Les déceptions sentimentales (partie 7)

Ce matin, j’ai dû appeler la police, une chose que je ne fais jamais. Je l’ai fait seulement 4 fois dans ma vie, dont une fois à cause d’un hold-up. Je me lève toujours très tôt, peu importe ce que j’ai fait la veille. Donc à 5h du matin, je suis sortie comme tous les matins avec le magnifique Cassius. J’ai vu un vélo dans la cour, mais j’ai pensé qu’il s’agissait d’un visiteur nocturne de mon voisin d’en bas. Il en a parfois. Pendant que Cassius faisait pipi, j’ai regardé vers mon entrée et j’ai vu un homme qui s’étirait le cou hors du passage qui mène à la cour arrière où j’habite. Il m’a semblé louche. Quand Cassius a eu fini ses trucs, j’ai décidé de rentrer chez moi quoi qu’il en soit. L’homme était là, en bas, chez mon voisin, se touchant les bras d’une façon qui m’indiquait clairement qu’il avait consommé quelque chose. Il essayait de tourner la poignée de porte du voisin. J’ai vu qu’il avait volé les canettes des autres voisins. J’ai rassemblé tout mon courage et j’ai pris ma grosse voix et je lui ai dit de partir, qu’il n’avait rien à faire là. Puis je suis remontée chez moi et j’ai barré la porte en me disant que je vérifierais 5 minutes plus tard si son vélo était encore là. 

J’avais ouvert la fenêtre d’un pouce pour chasse l’humidité à l’aide d’un courant d’air. Je suis allée lire au salon avec mon café. J’ai entendu mon petit, mais courageux Cassius grogner. Je suis allée voir à la fenêtre. Je ne voyais rien. Je me suis dit qu’il entendait l’homme dans la cour. J’ai décidé d’ouvrir la porte pour voir si le vélo était encore là. Quand j’ai tourné mon visage vers la gauche, j’ai vu que l’homme de la cour était plaqué sur le mur me regardant, son visage à moins de 30 cm du mien. J’ai hurlé : « Va-t’en! Je t’ai dit de partir! Va-t’en! ». Je me suis enfournée rapidement dans mon appartement et j’ai barré la porte. L’homme continuait de me regarder à travers la porte et refusait de partir. J’ai appelé la police. Il a vu ce que je faisais et est finalement parti.  

I’ve tried to leave it all behind me
But I woke up and there they were beside me
And I don’t believe it but I guess it’s true
Some feelings, they can travel too
Oh there it is again, sitting on my chest
Makes it hard to catch my breath

Wish that you were here – Florence and the Machine

C’est ok. Je ne suis pas traumatisée. C’était la première fois en 15 ans que j’avais peur dans mon quartier que certains jugent dangereux. Autant j’ai eu peur, autant j’ai eu envie de le serrer dans mes bras, mon terrorisant. Je pouvais très clairement voir sa souffrance sur son visage. Il fallait quand même que je pense à ma sécurité. À celle des voisins dont il avait volé les biens aussi. J’ai trouvé particulièrement inconsciemment cohérent de sa part de tenter une entrée forcée chez moi alors que je venais juste d’écrire un billet sur un homme que j’ai dû pousser hors de chez moi. Les hommes qui tentent de dépasser me limites, je connais ça. Il n’y avait pas de place pour lui chez moi, mais ce sont tous ces hommes que j’ai repoussés et auxquels j’ai survécu avant qui m’ont donnée la force d’hurler un non aussi ferme face à l’intrus. 

On me dit souvent que je devrais juste penser à autre chose, oublier ces hommes qui m’ont fait du mal et regarder vers l’avant. Ce n’est pas si simple. Ces hommes font partie de moi, que je le veuille ou pas. Je regarde en avant, mais je les porte en moi quand même. J’ai toujours su trouver d’eux l’expérience que j’avais à acquérir. Le stress post-traumatique m’empêche de les oublier aussi. Aussi prégnants qu’une bombe qui éclate, ils se ramènent parfois à ma conscience sans mon consentement. Je l’accepte.

Je n’ai jamais compris les personnes qui refusaient d’accepter que l’agression soit arrivée. Qui hurlent que jamais ça ne les définira. Comme s’il n’y avait aucune nuance possible. Accepter qu’on ait été agressée ne signifie jamais que c’est la seule chose qui nous soit arrivée et que cela nous définit comme personne. C’est une partie de notre vie, une partie de soi, c’est tout. Nier que ce soit arrivé, le refouler, ne conduit qu’à la perte selon moi. Je suis la femme qui s’est relevée de toutes ces violences et qui est quand même toujours capable d’avoir envie d’aimer. Ça fait de moi une personne extrêmement forte. Une personne hors normes. Une personne qui a vécu tant de choses sans être amère et en étant toujours émerveillée par le monde. Là où on me demande d’être plus légère, je refuse. J’y tiens, à ce que j’ai vécu. J’ai toujours pris tout ce qui m’est arrivé comme une chance d’être plus moi et d’avoir plus de vie, même s’il a parfois fallu m’éteindre un temps et devenir cet être végétatif à moitié mort devant la télé ou se remplissant de livres pour arriver à survivre. 

