandé et il ne m’intéressait pas. C’est la première remarque à caractère sexuelle que j’ai reçue de la part d’un homme, homme qui a jugé bon, je ne sais trop pourquoi, de me faire une demande d’ami Facebook plusieurs années plus tard. Il ne se rappelait bien sûr pas d’avoir dit ça. Il n’est bien sûr pas mon ami Facebook… ni quelqu’un que je veux dans ma vie de quelque façon que ce soit, même si j’imagine bien qu’il a dû changer avec le temps. Il a quand même trouvé que c’était une bonne idée de s’abonner à mon compte, même après que je lui aie expliqué mon refus… jusqu’à ce que je finisse par le bloquer parce que ça me rappelait trop la souffrance et la honte de moi que ça m’avait causé. J’ai longtemps pensé, en partie à cause de ça, mais pas seulement, que j’étais vraiment laide et que la seule chose qui intéresserait les hommes de moi c’est mon corps. Puisque je n’avais pas tellement une bonne image de moi à cause des violences que je vivais, ça partait vraiment mal pour les relations. Tout cela augmenté du fait que socialement on met toujours l’accent sur le corps des femmes et sur la sexualité. Ça n’augurait effectivement vraiment pas bien pour ma possibilité d’avoir des relations saines…

            La mémoire traumatique n’est pas comme la mémoire ordinaire. De ce qu’on en sait, en tout cas, le cerveau étant encore pas mal plein de mystères non résolus. Les souvenirs que cette mémoire contient ne sont pas non plus comme les souvenirs qu’on dira « ordinaires » faute de mieux pour le moment puisqu’il ne s’agit pas d’un texte scientifique, mais d’une explication la plus simple possible d’un phénomène qui est quand même assez complexe en soi. Les souvenirs que je qualifie d’ordinaires, sont des souvenirs de choses qui ont été vécues dans la vie ordinaire, celle-ci incluant ici même des moments très beaux ou très tristes, mais n’ayant pas une nature ni une intensité qui ferait qu’on pourrait les qualifier de « traumatiques ». Dans les souvenirs ordinaires, on pourrait dire que la personne était présente à ce qu’il se passait, qu’elle le vivait avec différents degrés de présence, mais des degrés qui s’inscrivent dans ce que je vais qualifier de supportable, pas trop agressant, dans le registre de ce que l’esprit peut supporter. Ils sont donc, par après, possibles à digérer par le cerveau qui les stockera à quelque part dans la mémoire, de façon plus ou moins complète selon les gens et selon le degré de leur importance et d’autres critères qu’il décide lui-même et qui dépendent de facteurs dont une partie m’échappe personnellement et une autre partie reste, globalement, inconnue. 

            Les souvenirs traumatiques ne fonctionnent pas vraiment comme ça. C’est plutôt comme si le moment qui causera le traumatisme, au lieu d’être vécu, traversé, digéré, va plutôt être stocké dans la mémoire traumatique sous une forme cristallisée qui contient tous les affects insupportables contenu dans le moment qui cause le traumatisme et qui étaient alors insupportables pour le cerveau au moment où cela s’est passé. Ça reste là en nous comme des petites poches prêtes à exploser quand on ne s’y attend pas vraiment, dont des parties parfois incomplètes, parfois complètes, viennent faire un tour dans l’esprit conscient, alors que d’autres restent cachées, hors de la conscience, mais nous rongeant encore de l’intérieur ce qui explique beaucoup de troubles dont on ne trouve pas la cause dans le corps et l’esprit. 

