
Si je devais imaginer des profils qui me plairaient sur des sites de rencontres, je pense que je préférerais vraiment beaucoup voir de simples photos du quotidien que ce à quoi j’ai été exposée quand j’y suis allée dans le passé. Un gars en train de marcher, un gars qui fait son épicerie, un gars assis dans sa cuisine, buvant un café… comme ça, je pourrais voir si je peux m’imaginer assise sur la chaise à côté. Ce serait plus invitant que les photos de sports extrêmes, d’immenses partys, de voyages infinis et… qui sont plus intimidantes qu’autre chose. Je sais que l’idée est de montrer une forme de dynamisme, mais c’est plus décourageant que séduisant, pour moi. Ça ne correspond pas à la vie que j’ai envie de vivre qui est quand même très dynamique à sa façon. Je fais beaucoup de choses, mais pas nécessairement des choses qui ont l’air épiques de l’extérieur. Je pense qu’elles le sont quand même et demandent beaucoup de courage, même s’il est invisible. Elles demandent aussi beaucoup d’humilité, mais accompagnée d’une forme de confiance en soi. Les images que je vois sur ces sites sentent la fausseté pour moi. Elles ont l’air épuisantes aussi et me font me sentir plus inadéquate qu’attirée.
J’imagine qu’une des conclusions que je peux tirer de cette expérience est combien, encore une fois, je ne suis pas si bien adaptée à la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Je ne sais pas si tant de personnes y sont adaptées non plus… mais elles font semblant de l’être pour avoir quelque chose à montrer sur les réseaux sociaux. Les apparences ne sont pas pour moi l’aspect attirant des réseaux sociaux. Les vies extérieurement et visiblement épiques m’ennuient plus qu’elles ne m’attirent. Les vies parfaites aussi. Je n’ai pas tellement besoin de sensations fortes. J’en ai eu beaucoup, déjà. Je préfère vivre à un autre rythme et avec d’autres préoccupations, chose qui m’a protégée durant la pandémie.
La série de billets qui précèdent celui-ci ne vise pas à affirmer que je suis parfaite et que tous les autres sont le problème, ce qui est le jugement mesquin que certaines personnes n’hésiteront pas à poser. Bien sûr que j’en ai, des problèmes, des défauts et des difficultés. Je ne serais pas en thérapie depuis 15 ans si je n’en étais pas consciente. La longueur de ma thérapie ne dit pas non plus qu’elle ne fonctionne pas. Je pense qu’il y a souvent erreur de la part des autres sur ce que signifie être en thérapie. Le but n’est pas de faire de moi une bonne vivante extrovertie entourée d’une tonne d’amis qui sourit tout le temps et désire le modèle de vie prôné encore aujourd’hui par la société et qui implique nécessairement d’être en couple peu importe le prix pour nous de l’être. Ce n’est absolument pas ça, mais je pense que plusieurs pensent que la thérapie est faite pour ça. D’autres pensent qu’elle est pour les malades mentaux uniquement. Encore aujourd’hui, quand j’en parle, il arrive très souvent que les gens sont immensément surpris et font comme si je leur avouais un terrible secret. Il n’y a aucune honte à aller en thérapie ni à l’admettre publiquement. C’est au contraire le signe qu’on est humble, qu’on accepte le fait d’être imparfait, d’avoir besoin d’aide pour certaines choses et d’accepter de travailler sur soi… et tout ça prend du temps… vraiment beaucoup de temps et d’efforts. Les schémas que nous avons intégrés, les idées fausses, les traumatismes vécus et… Tout cela ne se déprogramme pas rapidement.
Ma thérapie a plusieurs objectifs. Elle sert à défaire les conditionnements violents que j’ai vécus enfant. Elle sert à avoir une image plus juste de moi que celle infiniment négative qu’on a voulu que j’aie toute ma vie. Elle sert à décortiquer les structures sociales qui ne sont absolument pas adaptées à une personne comme moi et font que je me fais souvent violenter et que je me sens en cage dans un pays où on prétend valoriser la liberté et la différence. Je sais que ce serait bien pire ailleurs, oui… mais ça n’empêche pas la lourdeur qu’il y a à subir tout cela au quotidien. Elle sert à m’aider à détecter les violences que les autres me font subir (et dont ils ne sont pas toujours conscients et qu’ils nient très souvent sans même écouter ce que j’ai à dire) au quotidien. Elle sert à m’apprendre à vivre avec le stress post-traumatique complexe chronique et la dysthymie dont je souffre dans une société délirante et inhumaine qui me voudrait souriante et épanouie 24h sur 24 alors que c’est impossible. Elle sert à m’aider à réaliser mes rêves et me donner une belle vie, la plus belle qui soit malgré la pression des autres. Elle me sert à faire revivre les « moi » que j’ai assassinés pour plaire aux autres. Elle sert à me montrer qu’il existe des personnes qui peuvent faire preuve d’une empathie et d’une écoute réelle face à ce que je vis et ne pas s’enfuir en courant en écoutant le récit des violences que j’ai vécues, ni essayer de me faire croire que c’est pour elles qu’elles sont terribles et « trop ». Elle sert à beaucoup d’autres choses aussi… Elle ne sert probablement à rien de ce que vous imaginez qui devrait en résulter comme mon « moi » produit fini qui vous conviendrait.
