Le mépris

            En écrivant dans mon dernier billet au sujet du fait que j’avais mis le roman Borderline au programme dans mon cours durant la session d’automne, il m’est revenu un souvenir désagréable. Un souvenir lié à mon ancien « ami » le prof de philo. Avant de raconter ce souvenir, je veux aussi préciser que, contrairement à ce que pourrait penser certaines personnes, le fait que je pense encore aux choses qu’il m’a faites et dites plusieurs mois après que ce soit arrivé n’est pas anormal. C’est en fait un symptôme normal, au sens où il fait partie d’un tout cohérent et s’inscrit dans la logique d’un trouble plus grand, de stress post-traumatique complexe chronique. Quand on a vécu autant de violence psychologique que j’en ai vécue, il y a, pour employer une métaphore, des formes de sillons qui se creusent dans l’esprit et les pensées repassent sans arrêt dans les mêmes espaces jusqu’à ce que je puisse les amener ailleurs. Je ne peux pas juste « arrêter d’y penser sur commande ». Donc je sais que ça peut être désagréable, mais ça fait partie du processus de guérison et je fais ce que je peux pour que ça passe le plus vite possible. C’est en décortiquant ces souvenirs et ces pensées qu’ils finissent par perdre leur pouvoir traumatique. 

            Donc, la première année où j’ai enseigné ce livre, j’étais allée à une soirée qu’il faisait chez lui. Il y avait un autre prof de philo avec lui. Je suis désolée pour les profs et les étudiants de philo qui me lisent, je sais que vous n’êtes pas tous comme ça, mais j’ai eu vraiment beaucoup d’expériences négatives avec des profs de philo. Je précise que c’est leur emploi ici, parce que souvent ils se vantent de mieux argumenter et de mieux réfléchir que les autres. Ce n’est pas mon expérience. Vraiment pas avec tous les profs de philo que j’ai rencontrés dans ma vie, même pas avec ceux qui m’ont enseigné. Bien connaître une discipline ne garantit jamais qu’on soit un bon être humain malheureusement, au sens d’un être humain avec au moins un respect minimal (mais idéalement plus élevé) pour les autres. C’est quelque chose que je ne comprends pas. Le fait d’avoir fait des études supérieures, jusqu’au doctorat et + + + encore aujourd’hui, ne m’a jamais fait me considérer comme un être humain supérieur aux autres. Cela ne m’a jamais non plus entraînée à penser que je valais plus ou que je méritais mieux que les autres êtres humains. 

            Donc à cette soirée, mon ancien « ami » était avec son ami qu’il idéalise beaucoup pour je ne sais qu’elle raison. Quand ils m’ont demandé ce que j’avais mis au programme, après que j’aie parlé de Borderline, son ami s’est empressé de dire que ce livre-là c’était vraiment de la marde et que cette fille n’est qu’une conne. Que c’était vraiment poche et qu’il avait détesté ça. En gros, son point de vue sur le livre se résumait à ça. Et il trouvait ça vraiment ridicule de ma part d’avoir mis ça au programme. Je suis restée figée. Je ne me souviens plus si j’ai essayé de parler. Peut-être, mais pas grand-chose n’a dû sortir. Pourtant j’aurais eu une montagne de choses à lui dire. Je suis restée abasourdie en partie parce que c’était une des plus grosses conneries que j’ai entendue sortir de la bouche de quelqu’un, aussi devant l’ampleur de la méchanceté qui l’animait, aussi parce que je bloque souvent devant ces tentatives d’intimidation gratuite à cause de toute la violence psychologique que j’ai vécue. Je bloque moins à l’écrit, mais quand même… Ça me fige, le mépris. Mon « ami » trouvait ça drôle. Il y avait là deux hommes blancs moins éduqués que moi qui se permettaient de rire de moi comme ça, gratuitement, chose qui s’est produite souvent dans ma vie et qui m’exaspère pourtant encore, bien que je me sente moins intimidée maintenant. Les deux étaient bien sûr saouls et gelés et se considéraient intelligents dans leur état. 

            Les personnes qui font ce genre de commentaires violents, si on leur reproche, vont généralement s’indigner et dire qu’ils ont le droit d’avoir une opinion. Mais quand j’ai raconté cet événement à mon psy, hier, sa remarque a été immédiatement : « Ce n’est pas une opinion, c’est une attaque personnelle ». Dire son opinion en faisant preuve de respect, ça pourrait, oui, vouloir dire de préciser qu’on n’a pas aimé ça, mais il n’est jamais nécessaire de rabaisser l’autre qui aime ça. Il serait plus intelligent de demander à l’autre ce qu’il trouve dans cela. Et aussi de tenir compte d’à qui on s’adresse… Après tout, je ne suis pas complètement imbécile et si j’ai décidé de mettre cette œuvre au programme, ce doit être parce que j’y ai trouvé quelque chose d’intéressant pour les étudiants et pour la société en général. Il y a, dans cette expression violente et agressive de son point de vue, un manque de respect à mon égard et à celui de l’autrice. Il y a également une absence de questionnement. Comme si son esprit faisait automatiquement le tour de tous les possibles d’une œuvre à chaque fois qu’il en lit une, alors que c’est pourtant évident que des personnes différentes, ayant des vies et des connaissances différentes, font des interprétations différentes des œuvres… C’est quand même une connaissance de base quand on fait des études supérieures… mais dans la vie en général aussi. 