            Parmi les symptômes du stress post-traumatique, il y a les pensées envahissantes. Ce qui remonte alors ce sont les choses que le cerveau est incapable de digérer rapidement et ces pensées, comme leur nom l’indique, sont des intrus qu’il peut être impossible de chasser pour un temps. Elles s’imposent à l’esprit qui devient comme un vieux disque vinyle qui saute toujours au même endroit de la chanson et qui peut y rester pris parfois indéfiniment. C’est pour ça que, même si je sais que ce n’est pas pour mal faire, ça m’énerve vraiment beaucoup quand les gens me disent de penser à autre chose. Ça m’énerve parce que ce n’est réellement pas toujours possible pour moi quand je traverse une crise de stress post-traumatique. Et souvent les gens ne me croient pas. Alors je me retrouve à subir la maladie, les pensées envahissantes, la colère et le découragement des autres, leur impatience et… ce qui devient extrêmement lourd pour moi. La vérité, je pense, quand les gens disent ça, c’est que ce n’est pas vraiment mon bien qu’ils veulent, c’est le leur. Je pense que c’est leur bien qu’ils veulent parce que ça les rend inconfortables de me voir souffrir et qu’ils n’ont pas envie d’être inconfortables. Donc ils pensent à eux et non à moi. S’ils voulaient vraiment mon bien, ils accepteraient que j’ai cette maladie et qu’il y a des moments où elle me dépasse et où je ne peux pas faire grand-chose contre cela. Ils me soutiendraient au lieu de m’attaquer. Ce que je peux faire, je le fais déjà et les semaines qui viennent seront consacrées à renforcer les comportements et habitudes qui me font du bien, mais il faut accepter que ça peut parfois prendre du temps et que c’est normal et non moi qui ne ferait pas d’effort ou qui serait un échec de ne pas réussir à me plier à ce qui les rendrait confortables eux. Mon état n’est pas anormal ou bizarre. Le stress post-traumatique c’est l’état normal d’un cerveau qui a vécu un ou des traumatismes. Eux aussi, seraient fort probablement dans le même état que moi s’ils avaient vécu ma vie. Ils parlent à partir d’une position d’ignorance totale et c’est vraiment lourd. 

Je commence quand même à mieux identifier à qui je peux parler de ces choses ou pas. C’est très bizarre. Dans mon entourage, il y a une seule femme qui se souvient toujours du fait que je souffre de stress post-traumatique (vous vous en souvenez probablement aussi puisque j’en parle souvent, mais pour la majorité, vous ne faites pas partie de mon quotidien). C’est mon amie A, que j’ai rencontrée dans mes cours d’arts. Je lui ai dit juste une fois, elle m’a posé des questions, et maintenant elle s’en souvient toujours et en tient compte quand je lui parle de ce que je vis et dans les commentaires qu’elle me fait. Mais c’est vraiment la seule personne, ce qui me semble vraiment bizarre, parce qu’il me semble que c’est un élément important pour me comprendre et pouvoir bien commenter mes réactions ou mon vécu lors de moments qui vont faire que ma maladie sera plus active. Je ne sais pas, honnêtement, comment on fait pour oublier ça. Mais on dirait souvent que ça entre par une oreille et ça sort par une autre et que les gens choisissent de ne pas prendre ma situation au sérieux et ne se posent pas de question sur comment cela peut teinter ma vie et nos rapports. Mon psy dit que c’est parce que la plupart des gens pensent surtout à eux alors que j’ai tendance à vouloir comprendre ce qu’ils vivent. C’est peut-être ça, oui… mais c’est lourd quand même et ça me laisse souvent avec l’impression que les gens n’écoutent pas vraiment ou que ce que je leur dis n’a pas vraiment d’importance pour eux. Quand j’ai dit à cet homme que c’était difficile pour moi les nouvelles personnes parce que je souffre de stress post-traumatique complexe chronique, il a fait une blague. Je ne sais pas si c’était par inconfort ou si c’était parce qu’il n’a pas pris au sérieux ce que je disais.  

