You think of me in bed
But you could never hold me
And like me better in your head
Dream Girl Evil – Florence and the Machine
Du plus loin que je me souvienne, je n’ai jamais commenté négativement le corps d’un homme et je n’ai jamais dit à un homme à quoi il devrait ressembler pour me plaire. Je l’ai peut-être fait enfant ou adolescente, mais là, on ne peut pas me demander d’avoir développé une conscience de moi et de l’autre plus vite qu’il n’est possible de le faire dans le développement normal d’une personne… On m’a cependant toujours commentée, me disant quand je maigrissais, quand j’engraissais, chacun ayant leur interprétation de si c’était correct ou pas. On a commenté la longueur de mes cheveux, leur couleur, chacun les voulant comme il le désire. On aborde très sérieusement la quantité de maquillage que je porte ou pas. On m’a conseillé de me mettre du rouge aux joues pour plaire, comme si on était dans les années 50 ou encore comme si le fait que je trouve la texture du maquillage dégoûtante n’avait aucune importance. Je déteste cette sensation sur ma peau… et l’odeur que les substances ont parfois… Je tolère parfois un peu d’ombre à paupières ou encore du mascara. Je vis très bien avec l’eyeliner. Le reste non. Je n’aime pas le maquillage, mais les autres peuvent faire ce qu’ils veulent de leur visage. Même l’eyeliner est trop de maquillage pour certains qui me disent alors que je devrais juste me montrer naturelle. On commente ma peau, qu’on dit trop blanche et l’on m’accuse alors d’être gothique ou de vouloir avoir l’air d’une vampiresse, alors que ce n’est pas du tout ce à quoi je m’identifie. J’ai la peau extrêmement blanche, translucide et fine de mes ancêtres écossais. J’en ai hérité génétiquement. Il y a d’autres traces d’eux qui se voient dans ma couleur de cheveux naturelle. Ça s’arrête là.
On commente aussi ma garde-robe. Je devrais porter plus de couleurs, ou moins. Des vêtements plus amples. Des vêtements plus serrés. Je devrais montrer mes seins. Je devrais les cacher. On suppose de ce qui m’habite. On me dit de prendre le pouvoir de ma sexualité en me montrant à moitié nue. On suppose des raisons pour lesquelles je ne le fais pas. Je ne suis pas assez libérée. Je ne suis pas épanouie. Je dois avoir un problème avec la sexualité. On ne questionne jamais la définition du pouvoir qu’il y a à l’origine de ces commentaires crétins. On me dit que je n’ai pas à avoir honte ni à me cacher. On décide que c’est ce que je fais, puisque bien sûr toute femme qui se respecte a envie d’être à moitié nue dans la rue. C’est ça, être libérée. Libre de recevoir encore plus de commentaires dégoûtants et pénibles qu’on devrait prendre pour des compliments. Jamais les questions de ce que je veux et de mon confort personnel, de comment je me sens bien, de ce qui me plaît, de ce que moi, je trouve beau, ne sont abordées. On me regarde avec une face de dégoût et des yeux exorbités quand je ne suis pas en robe ou en short l’été. « Tu n’as pas chaud? », sort inévitablement d’une face déformée d’horreur, avec parfois la langue qui déforme la lèvre d’en bas pour que je puisse bien voir le dégoût ressenti à ma vue et mon état de pauvre femme habillée. Ça ne semble traverser l’esprit de personne que je suis une adulte et que je suis capable de prendre des décisions. Si je n’étais pas bien et si j’avais envie d’avoir l’air d’autre chose, je me changerais tout simplement. J’ai cette capacité, aussi incroyable que ça puisse sembler. Et c’est sans compter les autres commentaires que je reçois sur mon apparence de professeure parce que je ne ressemble pas à ce à quoi on pense que je devrais ressembler.
La semaine dernière un homme m’a crié après depuis un 3e étage. Il voulait me parler. Il voulait que je le salue. Il voulait que j’arrête de promener le chien pour que je m’intéresse à lui et à son opinion sur mon corps. Le fait qu’il me trouve cute devait monopoliser mon attention et arrêter ma vie. Hier un homme m’a forcée à voir son pénis dans la rue. Il avait besoin de mon attention. Immédiatement. S’il m’avait forcée à voir son corps nu sur internet on aurait dit que ce n’était pas une agression ni de l’exhibitionnisme, mais simplement une acceptation de sa sexualité.
