
Quand j’ai adopté mon chien Cassius, il était très timide avec tout le monde. C’était un petit garçon de la campagne qui n’était pas habitué aux bruits de la ville, encore moins à ceux du quartier quand même central où j’habite. Je l’ai forcé à marcher dans les endroits bruyants sur de courtes distances pour l’aider, mais nous ne pouvions pas vraiment approcher des gens ni des autres chiens tant qu’il n’avait pas tous ses vaccins. C’était difficile parce qu’il est très curieux et aussi absolument adorable, ce qui faisait que tout le monde voulait le prendre ou le caresser, ce qui est très agressant. Les chiens, pas plus que nous, ne veulent pas se faire toucher par n’importe qui n’importe quand. Ça n’a pas l’air clair pour beaucoup de personnes.
Quelques jours après qu’il ait reçu ses vaccins complets, assez de temps pour que ça fasse effet, nous sommes sortis dans la rue et un monsieur s’approchait en souriant avec son immense berger anglais. Tous les deux avaient l’air si gentils que j’ai décidé que ce serait la première rencontre canine de Cassius. L’immense chien, quand il a vu mon petit, s’est couché sur le sol et a attendu patiemment que Cassius vienne le sentir. Ce n’est qu’une fois mon chiot rassuré qu’il s’est redressé sur ses grandes pattes et a entrepris de jouer avec lui doucement. Il s’appelle Winston, ce doux et magnifique chien. Son maître s’appelle Michael. C’était à la fin de l’hiver. Durant les mois qui ont suivis, j’avais l’habitude de croiser Michael et Winston tous les matins et Cassius les aimait vraiment beaucoup. Cassius est comme un petit chat et saute sur les grands chiens avec les pattes avant tendues et leur fait ce que nous appellerions un câlin en leur serrant le cou. J’étais bien heureuse que mon chiot soit tombé sur un aussi gentil chien avec un aussi gentil maître pour sa première rencontre qui l’a marqué puisque lui aussi, maintenant, se couche patiemment quand des chiens approchent pour montrer qu’il n’est pas menaçant.
Ce matin, en promenant Cassius, j’ai appris que Michael est mort d’un cancer foudroyant. Depuis quelques semaines, je ne le voyais plus. Je voyais souvent son conjoint, mais il était devenu distant et froid. Je ne comprenais pas pourquoi, mais j’étais surtout triste pour mon petit qui avait perdu son bon copain puisque son conjoint ne le laissait pas s’approcher. Ce matin je les ai croisés au parc et, pensant que mon gentil monsieur avait juste changé d’horaire, j’ai demandé à son conjoint pourquoi je ne le voyais plus. Mon cœur s’est arrêté. Le cancer a pris environ 3 mois à le tuer. Il est devenu plus malade au moment où je finissais la session et je me demandais bien où il pouvait bien être, mais je n’avais pas imaginé ça. Je me suis retrouvée à brailler dans le parc avec le conjoint (dont j’étais trop sous le choc pour lui demander son nom, mais je n’y manquerai pas bientôt) qui m’a dit aussi que deux semaines après il avait perdu sa mère qui avait demandé l’aide à mourir parce qu’elle n’en pouvait plus. J’ai parlé un moment avec lui et après je suis rentrée, le cœur gros, surtout que cette semaine c’était le 2e anniversaire de la mort d’Alain et qu’un autre ami de mon voisin dont c’était l’ami a aussi demandé l’aide à mourir. C’était une semaine d’immense chagrin.
Rentrée chez moi, j’ai pleuré encore. À la fois de tristesse et d’émerveillement. Michael ne m’a jamais dit qu’il était mourant alors qu’il le savait déjà le jour où nous nous sommes rencontrés. Je l’appréciais beaucoup. J’aimais son immense sourire, sa curiosité et sa patience avec mon petit loup hyperactif. Sa bonté envers son Winston aussi. J’ai confondu sa résignation à sa mort avec une vague tristesse qui lui traversait parfois le regard et que j’avais tendance à associer à la pandémie ou à des choses du quotidien qui ne me regardaient pas, bien que je l’aurais écouté s’il m’en avait parlé. Michael est mort dans les bras de son amoureux et entouré de ses amis.
Je vis beaucoup d’émotions ces dernières semaines, mais cette situation et tous les morts récents ou plus anciens me donnent envie de vivre. J’avais commencé l’histoire du tatouage d’hyène, mais je n’ai pas envie de la continuer pour le moment. Je n’ai pas envie de passer du temps à expliquer en quoi est inadéquat le comportement d’un homme qui me gâche mon plaisir à chaque fois que quelque chose me rend fière ou heureuse et qui ensuite me fait une crise de nerfs parce que je lui dis que ses propos sont blessants. Il me semble que je ne devrais même pas avoir à expliquer ça. À expliquer que son comportement est puéril et déplacé et que s’il n’est pas capable de juste respecter les goûts des autres et d’être heureux pour eux quand quelque chose leur arrive, il y a quelque chose qui ne va pas. Je ne veux plus des gens qui agissent de cette façon dans ma vie. La vie est courte. Elle doit être pleine d’amour et de bienveillance. Pas de jeux d’esprit cheaps pour rabaisser les autres en s’amusant soi-même. J’ai assez de travail à faire sur moi comme ça. Je n’ai pas besoin de prendre les autres en charge. Surtout les personnes qui ne me respectent pas. Je veux être entourée de personnes qui savent aimer.
J’ai réalisé aussi, récemment, que je suis encore pas mal pleine de tristesse de plusieurs choses pénibles que j’ai vécues dans le passé. J’ai la cage thoracique, les épaules et le cou qui font très mal et sont coincés. Je suis allée voir une massothérapeute qui a suggéré différentes choses, dont le fait de me réchauffer le cœur d’une façon non métaphorique en y mettant un coussin chauffant, ce que je fais quand la température le permet. Ça peut sembler farfelu, mais ça ne l’est pas. Les émotions ont un siège particulier dans le corps et elles peuvent y rester très longtemps si l’on n’a pas pu prendre le temps de les vivre. Ma respiration commence à reprendre un peu d’ampleur. Je sais aussi que c’est mon intérêt récent pour quelqu’un qui réactive un peu tout cela parce que bien que j’aie envie de le connaître plus et qu’il semble que lui aussi, c’est la terreur qui m’anime. Pas de lui. Il me semble gentil et bienveillant. Sincèrement. Ce qui m’habite, c’est la terreur de revivre des choses que j’ai vécues trop souvent, la terreur d’être encore face à la possibilité que ce soit une autre personne qui n’écoute rien et qui ne réfléchit pas à l’impact que ses gestes peuvent avoir sur les autres, une personne incapable de faire des liens. Sa façon d’être semble dire le contraire. Il a fait quelque chose qui me montre qu’il a probablement un très grand cœur et s’est approché un peu plus cette semaine. Je pense que ce qu’il me reste à faire de mon côté c’est surtout de me rappeler de ma force et de tout ce à quoi j’ai survécu et d’essayer d’ouvrir mon cœur peu à peu pour avoir le courage de dépasser la peur. J’ai envie de vivre. J’ai envie d’aimer.