

Quand je repense à mon passé, la chose que je regrette le plus, c’est de ne pas m’être éloignée plus rapidement des personnes qui ne me respectaient pas. On ne peut pas forcer quelqu’un à nous respecter. Quand une personne ne nous respecte pas dès le départ, c’est inutile de continuer. Il vaut mieux quitter pour aller vers d’autres personnes qui sauront mieux être avec nous dans notre vie.
Je comprends bien quand même, que j’ai agi de cette façon parce que je ne m’aimais pas et que je cherchais en quelque sorte à ce que l’autre me prouve ma valeur, me donne le droit d’exister. Et j’ai continué à faire ça pendant longtemps, absolument convaincue de devoir être reconnaissante des moindres miettes d’attention qu’on me donnait. Je comprends bien ce qu’il en a été et pourquoi. Je suis cependant très heureuse d’en être sortie et je ne veux plus commettre les mêmes erreurs. J’ai appris.
Ça m’a coûté cher quand même. Par exemple sur le plan de l’écriture. Il y a seulement 3 personnes dans ma vie qui m’ont dit que ce que j’écrivais était de la marde, dont le fameux « ami » dont j’ai parlé l’automne dernier. J’étais tellement attachée à l’image de moi négative que j’avais acquise au début de ma vie, que ce sont ces personnes que j’ai crues, au lieu de la bonne centaine d’autres qui m’ont toujours félicitée et encouragée, ou qui ont au moins fait des commentaires constructifs. La vérité c’est que dans les textes que j’ai envoyés dans ma vie, il y en a seulement trois qui ont été refusés pour publication… Pour les autres, ça a toujours été accepté et souvent avec un grand enthousiasme. Il reste que je n’ai pas écrit autant que j’aurais voulu à cause du poids de ces commentaires mesquins. Aussi parce que l’homme qui m’a agressée sexuellement à 20 ans faisait partie du milieu littéraire montréalais et que j’avais peur de le croiser… mais je l’ai vu juste une fois et il me prenait en photo de loin dans une soirée de poésie. Ça m’a dégoûtée. Il y a d’autres raisons aussi, mais j’en viens à bout tranquillement.
Je ne veux plus m’attarder sur ces personnes et sur ce temps perdu, même si je trouve la dynamique que je vivais intéressante en soit. À la fois convaincue de ma nullité malgré toutes les bonnes choses qu’on me disait et à la fois terrorisée par l’éventualité d’un échec dont ma personnalité d’alors était trop fragile pour se relever s’il se produisait. Avant, je considérais mon travail comme étant le signe de ma valeur totale ou de son absence. Ça m’a pris du temps pour arriver au point où je sais que je suis toujours en apprentissage et que si quelqu’un juge injustement mon travail à partir de critères qui ne me semblent pas tellement pertinents, et surtout s’il y a eu une lecture extrêmement superficielle, c’est de l’autre que ça parle et non de ma valeur ni de la valeur de mon travail. J’ai dû traverser un immense chemin pour arriver à l’assurance que j’ai aujourd’hui de la valeur de ce que je fais. Ça a quelque chose de terrible, le bombardement de critères personnels qu’on confond avec des universaux qu’on reçoit sans arrêt et sans l’avoir demandé. C’est pénible et souvent décourageant.
Ça me fait rire parfois quand on me dit que je suis négative. Il me semble au contraire être très enthousiaste et presque comme une enfant dans ma soif d’apprendre, d’expérimenter et de créer. Tellement de choses me passionnent! Le seul domaine où je suis probablement plus sombre, c’est celui des relations affectives, mais c’est la conséquence de très nombreuses mauvaises expériences et non le signe d’une négativité absurde et exagérée qui caractériserait ma personne.
Durant les violences de mon enfance et par la suite en thérapie, j’ai appris à être bien seule. C’est une chose qui m’a profondément marquée pendant la pandémie, à quel point beaucoup de personnes ne savent pas être seules et trouvent même cela insupportable. J’ai lu un livre récemment sur l’incapacité d’être seul et la toxicomanie. J’en parlerai bientôt… Durant les 15 dernières années, j’ai appris à être bien avec ce qui m’étais arrivé, à explorer et enrichir mon intériorité, à comprendre pourquoi j’ai vécu ce que j’ai vécu, à savoir ressentir mes émotions… Ça a été un très bon travail, très intéressant, très long. Aujourd’hui, je ne laisse jamais aucune peur m’arrêter. Surtout pas celle d’être seule. Je ne me fie plus non plus aux jugements des autres même si parfois ils me blessent encore. Ce n’est pas tant ce qui est dit qui me blesse d’habitude. C’est plutôt ce que cela révèle que l’autre pense de moi, surtout quand ce sont des personnes dont je pensais qu’elles m’aimaient et dont je réalise qu’elles ne me connaissent pas du tout et ça parfois ça me brise le cœur. Ça fait un moment quand même que j’ai en quelque sorte quitter le monde, quitter les objectifs des autres, quitté le party où je m’ennuyais comme Björk dans sa chanson :
Come on girl
Let’s sneak out of this party
It’s getting boring
There’s more to life than this
It’s still early morning
We could go down to the harbor
And jump between the boats
And see the sun come up
We could nick a boat
And sneak off to this island
I could bring my little ghetto blaster
There’s more to life than this
There’s More to Life Than This – Björk
Aujourd’hui, ça me prend très peu de choses pour être heureuse. Ce sont rarement des choses qui émeuvent les autres à qui il semble souvent nécessaire d’avoir presque une fête foraine constante pour avoir des miettes de plaisir. Je suis facilement satisfaite de ce que j’ai. J’aime ma vie. Je ne crache pas sur les autres au quotidien, je ne les rabaisse pas, même si parfois je suis dure avec eux, mais toujours après qu’ils m’aient vraiment blessée et souvent de façon inutile et injuste. Je ne m’ennuie jamais et… Je vais bien. J’aime avoir la force et la liberté de la solitude quand je la désire. Ce matin, le beau Cassius et moi avons lu sur Turner et dansé dans la cuisine. Quelle belle journée!