La peur

            Je suis généralement une personne courageuse. J’hésite un peu parfois à faire certaines choses à cause de l’anxiété, mais je finis toujours par sauter dans le vide, peu importe les conséquences, si je veux vraiment faire ce que je veux faire. La peur est un drôle de phénomène. Elle est liée à l’expérience et aux perceptions, au vécu de chacun et au travail qu’il fait sur soi. Ce pourquoi il est assez vain, finalement, de juger de la peur des autres… Je n’ai par exemple pas peur de subir des situations qui feraient se sentir les autres ridicules, ni d’être imparfaite au quotidien. Je n’ai pas peur de voyager seule ni de marcher dans la rue très tôt ou très tard. Mes seules peurs, je crois, les principales qui restent en tout cas, sont celles entourant les relations. Et même là, elles sont limitées à certains points précis. Parfois j’avoue avoir aussi peur qu’il arrive quelque chose à Cassius, mon chien, mais ça c’est une peur pour l’autre et ce n’est pas tout à fait la même histoire, il me semble… 

            Récemment j’ai écrit un texte pour un magazine féministe qui m’a fait me poser des questions. Je n’ai pas peur qu’il ne soit pas publié. Si c’était le cas, je survivrais… Ce texte abordait le fait qu’un jour, alors que je voyageais seule, on m’a pour la première fois dit que je ne devrais pas être où j’étais seule et que j’allais me faire violer. Au lieu de ressentir l’effroi que cet homme m’avertissant voulait provoquer en moi, autre chose s’est produit. C’était un chauffeur de bus avec qui je voyageais comme passagère à travers un état américain durant la nuit. Au lever du jour, quand il m’a laissé dans la gare de bus de la ville qui était ma destination, il avait réellement changé quelque chose en moi, mais pas dans le sens où il pensait le faire, je crois. Au lieu d’avoir provoqué en moi une peur panique du viol, il m’a fait penser au fait que j’avais déjà été violée et que j’étais encore là, saine et sauve ou à peu près et que j’avais réussi à me reconstruire depuis. C’est la première fois dont je me souviens où je me suis sentie vraiment libre et où j’ai réalisé que je ne crains plus d’être violée. Je l’ai ensuite effectivement été une deuxième fois, mais pas lors d’un voyage. Plutôt ici, à Montréal et même si oui, cela m’a affectée profondément, je n’ai pas pour autant succombé au discours médiatique qui règne encore aujourd’hui qui semble nous encourager à penser que si cela nous arrive, notre vie est finie… Je me suis plutôt reconstruit encore une fois… mais toutes ces reconstructions sont épuisantes.  

            En discutant avec mon voisin, après la rédaction de l’article, je me suis surprise à constater que sans minimiser aucunement l’impact que les agressions sexuelles que j’ai vécues ont eu sur moi, qui sont quand même considérables, ce qui m’a le plus affectée, dans les violences que j’ai vécues, c’est la violence psychologique. C’est celle-là dont j’ai le plus de difficulté à me défaire des effets nocifs qu’elle a encore aujourd’hui sur ma vie. Il y a des périodes où j’y arrive, ça va bien et il y a des périodes où ça remonte et où je me retrouve exposée, à cause du stress post-traumatique complexe chronique dont je souffre, à ces mêmes violences avec une acuité aussi forte que si elles étaient en train de se produire. Ça m’arrive de moins en moins souvent, mais je tiens à être honnête et transparente et à dire que même si oui, la plupart du temps, je suis forte et courageuse, il y a des jours où les souvenirs de tout cela font plus que simplement me hanter. Ils s’incarnent dans ma vie et mon corps au point de troubler ma respiration et de me faire pleurer comme si c’était encore en train de se passer. D’où l’idée de stress post-traumatique chronique… L’aspect complexe réfère au fait que je souffre de cette condition parce que j’ai vécu des traumatismes multiples qui, justement, complexifient mon état et comment le soigner, ce pourquoi je suis en thérapie depuis si longtemps et que même si j’ai fait d’immenses progrès sur certains plans, d’autres aspects de ma vie traînent encore de la patte misérablement. 