      Une autre chose qui m’énerve et dont je sais qu’elle provient d’une bonne volonté, c’est quand les gens me disent de ne pas penser à ce con, ce trou du cul, ce cave, ce bozo ou autres noms qui lui ont été donnés par les autres et non par moi. Ça m’énerve premièrement parce que ce n’est pas ce que je pense de lui et que j’ai tendance à condamner plutôt les comportements que la personne entière, même si selon la nature des comportements ça peut vouloir dire que je dois m’éloigner de la personne entière, oui. Il me semble plus quelqu’un qui ne voulait pas nécessairement mal faire, qui est un peu perdu à savoir s’il doit faire le deuil de sa relation ou pas ou encore qui est dans un genre de phase de déni par rapport à ce qu’il vit tout en voulant aller de l’avant. Je ne sais pas puisque je ne suis pas dans sa tête, mais de l’extérieur c’est ce qu’il m’a semblé. Il se pensait peut-être plus prêt qu’il ne l’était à passer à autre chose et ça lui a pété à la figure… me heurtant en même temps. Mais ça ne me sert à rien d’imaginer ce qu’il peut ressentir puisque je n’ai pas les informations complètes sur sa situation. La seule chose que je sais c’est que, volontaire ou pas, son choix de me mettre dans cette position m’a beaucoup blessée. Ça m’énerve deuxièmement quand les gens me disent de ne pas penser à lui en l’insultant parce que, encore une fois, ce n’est pas à moi qu’ils pensent quand ils disent ça. Ils pensent à lui et pensent que c’est à lui que je pense et que c’est en lien avec lui que je souffre et que je suis triste alors que ça n’a rien à voir. Même si oui c’est triste de vivre une situation aussi triste avec une personne qu’on trouvait sympathique et que ce qu’il a choisi de faire me nuit, ce n’est pas sa personne en tant que telle qui est la cause de ma souffrance. Je ne le connais pas assez pour ça. 

C’est ma souffrance que je vis. La souffrance de mes poches de souvenirs traumatiques qui me pètent à la figure et dans lesquels je ne dois pas me noyer. La souffrance d’encore une fois ne pas avoir été respectée ni considérée. La souffrance de m’être encore une fois retrouvée face à une expérience pénible où il risque fort de ne rien m’arriver de bon. Je n’ai pas vraiment compris qu’elle est sa situation. Il a commencé par dire qu’il avait une copine. Puis qu’elle était ailleurs et qu’ils n’étaient plus ensemble pour le moment et qu’il essayait de vivre sa vie. Puis qu’une relation à distance ne fonctionnait pas, moment durant lequel il avait plus l’air d’essayer de se convaincre lui-même que de me parler à moi. Puis, alors qu’il était encore plus saoul, il a dit qu’un jour il serait encore avec. C’est à peu près ce que j’ai compris, mais ce n’était vraiment pas clair et nous avons vraiment trop bu pour que cette conversation puisse être claire, ce qui est triste aussi. Ce que je sais c’est le sentiment d’horreur totale que j’ai ressenti quand il a dit la première phrase et j’ai demandé ce que je faisais là alors et l’explication n’était pas très satisfaisante. J’ai essayé de faire bonne figure et de comprendre parce qu’il avait l’air triste, mais honnêtement je ne comprends pas vraiment et peut-être que j’aurais dû partir dès cette première phrase. Je ne sais pas. Je n’ai aucune idée de ce que lui pense ni d’avec quelle idée il est reparti de tout cela puisque je n’ai pas de façon de le rejoindre, chose qui est quand même vraiment pénible et que je ne l’ai pas revu depuis. Il avait l’air triste quand je l’ai reconduit à la grille et il m’a prise dans ses bras et ça m’a surpris. Je ne savais plus quoi penser parce que toute la soirée il avait l’air de vouloir quelque chose de moi et de s’intéresser à moi puis alternait avec son histoire avec la fille. C’était vraiment étrange. Ça a l’air de quelqu’un de mélangé, mais ça c’est vraiment difficile à vivre pour moi. 

