
Hier, quand je suis arrivée au travail, j’ai croisé une autre professeure d’un département différent qui quittait en voiture. Nous avons suivi une formation ensemble au moment de notre embauche au collège. Arrivée à ma hauteur, elle a baissé la fenêtre de son véhicule et a crié, super enthousiaste : « Toi tu as de tellement beaux projets! C’est tellement l’fun de te suivre! ». J’ai été un peu prise de court, puisque je suis plutôt habituée à une réaction un peu différente, soit me faire dire que mes projets sont imparfaits pour mille raisons ou encore que mes publications sont dérangeantes. C’est une femme vraiment gentille et toujours très enthousiaste. Bien sûr, il lui arrive de critiquer certaines choses, mais je ne l’ai jamais vue être mesquine. Ça a fait ma journée. J’étais vraiment heureuse après et je porte encore la joie de ma surprise avec moi, dans mon petit cœur.
Bien sûr mes projets sont imparfaits, mais il me semble que puisque je débute dans plusieurs médiums, c’est quelque chose de normal, quelque chose à quoi on s’attend. Ce que je ne comprends pas, c’est la dureté avec laquelle les autres accueillent mes projets et pourquoi ils ne se posent pas plus de question. J’en reparlerai bientôt dans les textes sur ce que je nomme le « hyena scandal » mettant en vedette ma chère Bad Cutie. Je sais que la réaction a à voir avec les attentes des autres, qui sont souvent irréalistes, mais aussi avec ce qu’eux se disent qu’on dira d’eux s’ils produisent et montrent quelque chose d’imparfait. Ils me traitent comme ils s’attendent à être traités au lieu de me traiter comme ils voudraient être traités, ce qui, selon moi, serai t la bonne attitude à avoir. Bien sûr, il y a aussi toute cette question de pression sociale. Nous vivons dans un monde où il est inadmissible de montrer l’imperfection. Avec mes photos qui font exprès pour montrer des processus et des imperfections, le malheur aussi parfois, c’est sûr que je détonne un peu… parfois beaucoup. Il s’ensuit une violence que j’accepte de vivre normalement, mais pas venant d’amis… ça, ça me semble inadéquat. Mais j’en reparlerai comme je disais.
Ces jours-ci, je suis épuisée de la double fin de session, mais en même temps, je me sens follement exaltée. Je plante mon jardin, je rends l’appartement fonctionnel pour la boutique et pour pouvoir produire en peinture et en bande dessinée de façon plus efficace, mais aussi je commence un nouveau cours de peinture. Il est comme rentrer à la maison, ce cours de peinture. Je suis bombardée de références à Walter Benjamin et Michel Foucault et c’est comme si je retournais dans mon cocon de littérature comparée, mais sans devoir subir de snobisme ou de compétition, choses que j’ai un peu dépassées maintenant, dans cette seconde phase de ma carrière d’éternelle étudiante. J’essaie de ne pas trop parler, non plus, pour ne pas effaroucher les petites jeunesses qui ne savent pas qui est Benjamin. C’est comme un petit secret, une petite magie. Je me sens moins larguée que la première fois que j’étais étudiante. Je me souviens avoir été terrorisée devant l’immense et terriblement lourd recueil de texte de l’introduction à la littérature comparée qui regorgeait de textes de Lacan et autres. J’ai voulu fuir alors. J’ai pensé que je ne serais jamais assez intelligente pour l’université. Je suis restée et j’ai excellé finalement. Tout en me sentant un peu à l’abri près du gros stationnement aux allures de radiateur. Un espace magique, hors du monde, où j’apprendrais énormément sur moi et ma vie.
