
Je n’ai jamais été internée. La seule fois où je suis allée dans un hôpital psychiatrique, c’était pour passer un test, à la fin de mon adolescence parce que j’étais déprimée. Bien sûr ils ont mis ça sur le dos de l’adolescence et personne n’a vraiment vérifié ce qu’il se passait à la maison ni pourquoi j’étais aussi gravement déprimée… Ça aurait aidé, je crois…
Je pense qu’une des expériences que j’ai qui peut, sur certains plans, y ressembler le plus, c’est quand j’ai commencé à souffrir de stress post-traumatique complexe qui s’avérerait chronique par la suite. C’était après l’histoire avec le prof d’université dont j’ai déjà parlé, celui de l’affreux Noël. Pas mon prof, un prof que j’avais rencontré autrement et qui enseignait une matière n’ayant rien à voir avec mes intérêts. C’est là que je me suis en quelque sorte retrouvée poussée hors du monde, isolée de force, regardée avec dégoût et condescendance, tout le monde me disant quoi faire et comment être.
Je suis certaine que chacune des personnes impliquées dans cette histoire se voit comme une bonne personne et que c’est moi qui suis défectueuse. Je n’y crois pas. J’avais jusqu’alors été pas mal idéaliste au sujet de la gentillesse des autres, ça, je l’avoue. J’avais tendance à les idéaliser et à me placer en position d’infériorité, ce qui m’arrive encore parfois malheureusement si je ne suis pas attentive à ma façon de me comporter avec les nouvelles personnes que je rencontre. Je pense quand même que ces personnes n’ont clairement pas agi comme de « bonnes » personnes.
L’état de choc dans lequel je me suis retrouvée à la suite de cette histoire était si intense que j’avais de la difficulté à marcher et même à parler. Quand j’essayais d’expliquer aux personnes se disant mes amis pourquoi j’étais dans cet état, j’ai toujours ou presque été accueillie par des personnes qui me disaient que j’exagérais, que c’était juste une rupture et d’autres conneries du genre. Ça me tue encore aujourd’hui à chaque fois que j’entends quelqu’un minimiser ce qu’une autre personne vie. Vous n’en avez aucune criss d’idée, de ce qui a pu se passer, de ce que la personne a enduré, de quelles connexions cela va faire dans son esprit avec d’autres choses vécues avant sans son consentement et… Vous ne savez rien. Il est donc effroyablement prétentieux et mesquin de dire à l’autre personne comment elle devrait se sentir dans une situation et une vie que vous n’avez pas vécue.
J’avais beau expliquer les faits, expliquer les concepts de psychologie, répéter à l’infini, rien n’arrivait à percer ce que je vois encore aujourd’hui comme une forme de barrière d’ignorance satisfaite d’elle-même qu’on m’opposait alors. On m’a plusieurs fois demandé ce que j’avais fait pour que ça m’arrive, insinuant ainsi que ce devait être ma faute et qu’eux ne seraient pas assez cons pour se retrouver à vivre cela (alors que certaines personnes qui me méprisaient ainsi étaient elles-mêmes et sont peut-être encore dans des relations pires que la mienne… mais dont elles sortiront effondrées d’une façon ou d’une autre… ça n’a rien à voir avec la force, mais plutôt avec une forme d’érosion lente et brutale à la fois).
J’ai commencé à remarquer avec le temps que j’avais de plus en plus peur d’aller voir les autres. Ils m’intimaient de régler des choses qui les dérangeaient, mais sur lesquelles je n’avais en réalité aucun pouvoir, encore moins à l’époque parce que j’étais plus ignorante et que ça venait d’arriver. On ne peut pas arrêter de souffrir de stress post-traumatique complexe chronique à force de volonté. Je l’ai déjà dit, mais je le répète parce que ça ne semble pas clair encore aujourd’hui, environ 12 ans plus tard et que l’ignorance qui règne encore à ce jour sur la santé mentale me renverse à chaque fois qu’elle vient me frapper.
À l’époque, j’ai commencé à m’isoler de plus en plus et à passer plus de temps sur les réseaux sociaux. Je trouvais insupportable le stress que ça me faisait vivre de côtoyer des personnes qui me diraient des horreurs fausses sur mon état et le feraient même parfois violemment en s’estimant mieux que moi alors qu’elles n’avaient aucune, mais absolument aucune idée de ce dont elles parlaient. Certaines personnes m’ont rejetée aussi parce que je préférais écouter les experts en santé mentale que leur point de vue vide sur ma vie et ce que j’avais vécu. Je pense que c’est à ce moment-là que j’ai de moins en moins ressenti le besoin de passer du temps avec d’autres personnes, d’éprouver moins de plaisir à le faire aussi. Ces personnes m’ont blessée tellement plus que je l’étais à la base. Le discours d’ignorance sur la santé mentale est probablement une des choses qui me décourage et m’a le plus blessée dans ma vie. Les informations sont pourtant là… mais il reste tellement de haine, tellement de honte… sauf pour faire semblant d’être concerné par ces sujets sur les réseaux sociaux, implication qui semble extérieurement noble, mais qui ne sert pas à grand-chose dans la vie concrète puisque la plupart des gens fuient quand il vous arrive quelque chose de vraiment grave.
Je préfère maintenant être moins entourée, mais l’être de personnes en qui je peux avoir confiance et d’ainsi conserver mon énergie pour travailler à aider les autres, dans une position un peu extérieure je l’admets, mais quand même fort utile, selon les témoignages que je reçois.
Quand je peins ce que je peins, souvent ça part d’une colère contre la société et son hypocrisie, son faux souci de l’autre aussi, même s’il existe réellement des gens ayant profondément bon cœur et étant généreux aussi. Je pense que j’en suis une de ces personnes, justement, je le dis même si je sais que certains penseront que je me surestime. Ce n’est pas le cas.
Quand on regarde mes toiles, la plupart du temps on me dit que ce qui frappe le plus c’est une forme de tendresse pour la souffrance de l’autre. Une compréhension intérieure profonde de la souffrance que les autres ont traversée aussi, parce que moi aussi, j’en ai traversé des souffrances atroces… Ça me plaît bien, ça, comme commentaire parce qu’il y a réellement en moi cette volonté de voir ce que les personnes qui ont vécu dans les lieux dépeints, qu’elles soient représentées ou pas, ont traversé. Un désir de les voir vraiment. De ne pas chercher à cacher leur réalité. De ne pas fuir ni être dégoûtée. Ça me donne l’impression de leur redonner, même si c’est tard et bien infime comme contribution, de leur importance et de leur humanité. Je n’ai que du mépris pour les gens qui détournent le regard de la souffrance de l’autre ou qui veulent la cacher.
Je continue bientôt.