
Avant de commencer ce billet, je veux préciser, parce que parfois je réalise que certaines personnes qui me lisent ne semblent pas tellement capables de nuances, que je n’excuse pas tous les pères ayant abandonné leur enfant. J’ai pris le cas d’Hopkins parce qu’il est cohérent et symbolique (parce qu’il est une figure publique dont la vie est scrutée, superficiellement, mais scrutée quand même) de plusieurs choses que je veux dire au sujet des personnes neuroatypiques. Je précise aussi que je mesure tout à fait, même si l’expérience me reste partiellement étrangère puisque je ne l’ai pas vécue exactement, l’ampleur du deuil et du chagrin que sa fille a pu ressentir. J’ai quand même été au moins partiellement abandonnée, ne serait-ce que sur le plan psychologique par mes figures parentales, mais ce n’est pas le même trou, j’en conviens. Ce que je veux dire est que je lui donne tout à fait droit à sa souffrance et que je ne veux pas, par mes explications sur son cas à lui, minimiser l’importance de ce qu’elle a vécu et vit encore probablement encore aujourd’hui. Si je la rencontrais, je lui demanderais si l’annonce de la neuroatypicité de son père a changé la façon dont elle perçoit cet abandon. Je pense que ça devrait être le cas. Je ne sais pas si ça l’est par contre.
Je sais que nous vivons dans une société qui veut ravaler, même aujourd’hui, oui, les difficultés des gens, ce qui provient de leur passé, ce qui les blesse, ce qui les anime, pour imaginer une solution incroyablement naïve qui est que nous devrions tous être constamment capables de redevenir des pages vierges à chaque fois que quelque chose nous arrive et de surtout ne déranger personne avec ça. Le point de vue naïf ici, serait de croire qu’un homme ignorant être autiste et ayant vécu un nombre considérable de violences dans sa vie, aurait pu, par efforts de volonté, juste arranger ses affaires et être un bon père du jour au lendemain s’il en avait fait le choix. C’est une croyance très répandue. Je ne juge personne. J’ai été coupable moi-même de la porter longtemps, ce qui est une des raisons qui explique pourquoi j’ai vécu autant de violences dans ma vie. Je me racontais, naïvement, qu’il suffirait d’un petit effort de la part de l’autre pour que tout fonctionne à merveille puisque j’en faisais moi-même des efforts pour que ça marche. Mais ça ne fonctionne pas comme ça la vie. Pas du tout. Au grand dam des gens qui voudraient tout effacer d’un coup et repartir à neuf, je suis bien désolée d’apprendre et d’annoncer que ça n’ira pas. Aussi profondément puissiez-vous enfouir ce qui vous a marqués, votre cerveau et votre corps n’oublieront pas. Ça remontera et ce sera peut-être bien pire au moment du retour. Je sais que c’est infiniment difficile parce que j’ai dû le faire souvent dans ma vie afin de renoncer à des personnes qui me faisaient du mal, mais parfois il faut accepter que non, l’autre n’est pas capable de changer. Il le fera peut-être plus tard pour une autre personne. Il ne le fera peut-être jamais. Ce qui importe réellement, c’est que sa présence dans votre vie vous fait mal et qu’il va falloir faire sans si vous voulez vraiment vivre le type de relation que vous désirez, de quelque nature soit-elle. Et ce renoncement n’a rien de facile.
Parfois les gens pensent effectivement que c’est facile pour moi de sortir des gens de ma vie parce que je le fais quand même régulièrement. Parfois on pense aussi que c’est de l’intolérance de ma part, parfois même de la méchanceté. Alors qu’au fond, ça a été un apprentissage sur plusieurs années, pour moi, de finir par accepter que ma vie serait mieux sans certaines personnes qui me faisaient vivre ou revivre des violences. J’ai eu souvent l’impression de m’arracher moi-même les tripes afin de sortir quelqu’un de ma vie. Je l’ai fait à chaque fois pour survivre et après de multiples tentatives de réconciliations. Mais ça, ça n’intéresse pas toujours les gens. Ils préfèrent voir le geste immédiat au lieu de se questionner sur pourquoi je l’ai fait et sur le fait que peut-être cet apprentissage me vient de quelque part… de la thérapie par exemple. Il y a, chez les neurotypiques, cette idée commune qu’on doit accepter l’autre comme il est. Elle est vraie, mais elle me semble avoir été déformée et galvaudée au sens où accepter l’autre comme il est est devenu prétexte à souffrir n’importe quoi pour être avec quelqu’un. Parfois, accepter l’autre comme il est, c’est accepter qu’il ne pourra jamais nous donner ce que l’on désire même si ça nous arrache le cœur. Accepter l’autre comme il est c’est parfois s’apercevoir qu’il faudra le quitter pour pouvoir vivre. J’ai vécu de nombreux deuils dans ma vie. Celui de l’amour de ma famille a été particulièrement difficile, mais avec le temps, le fait que leur façon d’aimer mettait ma santé mentale, voire ma vie (à cause des recommandations de suicide de ma mère) en danger, a fini par l’emporter sur tout ce que la société me disait de l’amour filial. Il fallait partir si je voulais vivre et être moi. Si je voulais avoir une vie.
