Les déceptions sentimentales (partie 6)

            Durant les derniers jours, je suis tombée sur une publication de Martine Delvaux où elle citait une description faites par d’autres d’elle comme haïssant les hommes, description qu’elle corrige justement en y précisant que ce qu’elle déteste, c’est plutôt la misogynie. Correction fondamentale et quand même simple, au fond, mais qu’on comprend étrangement assez rarement et que la plupart des gens font encore plus rarement eux-mêmes dans leur esprit. Ça m’a fait revivre encore une fois, parce que c’est une constatation qui me frappe avec une régularité infinie et harassante puisque la situation ne se corrige jamais. 

            Cette constatation, c’est celle de l’absence de questionnement des idées qu’on porte. Dans ses livres, Martine Delvaux présente des situations de viol, d’abus de pouvoir, de dénigrement, qui sont incontestablement des violences. Des violences commises avec une bonne conscience par des hommes qui acceptent sans questionnement une définition de la masculinité qui leur permet, justement, de commettre ces actes extrêmement souvent impunément. C’est une dénonciation de comportements institutionalisés et excusés au nom d’idées qui sont fondamentalement fausses et désuètes, mais dont pourtant une bonne partie de la population se contente étrangement. Comment ça se fait qu’un si grand nombre de personnes confondent une dénonciation de comportements et d’institutions violentes avec une critiques de tous les hommes et s’empressent follement irrités de crier : « Pas tous les hommes!!!! ». Ben non, pas tous les hommes, mais ça n’enlève pas le fait que notre société est complètement imbibée de ces idées malsaines et qu’un nombre incroyable de personnes les partagent et ne les questionne absolument jamais. 

            J’ai dû ainsi entendre mon violeur me dire que ce n’était pas sa faute s’il m’avait enfoncé son pénis dans le cul pendant que j’étais couverte de vomi et inconsciente. Mon supposé « ami », le prof de philo, me dire gaiement en rigolant après m’avoir invitée à aller le visiter dans la nouvelle ville et maison où il habiterait qu’il faudrait que je barre ma porte la nuit parce que sinon il viendrait me rejoindre dans mon lit (inconsciente, encore, on voit le motif…) parce qu’il n’est pas très sage, lui, quand il y a des femmes qui dorment chez lui. Comme si le fait de toucher sexuellement une femme inconsciente était être « tannant », pas sage… un simple petit chenapan, quoi… Le même homme a qualifié son ex de « bloc de glace » parce qu’elle ne voulait pas autant de sexe que lui. Je ne pense pas que ça me rendrait tellement affectueuse et encore moins sexuelle qu’on me reproche d’être un bloc de glace parce que je n’ai pas les mêmes besoins aux mêmes moments que mon conjoint. Je pense que ça me refroidirait encore plus. 

J’entends sans arrêt des phrases devenues classiquement dénoncées aujourd’hui, mais qu’on répète pourtant sans arrêt comme si elles allaient de soi comme « Un homme est un homme », « un homme a des besoins » et… comme si nous n’en avions pas, des besoins… mais on s’accroche aux vieux mythes poussiéreux sur les femmes au lieu de responsabiliser les hommes. Je l’ai déjà dit, mais je vais le répéter, si j’étais un homme, je ne crois pas que je me satisferais de m’identifier à une sorte de malade incapable de contrôler son petit bout de chair mollasson qui semble apparemment chez certains se lever et se déchaîner de façon incontrôlable, les laissant penauds et violents en même temps, surpris et désemparés parfois jusqu’à l’impuissance de vieillesse d’avoir une érection qui les dépasse et avec laquelle ils devraient apparemment absolument faire quelque chose peu importe le coût pour la personne qui recevra ce quelque chose, peu importe s’il faut la violer, la battre, la dénigre, l’insulter après, avant, pendant, tout le temps. L’autre est alors complètement réifiée pour satisfaire un petit bout de chair insignifiant, mais ayant apparemment le pouvoir de prendre le contrôle de tout un être et justifier les pires actes. Comme toutes les personnes sur terre, les hommes sont capables d’apprendre à contrôler leurs pulsions. Plusieurs d’entre eux préfèrent cependant souvent accepter une définition complètement absurde de ce qu’est être un homme et agir à partir de cela. Je ne pense pas que je me contenterais de cette définition si j’étais un homme. Je pense que je ferais au contraire tout pour y échapper le plus possible. J’ai après tout beaucoup remis en question la définition qu’on m’a servie dès la naissance de ce qu’est supposément « être une femme » et je le fais encore tous les jours de ma vie. 