Ma thérapie est aussi tellement longue parce que l’absence de remise en question des autres et leur incapacité à s’intéresser à l’intériorité de l’autre font que les relations que je vis détruisent beaucoup des progrès que je fais en thérapie et que ces personnes s’en fichent éperdument. C’est une des raisons pourquoi je n’insiste plus dans mes efforts pour être en relation et pourquoi parfois je m’éloigne rapidement. J’ai tellement dû me reconstruire souvent. Le truc, c’est que pendant ce temps, je passe à côté de ma vie à moi en essayant de plaire à d’autres et en réparant les dégâts qu’ils ont fait par manque d’envie de réfléchir souvent. Par manque de curiosité pour l’autre aussi. Je ne veux plus avoir à réparer les dégâts que les autres font dans ma vie sans hésiter alors que je prends soin de la leur. La plupart des gens veulent que les autres et les choses soient comme ils veulent quand ils veulent tout le temps, d’où les infinis commentaires manquant de sensibilité, voire étant parfois carrément violents auxquels je suis exposée constamment… et je ne suis pas la seule. Le monde et les autres n’ont pas à être comme vous le voulez. Ils n’ont absolument pas ce devoir de vous satisfaire. Je le comprends de mon côté et ma solution est d’essayer d’être curieuse face à l’autre, ses goûts, ses intérêts, sa façon de vivre… De comprendre par exemple, pour prendre un cas léger, que peut-être vous n’avez pas absolument à être toujours dans un environnement où la télé est immense pour passer un bon moment. De vous ouvrir à la possibilité que l’environnement de l’autre révèle ses priorités, sa situation présente et ses moyens et n’a pas à être parfait pour vous, mais pour cette personne. La définition d’avoir une qualité de vie n’est pas la même pour tous… La mienne est plutôt liée aux activités que j’aime, à mon chien, à l’art et à la possibilité de vivre à pied qu’à une grosse maison avec une grosse voiture, choses dont je n’ai honnêtement rien à foutre même si j’aimerais avoir un peu plus d’espace pour créer.
Cette curiosité m’est cependant rarement rendue et on exige plutôt de moi que je corresponde à une définition qui en fait me répugne. On me dit par exemple que je devrais être plus légère… On réfère souvent en disant ça au fait qu’on voudrait que j’élimine toute trace de mon passé de moi. On voudrait aussi que je change mes intérêts. Je suis une spécialiste des représentations de la violence et des textes écrits pendant ou à la suite de circonstances d’une extrême violence. C’est ça qui m’intéresse. Pas les petites fleurs et les chatons roses, même si j’aime jardiner, oui. Me demander de rejeter mon sujet de recherche pour que je m’intéresse davantage à des choses qui vous seraient plus légères est complètement absurde et extrêmement violent. Je ne pense pas qu’on demanderait à un homme de changer de sujet de recherche et d’intérêts pour plaire aux femmes… parce qu’il y a l’idée, dans la société, que c’est aux femmes de s’adapter et non aux hommes… qu’elles doivent être malléables, sorte de produit de consommation rapide qui doit leur plaire peu importe ce qu’elles veulent. Je refuse ça et je le refuserai jusqu’à ma mort, même si cela signifie de rester seule toujours. J’ai quand même confiance qu’il existe des personnes intelligentes qui me poseront des questions sur pourquoi je fais cela plutôt que de m’assommer et me violenter avec ce qu’ils pensent que je devrais être.
Je n’ai pas non plus l’intention d’effacer mon passé, de me rejeter pour plaire. Les rares fois où je l’ai fait, tout ce que j’ai récolté ce sont des mauvais traitements (physiques parfois, mais surtout psychologiques) octroyés par des hommes violents qui s’assumaient en droit de me traiter de la sorte puisque je n’étais pas ce qu’ils voulaient. C’est donc une avenue que j’ai abandonnée. Pour toujours. Il faut que ce soit clair pour tout le monde qui me connaît et les personnes que je rencontrerai. Si ça ne vous plaît pas, partez. J’ai le droit de vivre et d’être moi et de remplir les tâches que je me suis données même si elles en répugnent plus d’un. Je n’ai pas à être facile à digérer pour avoir le droit de vivre et d’être respectée. Je n’existe pas pour vous et c’est infiniment violent de me demander de le faire, de renier qui je suis pour vous plaire, pour votre satané confort et votre satisfaction qui semblent primer sur tout, même sur le droit d’exister de l’autre. Je suis très heureuse à ma façon, même si ma définition du bonheur ne correspond probablement pas à la vôtre… mais vous me gâchez souvent mon bonheur en essayant de m’interdire d’être qui je suis.
On voit souvent dans les films une femme ayant été agressée et il y a un valeureux homme qui va essayer de la comprendre, de l’apprivoiser et… Ça ne m’est jamais arrivé. On a plutôt exigé de moi que j’efface toute trace de qui je suis pour convenir à l’autre. Je suis certaine que beaucoup des hommes qui m’ont violentée se disent qu’ils agiraient comme cet homme à l’écran et s’identifient à lui… alors que c’est complètement faux la plupart du temps. Je sais cependant que c’est possible, parfois. Mon voisin S m’a raconté cette semaine que quand il a rencontré son amoureuse, M, elle était gravement traumatisée, mais qu’il a compris ce qu’il se passait et a travaillé à gagner sa confiance et après des débuts un peu difficiles, ils sont ensemble, heureux, et je pense bien qu’ils le seront longtemps. Ils sont très beaux à voir. Donc ils existent, parfois, ces hommes oui, mais ils ne sont pas la majorité. La plupart veulent des histoires faciles en ne s’apercevant pas que c’est eux qui rendent les choses difficiles en refusant d’accueillir l’autre personne comme elle est, où elle est, en essayant de la modeler à être comme ils veulent. C’est vraiment pénible et désespérant… mais j’ai choisi de vivre il y a de cela très longtemps et j’ai fait preuve d’une force et d’un courage incroyables en me relevant à chaque fois et en ouvrant mon cœur à nouveau. Reste à voir si quelqu’un me le rendra un jour.
Bonne magnifique journée de pluie!