
Les gens font souvent des faces de dégoût enfantines horrifiées quand je leur parle de mes intérêts. J’avoue ne jamais vraiment comprendre profondément pourquoi, même si je sais certaines explications rationnelles de leurs peurs irrationnelles qui s’incarnent ainsi sur leur visage dégoûté. Les gens ont peur de la mort, de la maladie, d’un emprisonnement injuste, de perdre la raison et… J’ai vaguement peur de ces choses aussi, mais moins, probablement, ne serait-ce que par le fait que j’ai plutôt tendance à m’enfoncer dans la recherche et le savoir disponibles sur les choses qui me font peur qu’à les fuir, attitude (la fuite) qui me semble, d’expérience, contre-productive.
Ce que les autres font leur appartient, mais ce qui m’énerve réellement, c’est la violence que les peurs des autres me fait vivre. C’est comment souvent ils finissent par m’éviter aussi parce qu’ils préfèrent fuir ces choses que de les confronter et que je paie le prix de ce que je perçois souvent comme leur lâcheté. J’en ai aussi après l’attitude hypocrite voulant que tout le monde se prétende soucieux des horreurs qui se produisent dans ce monde et que finalement tant de personnes préfèrent littéralement éviter d’y penser de toutes les façons possibles, sauf lorsqu’il est temps de se montrer « humain » sur les réseaux sociaux. Personne ne va mourir d’être confronté à l’horreur des expériences des autres. Vous pourrez être déprimé pour un temps, avoir peur… être vaguement traumatisé, vous remémorer des souvenirs pénibles et… mais il n’y a rien là-dedans qui soit insupportable même si ce sont des états d’esprits qui ont vraiment mauvaise presse dans le monde où nous vivons. Je pense quand même qu’ils restent nécessaires à l’avancement de l’humain et à ma croissance personnelle. Vous pouvez éviter toutes les choses qui m’intéressent et vous envelopper dans une belle bulle rose si cela vous chante. Je vous demande néanmoins de le faire loin de moi et de me laisser vivre ma vie et explorer ce qui m’intéresse.
Je ne comprends jamais vraiment pourquoi des personnes qui me connaissent peuvent être surprises ou penser que je tire un plaisir malsain de ces choses que j’étudie. Il me semble qu’il est assez simple à comprendre et assez sain de ma part, après toutes les violences que j’ai vécues, de vouloir, justement, comprendre les diverses formes de violence qui sévissent dans le monde, ne serait-ce que pour ne plus me laisser faire. Ne serait-ce que pour que je puisse moi-même comprendre mon histoire et celle des personnes qui m’ont violentée. Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir de bizarre ou de malsain là-dedans? Aucune idée honnêtement. J’ai mes côté cutes aussi… J’aime les marionnettes, le jardinage, le design, la très bonne bière… et plein d’autres choses… et j’ai aussi le chien le plus adorable de l’univers bien sûr avec lequel je me comporte comme une mère beaucoup trop gentille parce qu’il me ressemble trop… Il est enjoué, énergique, hypersensible, doux, têtu et criera plus fort que vous si vous criez après lui.
J’ai fait un autre cours de peinture cet été. J’ai décidé de peindre à partir d’une image tirée d’un livre portant sur les hôpitaux psychiatriques abandonnés que j’ai acheté il y a quelques mois. Ma thèse de doctorat portait sur les écrits d’écrivaines ayant passé une partie de leur vie dans les hôpitaux psychiatriques. Le fait que j’aborde encore ce sujet plus de dix ans après la fin de mon doctorat me semble démontrer la cohérence et la constance de mes intérêts au fil du temps plutôt qu’une quelconque bizarrerie jugée superficiellement de l’extérieur. Durant mes recherches doctorales, j’ai lu (et je continue encore de le faire) sur l’histoire de ces hôpitaux et une des choses qui m’a particulièrement intéressée est le plan Kirkbride qui a servi à l’élaboration de l’architecture et de la décoration des hôpitaux psychiatriques pendant plusieurs années. À la base de la théorie qui sous-tend cette façon de construire et d’aménager les hôpitaux, il y a l’idée que le fait de fournir un environnement luxueux et beau aux patients les aiderait à guérir. Il y a bien sûr une absurdité dans ce raisonnement qui tient au fait que beaucoup de patients provenaient de milieux pauvres et que bien sûr, après leur séjour dans l’endroit luxueux, ils seraient renvoyés sans ressources dans les mêmes endroits où ils vivaient avant et n’auraient plus accès à ces immenses villes hospitalières pleines de verdures, de teintes apaisantes et de beaux objets… Mais je ne pense pas qu’il faut s’arrêter tout simplement à l’amertume et l’indignation que cela peut faire naître en nous de façon très juste.
Dans son livre de photographie, Asylum, Christopher Payne présente les magnifiques clichés qu’il a tiré de ses visites dans les hôpitaux psychiatriques abandonnés. Le titre joue habilement sur le sentiment qui l’a habité tout au long de ce travail qui n’en est pas un d’horreur comme certaines personnes pourraient l’imaginer. Payne a plutôt été fasciné par le fait que les hôpitaux sont en fait comme de petites villes où l’on retrouve des fermes, des productions laitières et maraîchères et… Donc des endroits où il peut faire bon vivre, où trouver asile. Ce qu’il a donc vu, en plus de la souffrance évidente qui habitait ces lieux, ce sont aussi les traces d’une communauté se suffisant à elle-même à côté d’un monde où tout conspirait tranquillement à nous amener à l’état d’individualisme extrême dans lequel nous vivons. Il souligne aussi ce que je vois également dans ces lieux malgré l’absurdité mentionnée précédemment, qui est la beauté, mais aussi et surtout la volonté de prendre soin, parce que même s’il y a eu de mauvais choix faits dans les traitements, des erreurs de jugements, une volonté d’éradiquer l’anormal, le différent et… Il y a aussi, dans ce soin de l’aménagement des hôpitaux, l’envie que les gens aillent mieux.
C’est pour ça que quand quelqu’un s’indigne en voyant ce que je fais et me dit « C’est morbide! », je ne peux pas m’empêcher de trouver la personne superficielle dans son jugement. (C’est encore une phrase prononcée par celui qui a dit la même chose de mon tatouage d’hyène, oui…) Je ne pense pas que ça a quoi que ce soit de morbide de ma part de vouloir attirer l’attention sur ce que ces personnes ont traversé et les lieux dans lesquels elles ont vécu. J’y vois au contraire une forme de réalisme, de tendresse et de courage.
Je continue bientôt.