
Le plus drôle dans tout cela, et le plus triste en même temps, c’est que ces hommes qui me traitent comme une Madame Patate à assembler, exigent souvent que je pense d’eux qu’ils sont de bonnes personnes, des bons gars… et qu’à quelque part c’est moi qui suis folle de ne pas juste me soumettre à leurs dictats qui leurs semblent tout à fait réalistes…
Je me suis ainsi fait conseiller ardemment, quand j’étais un peu plus jeune, de perdre du poids jusqu’à atteindre 115 livres (le seuil de maigreur de mon corps est de 114 livres…), on m’a accusée de ne pas être féminine parce que je porte des Dr. Martens… J’ai manqué ce cours de féminité 101 là… On m’a conseillé de m’acheter une Mini Cooper au lieu du van que je voulais pour faire du camping avec le chien, comme si ces deux types de voitures avaient les mêmes fonctions. Mon genre de voiture, si elle n’était pas aussi polluante, c’est un vieux Land Rover de téléséries policières britanniques… pas une « tite voiture de madame » qui restera inévitablement prise dans un banc de neige… mais j’imagine que refuser d’être vulnérable et perdue face aux intempéries, ce n’est pas assez féminin de ma part non plus. Mon envie d’avoir mon chien et mon matériel d’art avec moi? Pfff!!! Aux chiottes! Ce sont leurs désirs qui comptent et leurs opinions! Surtout leurs grandes et précieuses opinions qu’ils doivent dire constamment et tout le temps sans se poser aucune question sur leur pertinence ni sur la bienveillance dont elles font preuve ou pas.
Je parlais des sites de rencontres dans le dernier billet. Je n’y suis pas retournée. Il n’y a rien que je déteste plus que ça. D’abord l’image de l’autre est toujours fausse. Les hommes me parlent constamment comme si j’étais une imbécile cute, et ce, même si j’indique mon niveau d’études… ou alors c’est l’inverse, ils se sentent mal d’être eux-mêmes et me parlent sans arrêt de leurs fautes de français, comme si j’en avais quoi que ce soit à foutre des fautes de français… Ça fait partie de mon travail de les corriger pour m’assurer de contribuer à la subsistance d’un code commun, mais après, ça ne m’indique rien sur l’intelligence de quelqu’un. Ensuite, après avoir corrigé des milliers de copies qui contiennent des dizaines et des dizaines de fautes depuis le début de ma carrière, ça en prendrait vraiment pas mal pour m’impressionner et me décourager, honnêtement. Ils commentent mon corps, font des crises de nerfs sur mes photos pas assez explicites, me font des menaces, mon amie a été agressée à la suite d’une rencontre faite sur un de ces sites, ils se montrent les muscles dont je n’ai aussi rien à foutre, ou alors ils assument qu’ils sont plus intelligents que moi et je redeviens cette petite affaire cute idiote à qui il faudrait expliquer la vie et… En plus ça ne me dit rien, les photos. J’ai l’impression de magasiner des humains par catalogue et ce qu’il se passe après est toujours éminemment perturbant. Donc je n’y vais pas. Et non, je ne pense pas que les 3000 hommes qui ont aimé mon profil sont tous des imbéciles ou des montres, mais le processus est tellement long et pénible que je n’arrive jamais à garder mon compte ouvert longtemps. Ça affecte beaucoup trop ma santé mentale.
Parfois, quand je commence à voir quelqu’un, ce n’est guère mieux. S’ils viennent chez moi, je devrai entendre comment c’est petit (dangereux même, une fois, parce qu’il y a un escalier à l’intérieur, figurez-vous… escalier que je monte et descend depuis 15 ans en ayant miraculeusement trouvé le moyen de ne pas y perdre la vie), les couleurs des murs sont laides, c’est trop bordélique, la télévision n’est pas assez grande, je n’écoute pas la musique qu’ils voudraient que j’écoute, je ne mange pas ce qu’ils voudraient que je mange, mon chien est énervant, l’internet est trop lent, je ne regarde pas la série qu’ils veulent que je regarde et… C’est un infini défilé de princes petits pois qui s’imaginent que leur opinion négative sur mon espace de vie est pertinente, vraie et juste… Alors que c’est plutôt agressant et absolument par pertinent. Ça me fait toujours rire, l’idée d’imiter ces personnes. Je pleure de rire en m’imaginant aller chez quelqu’un et dénigrer tout ce que je vois. Honnêtement, je n’en reviens jamais quand les gens font ça… de comment c’est dénué de toute réflexion, mise en perspective, respect et conscience de l’autre.