Il est très difficile de changer comment les gens sont programmés. Parfois impossible. On veut croire à des transformations magiques qui feront que l’autre nous choisira et la situation ira parfaitement bien après, mais ça, c’est penser à soi et se donner une importance qui n’a probablement rien à faire dans la vie de l’autre. L’autre doit changer pour soi, à la suite de nombreux efforts qui demandent du temps. Non seulement ça, mais il doit être capable de voir qu’il a besoin de changer, ce qui n’est pas accessible à tout le monde au même moment de la vie. Il y a encore un refus de cela, dans mes textes ici, parfois. C’est parce que je n’ai pas fini de faire les efforts pour moi et non parce que je suis une sale chienne agressive, étiquette dont parfois on m’affuble. Ni parce que je suis incroyablement dure avec les autres. Je suis ferme dans mes convictions parce qu’avec la thérapie, j’ai perdu la foi en la transformation magique. Je suis parfaitement consciente que plusieurs choses peuvent expliquer le comportement des autres… mais ce que les autres n’ont pas l’air de comprendre et que j’ai appris en thérapie c’est qu’à la fin, ce qui doit importer vraiment pour moi, dans ma vie, c’est comment le comportement de l’autre me fait sentir et à quel point son comportement aura des effets sur moi et ma santé mentale. J’ai 41 ans maintenant. Quand on me dit que parfois les gens nous surprennent, je sais que, dans mon expérience, ces surprises sont souvent négatives et qu’apprendre à aller mieux, c’est aussi reconnaître les patterns relationnels des autres et ne pas avoir la naïveté de croire qu’ils changeront magiquement, surtout pas pour moi.
Je voudrais, avec ce billet, commencer une mise en contexte et un rappel rapide de qui je suis et de ce que j’ai traversé afin que ma façon de réagir dans l’histoire que je raconte présentement soit mieux comprise. Je soupçonne aussi la personne impliquée de lire et je pense que c’est possible qu’il n’ait pas compris pourquoi j’ai agi comme j’ai agi. Alors il saura. On m’a demandé une fois ce que ça me faisait, l’idée que les personnes dont je parle puissent lire ce que j’écris. Je pense que j’ai répondu que ça ne me faisait rien et que j’avais le droit d’écrire sur ce que j’avais vécu et que cela ne les regardait pas jusqu’à un certain point. Chaque personne a le droit de raconter sa vie. Ce qu’elle en a perçu, vécu, ressenti. Parfois j’ai encore l’espoir qu’ils en feront quelque chose et que ça les aidera. Même si je sais qu’on m’attribue parfois de mauvaises intentions dans ces textes que j’écris, il n’y en a pas vraiment, non. Je n’ai jamais eu envie de me venger. Si c’était le cas, je m’arrangerais pour qu’elles soient identifiables, ces personnes. Ce n’est pas le cas. Mon objectif a toujours été que les personnes qui vivent des choses similaires se sentent moins seules. Mon objectif est aussi de donner ce que je sais. Je suis consciente que ce n’est pas tout le monde qui a les sous pour aller en thérapie. Je me suis considérablement endettée pour effectuer ce travail sur moi. Ce n’était pas « une chance » comme on me dit parfois, mais un choix d’assumer le coût de ne jamais être comme mon père ou ma mère et de ne pas faire subir aux autres ce qu’on m’avait faire subir. J’ai très tôt été très consciente de cela, de ce risque et c’est quelque chose que je ne me pardonnerais pas, de m’être aveuglée sur mon comportement et de me déchaîner sur les autres en assumant que c’est leur faute. Ma plus grande joie pour ce blogue a été le jour où deux personnes m’ont écrit pour me dire que, ce que je considérais de mon côté durement comme un radotage alors que j’étais en état intense de stress post-traumatique et que mon radotage était donc normal, les avait aidés à comprendre pourquoi elles avaient été blessées par certaines situations et que cela les avait aidées à cheminer davantage par rapport à ce qu’elles avaient vécu. C’est déjà ça.
Je vais continuer dans un autre billet, celui-là est déjà long et ils doivent quand même être possible à digérer.