Parfois on me dit que je devrais aller sur les sites de rencontres. On me dit aussi que c’est parce que je suis désespérée que je suis aussi critique et amère. La dernière fois que je suis allée sur un site de rencontres, il y a eu 3000 hommes qui ont montré un intérêt face à moi. 3000. Sur un seul site. Et on vient me dire que je suis désespérée parce que personne ne veut de moi. Ce n’est pas très réaliste. La réalité c’est que si je veux trouver quelqu’un qui veut coucher avec moi et me trouvera belle, ça prendra moins de 10 minutes. Ce sera moins long que de trouver quelqu’un pour me donner une cigarette parce que je n’ai pas envie d’acheter un paquet pour ne pas recommencer. Je sais que ce n’est pas comme ça pour les hommes sur les sites de rencontres… Ils me disent que je suis chanceuse… Chanceuse de recevoir des commentaires complètement répugnants, de toujours être considérée d’abord et avant tout comme un corps, de subir des crises de rage parce que les photos que je mets de moi ne sont pas assez révélatrices de ce qu’il y a sous mes vêtements. Me faire dire que je suis asexuelle ou que je dois être plate au lit parce que je ne veux pas envoyer des photos ou des vidéos de moi nue à de parfaits étrangers. Me faire dire que j’ai nécessairement trop de problèmes parce que j’ai été agressée par des hommes qui ont objectivement plus de problèmes que moi et des beaucoup plus graves. J’en ai de la chance!
Je cherche quelqu’un conscient que j’ai une intériorité. Que je ne suis pas un sac de chips dont on choisit la saveur, une poule dont la poitrine et les cuisses doivent être commentées, une poupée bien inconsciente nue et qu’on peut vêtir comme on veut. Ces commentaires ne sont pas rares. Ils sont déversés à chaque jour sur moi par plusieurs personnes différentes. Des personnes à qui moi je ne penserais jamais à dire à quoi elles doivent ressembler pour me plaire. Je ne pense pas comme ça.
L’autre jour on m’a demandé, horrifié, si j’étais vraiment sortie comme ça. J’avais emmené le chien faire une très rapide pause pipi pendant que je peignais et je n’avais pas enlevé mon tablier avant de sortir, parce que je me connais et que si je l’enlève, j’oublierai inévitablement de le remettre et je tacherai encore d’autres vêtements. On m’a demandé ce qui serait arrivé si l’homme qui me plaît en ce moment, qui habite près de chez moi, m’avait vue. On m’a dit qu’il m’aurait trouvé laide et n’aurait alors jamais été intéressé par moi. J’ai répondu que je n’avais rien à faire d’un homme qui serait assez superficiel pour se désintéresser de moi et penser que je suis laide quand je peins. Imaginez la vie avec une personne comme ça… Pour moi c’est l’horreur. Je le sais, je l’ai déjà fait. Quand j’étais plus jeune, je pensais qu’il fallait être parfaite pour être aimé. Je passais des heures, sans le mentionner, à me préparer, à tout contrôler, à penser à comment il me voulait, quand j’allais voir quelqu’un qui me plaisait. Et quand l’autre faisait un commentaire désobligeant, je pensais que c’était moi l’échec au lieu de voir la superficialité de l’autre. Si un homme me trouve laide quand j’ai un tablier quand je peins, qu’est-ce qu’il fera le jour où j’aurai la gastro ou le cancer? Pauvre lui… Ce sera insupportable pour lui, c’est sûr. Et tellement décevant de ma part.
Non merci.
Je ne cherche pas un homme qui me dit comment être pour lui plaire. Je ne cherche pas non plus un cave qui se sent obligé de commenter mon corps et s’attend à ce que je me soumette à son verdict. Je cherche un homme qui me voit et me parle comme une personne entière et me laisse être qui je veux être comme je veux être.