            Il s’est mis à me parler de relation et à me demander ce que j’attendais de lui tout en me disant, comme en reproche, qu’on ne se connaissait presque pas, comme si c’était moi qui lui avais demandé ou même parlé de relation. Alors que c’est sa situation pas claire qui provoque nécessairement cette conversation lourde là et non moi. En même temps, je ne comprends pas toujours pourquoi les gens qualifient ces conversations de lourdes… Il me semble qu’elles sont plutôt nécessaires à avoir rapidement, justement pour éviter de se blesser les uns les autres. S’il m’avait dit, avant de m’inviter, qu’il avait quelqu’un dans son cœur, j’aurais dit non à son invitation et je ne serais pas allée le relancer après. Ça aurait été aussi simple que ça pour moi. Mais j’ai cru naïvement que s’il m’invitait, c’était parce qu’il était libre et s’intéressait à moi… Parfois je fais de la projection moi aussi… J’imagine que les autres ne cachent rien parce que moi je n’ai rien à cacher… mais c’est une très grave erreur qu’il faudrait que je cesse de faire parce que la très grande majorité des gens ont des choses à cacher, contrairement à moi… et je trouve ça triste pour eux. Ma vie me semble plus légère et plus heureuse. Je n’ai jamais peur qu’on découvre quelque chose que je cache et qu’on me fasse du mal avec. Ça me fait me sentir très libre et forte. 

            Quelqu’un m’a demandé aussi si on restait amis. Ça me semble difficile, encore une fois parce que je n’ai aucune idée de ce qu’il se passe, mais que selon ce que j’ai compris, soit je continuais en acceptant d’être un genre de deuxième choix ou un genre d’oreiller de lit réconfortant pendant que la fille n’est pas là et que je me retrouverais expulsée si jamais elle revenait. Soit je décide d’être amie et alors si jamais je développe des sentiments je serai déçue et encore plus triste que maintenant. Soit je ne développe pas de sentiment, mais ça me rappellera la blessure tout le temps. Il y a un genre de trahison, à quelque part, dans ce qu’il a fait en dissimulant le fait qu’il aimait quelqu’un pendant tout ce temps et ça ne me semble pas une bonne base pour de l’amitié. Mais encore une fois, je ne sais pas. Je ne sais rien de pourquoi il a agi comme ça ni de ce qu’il vit et… Je ne peux pas prédire l’avenir. Je peux juste essayer de prendre soin de moi le plus possible dans ce qui viendra. 

            Mais c’est sûr que l’idée d’être un genre de deuxième choix ou d’être juste là en attendant, ce n’est pas super charmant et ça ne me convient pas du tout. Je n’ai jamais pu être pleinement moi dans mes relations. L’autre avait toujours plein de problèmes non réglés (parce que curieusement, ce sont toujours leurs problèmes non réglés qui causent des problèmes dans la relation et non pas mes traumatismes) et essayait de me limiter dans la relation qui ne devait souvent pas être appelée relation. Ça me fait me sentir comme si on ne me considérait pas comme une personne, mais comme un objet et qu’on me demandait de me plier à tous les caprices de l’autre et que je n’avais, encore une fois, pas le droit d’avoir des besoins ni d’attendre quoi que ce soit de l’autre. Je préférerais crever que de revivre ça une fois de plus. Si j’ai à être en relation, ça prend une personne qui s’intéresse réellement à moi, veut vraiment me connaître et comprendre ce que je vis. Je ne peux pas et je ne veux pas, à cause de ce que j’ai vécu, prendre les choses à la légère. J’ai un vécu dont je dois absolument tenir compte pour mon bien-être à court et long terme. On voit ce que ça fait quand les autres prennent ma vie à la légère… Je me retrouve avec des symptômes aigus de stress post-traumatique et c’est ma vie qui en souffre… pas celle de l’autre qui peut-être même s’en fiche… voire n’y pense jamais. J’ai le droit d’être respectée et aimée comme tout le monde. Ce que je vis est sérieux, mais seulement compliqué pour les personnes dont les intentions ne sont pas très nettes. Je pense que les choses seraient au contraire très simples pour quelqu’un qui voudrait vraiment être là. 

            Bon c’est assez long. 

            À plus!  

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