J’ai parlé récemment avec mon directeur de thèse. Nous nous écrivons parfois. Il me manque souvent. Je suis maladroite socialement. Je lui ai dit que je trouvais qu’étudier en arts visuels, c’était comme être dans un espace magique. Cette impression me vient de plusieurs sources. D’abord, parce que je voulais me permettre de créer comme je le voulais et d’avoir accès à plein de médiums et d’outils que je m’interdisais. Maintenant, c’est du concret. Et j’adore. Je n’en ai jamais assez. Et ça me semble incroyable, mais c’est vrai. Ensuite, parce que cela me semble un des derniers espaces où il est possible de parler de tout. Ne me comprenez pas mal, je suis tout à fait en faveur qu’on change certaines façons de faire, de parler, les droits dans certains cas extrêmes où il y a de l’abus, comme un des professeurs où j’enseigne qui fait des blagues pornographiques sans gêne en classe. Les étudiants ont une très forte gêne, eux, et ont porté plainte parce que bien sûr, c’est inacceptable. Je veux que le plus de personnes possible se sentent respectées, c’est sûr. Là où c’est plus difficile pour moi, c’est quand on veut cacher des choses qui pourraient troubler les étudiants. Ça, ça me trouble vraiment beaucoup. Ou quand on veut me faire sentir coupable d’aborder des textes qui relatent des histoires difficiles ou de montrer des images choquantes. Je n’aime pas ça. Je ne pense pas que c’est acceptable de censurer le monde et la vie comme ça. C’est une réflexion beaucoup plus large et profonde que celle de la liberté d’expression.
J’avoue avoir ressenti une forme de jouissance quand j’ai vu une de mes courageuses profs nous montrer Chris Burden en train de se faire crucifier sur une Volkswagen ou encore les fillettes nues, avec pénis, en train de se faire éventrer d’Henry Darger. Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu de telles images dans une salle de classe. Ce qui m’a fait plaisir n’est pas la vue de la violence, ce dont, j’en suis certaine, certains me soupçonneront. Ce qui m’a vraiment émue et presque fait exploser le cœur de joie, ça a été de réaliser que j’étais dans un espace où, pour une fois, ce ne serait pas moi qui serait stigmatisée pour mon intérêt pour ces œuvres. J’étais dans un espace où, pour une fois, ce serait la personne qui oserait dire que c’est dégueulasse ou insulter les artistes qui serait la paria. Tout à fait. J’ai senti une sorte d’onde de joie, de bonheur et d’enthousiasme infinis me partir du cœur et envahir tout mon corps. Je me suis tortillée de joie sur mon siège comme une enfant devant Disney on Ice. J’ai presque applaudi. Je reparlerai de ces deux artistes ultérieurement. Ce qui m’importe vraiment, c’est que les étudiants sont forcés de se poser des questions troublantes qu’ils ne voudraient pas nécessairement se poser autrement. Pas de place pour une face de vieille bourgeoise dégoûtée entre ces murs! Et si quelqu’un questionne ma démarche ou ma façon de la présenter sous prétexte de la fragilité des autres, il sera rabroué vivement. Le bonheur!
La dernière raison pour laquelle j’aime les cours d’arts visuels, c’est la vulnérabilité. Nous sommes forcés de nous montrer à nu, dans nos imperfections, constamment les uns avec les autres. Cela crée des liens insoupçonnés par moi jusqu’alors. J’ai souvent l’impression d’être invisible. Là, je me sens vue, pour une fois. Je sais mieux prendre ma place que la première fois aussi. C’est excitant. C’est follement enthousiasmant!
Mon directeur m’a dit, que les espaces magiques, il fallait les habiter. C’est bien ce que j’ai l’intention de faire. La détermination, même, je dirais. Il n’y a pas plus bel espace et espoir de vie pour moi en ce moment. Je vous réserve une peinture sur Sylvia Plath et une série liée à l’architecture et à la souffrance d’ici la fin de l’été. Je continuerai la série de textes commencée il y a quelques jours et j’en fermerai d’autres abordées plus tôt dans les prochaines semaines. J’avais besoin d’un peu de joie pure aujourd’hui et puis j’ai parlé de l’histoire que je raconte en ce moment avec mon psy ce matin. Il faut laisser décanter un peu, ne serait-ce que pour être juste.
À bientôt!