Après il y a la question du temps. Ça m’énerve, moi, de voir mon téléphone s’activer 50 000 fois par jour par quelqu’un qui n’a pas l’air de pouvoir respirer sans moi et dont je me demande comment il a survécu jusqu’alors. Je sais bien sûr que c’est parce qu’il s’est accroché à quelqu’un d’autre avant, quelqu’un qui s’est laissé étouffer un temps, mais ça ne me tente pas du tout. Une fois ça m’a pris trois heures pour installer un cadre sur un de mes murs. Le gars appelait sans arrêt et si je ne répondais pas, il rappelait immédiatement et pétait une crise en me disant que j’étais supposée être chez moi (je n’avais pas de cellulaire à l’époque…). Je ne l’ai pas fréquenté longtemps. Je suis encore hantée par le nombre de fois où je suis montée et descendue de cette chaise. J’ai fini par installer le cadre, oui, mais maintenant j’y repense à chaque fois que je le regarde. Je ne sais pas comment je suis supposée avoir du temps pour faire mon travail et ce que j’aime dans une situation comme ça. Un homme s’est aussi imaginé que je désirais aller faire un pèlerinage de marche de trois mois au Japon pour coucher avec des moines bouddhistes… Oui… c’est ça ma motivation. Il n’y a pas d’autres raison possible. Me voilà démasquée.
Il y a la question du standing social aussi dont je n’ai personnellement rien à foutre, mais qui semble en obséder plus d’un. Je me suis ainsi fait exiger de déménager sur le Plateau Mont-Royal parce que l’homme que je voyais pensait que ça entachait son image de vivre avec quelqu’un qui vit dans le Village… D’autres hommes ont refusé de venir chez moi parce qu’ils avaient peur de se faire aborder par des hommes dans la rue… Ça m’a déçue… Ils auraient pu apprendre quelque chose sur les commentaires malvenus et l’insistance déplacée. Je déteste aussi les endroits dispendieux et luxueux. Ça me donne la nausée… alors tenter de m’impressionner comme ça c’est peine perdue. Je cherche du respect et des valeurs… Pas un standing ni les apparences.
Donc devant tout cela, ça m’arrive peu souvent, maintenant, de fournir des efforts pour rencontrer de nouveaux hommes. À chaque fois je me sens envahie par tous les souvenirs mentionnés dans ce billet et les précédents de cette série. Et quand on me demande si je n’ai pas peur de rester seule, la réponse est non. Ce serait plus terrible d’avoir à revivre encore des épisodes de stress post-traumatique sévères parce que ça ne leur tente pas de réfléchir ni d’écouter ce que je dis. Parce que c’est ça, l’enjeu, pour moi et que tout le monde oublie tout le temps, il y a toujours ce risque qui est beaucoup plus grave que simplement me faire rejeter. Et contrairement à ce que pensait idiotement l’homme qui m’a demandé de cesser immédiatement d’avoir des effets secondaires des violences vécues parce que ça le dérangeait, ce n’est pas possible pour moi de le faire. Même si j’arrive à chaque fois à me dire que peut-être cette fois ce sera différent, il semble arriver inévitablement que l’autre n’a pas du tout travaillé sur ses problèmes et me chie encore dans les mains.
Honnêtement, je suis de bien meilleure compagnie que bien des hommes que j’ai rencontrés, ne serait-ce que parce que je suis capable de m’intéresser à la réalité de l’autre, de ne pas lui imposer des horreurs et, surtout, parce que je suis capable d’aimer sans chercher à rabaisser l’autre ou le détruire. C’est extrêmement rare et précieux. Je le sais maintenant. Je suis ouverte, oui, à la possibilité d’être en relation, mais rester seule ne serait absolument pas la pire des choses qui pourraient m’arriver.