Ces jours-ci je pense à M., le peintre alcoolique 20 ans plus âgé que moi que j’ai fréquenté quand j’avais 25 ans. J’ai entendu les pires horreurs quand je voyais cet homme. « Tu fréquentes ça? », « Elle préfère ça à moi? », « C’est clair que ce sont tes daddy issues » et autres conneries du genre… Je n’ai jamais aimé un homme pour son apparence, sauf peut-être un Sénégalais à la peau magique noire bleutée, une fois dans ma vingtaine. L’apparence d’une personne est toujours le dernier critère qui me la fait aimer. Je savais bien, moi, que je n’aimais pas M. à cause de problèmes avec mon père. C’est une explication de paresseux. J’aimais M. parce que j’avais envie de peindre. Et je peins. Et je suis une bonne peintre, mais je ne lui dois rien. Dans ma fougue et ma passion pour cet homme il y avait quelque chose que je devais régler avec moi : mon envie de me laisser le droit d’appartenir à l’art. Ces phrases dénigrantes ont bien sûr été prononcées par des hommes. Des hommes qui pensaient que je ne les aimais pas à cause de leur physique et qui avaient un besoin profond de croire que j’avais un sérieux problème d’aller vers un homme tellement plus vieux que moi et qui ne correspondait pas à ce qu’ils pensaient que je devais aimer, à ce qui est aimable. Mais je suis bonne, moi, pour voir la beauté dans toutes les personnes. C’est une qualité très rare. Précieuse. Je suis une grande amoureuse. 

M. avait beaucoup de défauts. Il savait cependant très bien que je ne devais pas rester avec lui tout en voulant quelque chose de moi aussi. Deux drama queens, deux sensibilités extrêmes s’affrontant et se réconciliant sans arrêt. Probablement que notre brève rencontre n’aura pas eu le même effet sur lui que sur moi, même s’il revenait toujours me chercher. Dans cet amour-haine, j’ai trouvé ma force comme peintre, parce que j’en suis une, que vous l’approuviez ou pas. Et oui, il y avait une inévitabilité à la fin de cette histoire. Je n’ai pas remis les pieds dans le bar où je sais qu’il est depuis des années. J’en suis une signifiante, une qui reçoit et fait du sens avec tout. Un peu superstitieuse aussi, j’imagine. Je sais que le droit de peindre que je me donne a une fragilité et il est hors de question qu’il soit avalé par un homme, ne serait-ce que par les commentaires éventuellement mesquins de cet homme. Il fallait partir. Mais la violence de cette relation est symétrique avec la force de mon désir et de l’interdit de peindre que je m’étais imposé. Il fallait quitter pour ne pas disparaître.  

And if I stay home, I don’t know
There’ll be so much that I’ll have to let go
You’re disappearing all the time
But I still see you in the light

For you the shadows fight

And it’s beautiful but there’s that tug in the sight

Wish that you were here – Florence and the Machine

            Ce n’est pas la fin du monde, de vivre des histoires de violence et de toxicité. Il faut savoir quand on ne peut pas réparer et quand il faut partir. Quand il faut protéger la force de vie en soi. Je pense qu’il faut aussi ne pas nier que c’est arrivé. Il faut avoir la force d’accepter ce qui s’est passé et d’en faire du beau et du riche pour notre vie. On me dit que ma peinture est extrêmement puissante. Je pense que cette puissance vient du fait que j’accepte de regarder l’horreur en face et de la porter en moi. Je suis un conduit qui témoigne et rend à l’humanité ce qu’elle refuse de voir. Ça me va. Cette puissance témoigne de ma force aussi.  

Ces jours-ci un homme que bien des gens trouvent laid me plait énormément. Je ne comprends jamais comment les gens font pour être si superficiels. Cet homme est magnifique par sa bienveillance, sa détermination, sa capacité de poser des questions, son intelligence et… Je m’en fiche que vous n’aimiez pas son corps. Je vois la beauté, moi. J’aime la beauté atypique. Elle m’émeut et me rejoint plus que les merdes ennuyantes qu’on nous sert dans les magazines et les gym. La beauté est dans ce que je trouverai dans la relation. Pas dans un corps. 

You’re always on my mind

And I never minded being on my own
Then something broke in me and I wanted to go home
To be where you are

Wish that you were here – Florence and the Machine

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