            Ce qui frappe aussi, c’est l’absence de questionnement sur ce que le fait d’avoir et d’énoncer une opinion aussi violente et gratuite dit de lui comme personne. Il s’agit d’un livre écrit pas une femme qui a vécu de la négligence et de la violence au point de se considérer elle-même comme un objet sexuel méritant d’être détruit et qui en est venue à se détester au point de finir par essayer de se défigurer avec le miroir qu’elle vient de briser parce que le fait de se voir lui est devenu insupportable et qu’elle préférerait mourir que vivre. Qu’est-ce que ça dit de lui, comme personne, qu’il soit aveugle au courage que cela prend pour témoigner de cela et sourd à la souffrance qui est sous un tel témoignage? Certainement pas qu’il est respectueux, empathique… voire même intelligent parce que qui pense que c’est intelligent de rire consciemment d’une personne qui a fini à moitié morte de haine de soi sous l’effet des violences vécues?

            Mon ancien « ami » il pensait beaucoup comme ça et faisait souvent, comme son ami, ce genre de commentaires qui ma foi, sont insensibles et crissement pas réfléchis… et profondément violents. Il le faisait souvent à propos de choses produites par des femmes d’ailleurs… J’ai commis l’erreur de croire qu’il finirait par grandir et changer et sortirait de cette misogynie aveugle qui l’habite… mais je ne suis pas certaine que ça arrivera un jour. Vraiment pas. Mon erreur.

            Je voudrais qu’une chose finisse par être clair une fois pour toutes. Rabaisser ce qu’une personne produit, ce qu’elle aime, ce qu’elle est, le tourner en ridicule, prendre plaisir à blesser l’autre et… ce n’est jamais juste « donner son opinion ». C’est au contraire de la violence psychologique. Et si vous faites cela dans votre couple, c’est de la violence conjugale. Avant que quelqu’un dise que j’exagère, je précise que vous trouverez cela dans n’importe quel livre sur la violence psychologique et la violence conjugale. Je ne suis tellement pas seule avec cette idée qu’il y a même des affiches qui le disent et le dénoncent et disent aux personnes de quitter la personne avec qui elles sont si elle se moque de ce qu’elles aiment parce que c’est de la violence conjugale… Donc non, je n’exagère pas. 

            J’aimerais vraiment qu’on sensibilise encore plus les personnes à ça et qu’on cesse de confondre intelligence et discussion avec violence et mesquinerie. Ça aiderait beaucoup. J’aurais alors plus souvent envie de parler de ce que j’aime et de ce que je fais. Mon ancien « ami » m’a reproché de ne jamais vouloir discuter avec lui… mais c’est parce qu’il me parle comme cela, avec mépris, constamment. Je parle très ouvertement de ce que je fais et ce que je pense aux personnes respectueuses. À un moment donné, les méprisants ne me feront plus rien et je parlerai malgré tout. Je resterai moins figée. J’y travaille. 

Il m’a dit, durant notre dernière conversation, que lui aussi avait été agressé. Et il m’a demandé ce que je lui répondrais s’il me disait ça. Eh bien, je lui réponds d’aller chercher de l’aide, parce que le fait d’avoir besoin de rabaisser autant les autres, ça veut dire qu’il a beaucoup d’affaires pas réglées dans sa tête et ça montre qui il est plus qu’il ne pense et ce portrait qu’il fait lui-même de lui-même à travers ses paroles, n’a rien de beau ni d’attirant… en plus de reposer sur des comportements qui sont des agressions pour les autres. Il m’a poussée dans l’escalier pour pouvoir rire de moi avec son ami… et il l’a fait très très très souvent… Donc oui, mon refus de discuter avec lui et mon agressivité lorsqu’il me l’imposait étaient justifiés.

            Il y a même des hommes qui utilisent toujours cette tactique pour « séduire les femmes ». Ils passent leur temps à les rabaisser dans l’espoir de détruire leur estime d’elles-mêmes et qu’elles recherchent leur approbation et se sentent « spéciales » et séduites si elles l’obtiennent… Elles finissent ainsi par se soumettre et se violenter elles-mêmes pour avoir « l’amour » et « l’attention » de l’autre. Ça s’appelle le negging. J’en parlerai plus une autre fois. 

            À plus!       

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