            Hier, j’ai croisé l’homme de mon voisinage qui m’intéresse dans la rue. Je parlais à une voisine et lui parlait à son ami de l’autre côté de la rue. Même s’il m’a saluée avec enthousiasme, il y a une partie de moi qui s’est crispée et, quand je suis rentrée, j’ai fait une crise de panique quand même assez terrible. Ce n’est pas sa faute. Il n’a rien fait de mal. Ce n’est pas de la mienne non plus, parce que je ne peux pas juste ne plus souffrir de stress post-traumatique complexe chronique sur une simple décision de ma part, contrairement à ce qu’on s’attend parfois extérieurement à ce que je sois capable de faire. 

            J’ai quand même réfléchi pas mal à pourquoi je me sens dans cet état, parce que c’est important pour moi et que je n’aime pas fuir quand quelque chose me trouble. J’ai réfléchi en nageant, toute la semaine, parce que ce n’est pas la première fois que je ressens de l’anxiété et de la peur, voire de la panique, face à cette situation et que nager m’aide à moins céder à mes émotions durant la réflexion, parce que je bouge et je bouge vigoureusement. Je pense que ça me met dans cet état pour plusieurs raisons.  

            D’abord à cause de toutes les expériences négatives que j’ai vécues. Parfois les autres balaient mes peurs du revers de la main en essayant de me faire croire que je m’inquiète pour rien ou en me sortant des phrases toutes faites voulant que tout le monde ne soit pas pareil. Je sais, je me les dis aussi, ces phrases, pour arriver à encore parler à des hommes. Mais force est de constater que, bien que non identiques, il y a beaucoup d’hommes qui m’ont fait du mal dans ma vie et cela a eu des conséquences assez désastreuses sur ma vie. À un moment donné, à l’âge que j’ai et avec le vécu qui est le mien, il devient difficile de croire que les choses se passeront différemment. La répétition infinie des mauvais traitements pèse lourd dans la balance, disons… et à chaque fois que je brave courageusement ces peurs, je me retrouve face à une personne qui, elle, n’a absolument pas réfléchi à comment son comportement pouvait affecter ma vie, ce qui, je le sais, ne veut pas pour autant dire que ce sera toujours comme ça. Parfois j’ai quand même l’impression que les autres prennent les personnes qui les entourent pour des coquilles vides qui doivent juste s’adapter à leurs désirs et envies du moment et ne réfléchissent jamais à l’intériorité de l’autre justement… comment la personne en face d’eux a un vécu complexe qui sera affecté différemment par ce qu’ils choisissent de faire. 

            L’autre chose qui me pose beaucoup de difficulté est qu’il n’est jamais seul. Je me suis forcée plusieurs fois à lui parler avec ses amis, j’ai pris un verre avec eux et… et c’est infiniment difficile pour moi. Je ne suis pas une personne qui est très bien dans les groupes. J’ai aussi, à cause de plusieurs raisons mentionnées précédemment dans cet article et ce blogue, beaucoup de difficulté à montrer mon intérêt pour les autres. Le faire devant un groupe de gens, c’est comme me demander de monter un escalier trop long pour moi sur le plan du stress…. Mais je verrai bien. Peut-être qu’un jour je le croiserai alors qu’il est seul… mais lui semble plus gêné lorsqu’il est seul… alors on est mal barrés comme on dit…

            Je me dis parfois que je dois avoir l’air d’une fille de 14 ans sans expérience, vue de l’extérieur ou entendue par les personnes qui ne savent pas ce qu’il m’est arrivé. Les autres ont souvent effectivement tendance à me dire de juste lui parler, mais ce n’est pas si simple pour moi, surtout de le faire dans un grouper. J’ai peut-être aussi l’air de jouer avec lui et peut-être que ça le frustre. Je ne sais pas. Peut-être aussi qu’il est plus bienveillant que la plupart des gens que j’ai connus et qu’il ne me juge pas. Je verrai bien avec le temps. Je fais des efforts… mais il n’y a pas que moi qui doive faire des efforts… et il en fait à sa façon. 

            Dans tout cela, la meilleure façon, pour moi, de ne pas céder à la peur panique, c’est de prendre soin de moi de différentes façons. Peut-être qu’une de ces façons sera de juste laisser tomber cette histoire aussi… parce que je ne sais pas comment ne pas avoir l’air bizarre dans cette situation et que je n’ai pas vraiment d’occasion de lui communiquer pourquoi les choses se passent comme ça…

            C’est compliqué les relations… 

            Je reviens à la peinture dans le prochain billet. 

            À plus!

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