Je me répète beaucoup ces jours-ci, mais c’est parce que je pense que c’est nécessaire. J’ai été violée deux fois alors que j’étais inconsciente. J’ai été insultée. Traitée de salope par des hommes qui avaient fait exactement la même chose que moi. Un m’a traitée de traînée et quelques temps plus tard son ami est venu me dire qu’il ne cherchait pas du tout à me faire du mal en me traitant de trainée. Un autre a fait semblant d’être gentil pendant des semaines pour finalement, après que j’ai accepté que nous devenions plus intimes, se mettre à me hurler dessus et me bousculer et (encore une fois, oui) me traiter de salope une fois rendue au lit. Quand je l’ai sorti de chez moi en pleurant, horrifiée, il m’a dit que je pleurais pour le manipuler. Oui, c’est sûr. Quelques jours plus tard, il m’a appelée et j’ai eu droit à la conversation la plus terrorisante de ma vie où sa voix changeait complètement d’homme adulte à garçon de cinq ans et alternait entre me supplier de le pardonner et me dire de nouvelles horreurs pires que celles déjà entendues. Quelques années plus tard, j’ai reçu un mail me demandant de me rencontrer pour s’excuser. Le mail était adressé à une autre femme. Il avait copié et collé le message adressé à une femme à plusieurs femmes en oubliant de changer le nom. C’était bien sûr quelqu’un qui avait essayé de me faire croire que c’était seulement moi qu’il avait traitée comme ça… mais je connais certaines de ces femmes à qui il a envoyé le même message… Je suis quand même allée au rendez-vous. Dans un endroit public. Il m’a demandé si je le reprendrais un jour, s’il y avait même seulement un mince espoir. J’ai dit non. Le lendemain, il a changé son statut Facebook pour « en couple » et inscrit un message qui annonçait ses fiançailles prochaines avec l’amour de sa vie… Pauvre fille. Des hommes m’ont traitée comme un objet sexuel. Des hommes se sont mis très souvent à me parler comme des enfants faisant pitié, pauvres petits garçons devant leur marâtre, après m’avoir fait ou dit des horreurs. Certains sont allés jusqu’à me demander d’avoir pitié d’eux et de prendre soin d’eux après m’avoir fait terriblement mal. Ceux qui ne rappellent pas. Ceux qui bloquent pour des raisons inconnues. Ceux qui vous dénigrent intellectuellement ou corporellement en faisant comme si c’était normal et que vous exagériez vraiment, mais vraiment trop de vous choquer pour ça. Un homme a essayé de me faire croire que c’était parfaitement normal qu’il me traite de conne plusieurs fois par jour. L’homme pour qui je l’ai quitté a fait exactement la même chose. Un homme de 38 ans m’a plaquée en me brisant presque le poignet tellement il serrait fort dans un mur quand j’avais 19 ans parce que j’avais accroché la peau de son dos avec mon ongle. Je me fais dire que je ne suis pas assez ou trop habillée. Que mon look ne convient pas. Que mon corps ne convient pas. Que je devrais me maquiller plus. Que je devrais me maquiller moins. Que je suis trop grosse. Que je suis trop maigre. Pas assez grande. Trop grande. Des hommes ont fait semblant d’écouter et de comprendre mon histoire pour me faire ensuite les mêmes horreurs et… Ça fera trois ans bientôt que j’écris ce blogue et je ne vous ai raconté que la surface. 

Dans toutes ces histoires, je suis entrée innocemment et enthousiaste, parfois un peu apeurée, mais combattant courageusement ma peur (qui me semble compréhensible) pour donner une réelle chance à l’autre. Dans toutes ces histoires, on m’a dit que c’était moi le problème. J’y ai cru jusqu’à l’âge de 37 ans que c’était moi le problème, je me suis détestée, haïe, trouvée affreuse, fait du mal, excusée d’exister et… Je suis en thérapie depuis une quinzaine d’années, on doit approcher de 16 maintenant à cause des choses qu’on m’a faites et qu’on a essayé (et qu’on essaie encore de me faire croire) qu’elles sont ma faute. Durant cette thérapie nous avons patiemment analysé toutes ces choses qui m’ont été faites et dites et tous les complexes que cela avait créé en moi. Tous les traumatismes. J’ai travaillé et je travaille encore très fort pour me remettre de cette violence et la dépasser et avoir une belle vie. Mais on me dit encore que c’est moi le problème… On me demande de changer. On me demande de prendre la responsabilité du comportement des autres. On m’a accusée d’être une vilaine méchante qui terrorise les pauvres petits hommes vulnérables et inoffensifs. On m’a accusée d’être castrante, là, avec mon doctorat et mon refus de me soumettre à la définition de ce que je devrais être. On me demande ce que je peux bien faire pour que ça m’arrive. Croyez-moi que si j’avais le pouvoir de transformer un être humain en créature bestiale dénigrante qui trouve la violence justifiée, j’utiliserais ce pouvoir de façon constructive et le monde et ma vie changeraient crissement vite. Mais je ne l’ai pas ce pouvoir et je fais déjà tout ce que je peux et ce que je veux pour me donner une belle vie. 

Je sais aussi, contrairement à ce qu’on tente souvent de me faire croire, que je suis très très loin d’être la seule à qui ces choses arrivent. Il faudrait vous poser des questions sur les idées que vous portez et les choses que vous dites.        

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