“To the person in the bell jar,
blank and stopped as a dead baby,
the world itself is a bad dream.”
― Sylvia Plath, The Bell Jar
Je me souviens que quand j’étais enfant, quand les choses allaient mal à la maison, que ce soit vers moi que la colère soit tournée ou vers quelqu’un d’autre, même les objets, je tombais malade… ou je faisais semblant de l’être. Le but de cet exercice n’était pas de manipuler qui que ce soit, même si oui, les personnes, particulièrement les enfants, malades reçoivent plus de soin… mais, enfant, je n’étais pas assez calculatrice pour penser à faire ce genre de choses, ni même à être consciente de leurs effets. Je l’ai fait comme mécanisme d’adaptation… parce que c’est ce que je suis, adaptable, comme tous les enfants violentés. Je survis à tout, tout le temps. Je survis à ce qui en tuerait bien d’autres. Je sens encore la peur dans mon petit corps étendu sur le sofa, le souffle court, la poitrine limitée dans son mouvement, souvent les yeux ouverts sur Super Écran, puis le Canal D ou encore Musique Plus quand je grandirais… ou alors sur un livre. Mon but n’était donc pas de manipuler, mais plutôt de me faire comme morte. Allongée, comme cela, en silence, ne faisant que respirer discrètement, penser en silence et mouvoir subtilement les yeux pour apercevoir différentes sections de l’écran animé ou de la page plus précisément. C’est comme cela que j’ai toujours survécu à tout, en abaissant mon niveau d’activité le plus possible, en réduisant mes besoins à néant, en me faisant presque morte.
Je l’ai ensuite fait adolescente, puis jeune femme adulte et… jusqu’à maintenant. Je ne peux plus compter les moments de fausses morts que j’ai eu sur des sofas aux couleurs et textures différentes à travers le temps. Suite aux événements des dernières semaines, j’ai senti mon corps se fermer et mon niveau d’énergie et d’activité diminuer. Je me suis sentie envahie d’une immense fatigue. À cause du stress post-traumatique, j’étais cependant très agitée intérieurement, ce qui ne faisait qu’accentuer ma fatigue. Je me suis observée beaucoup. Je suis consciente de ce qui se passe en moi quand les symptômes de stress post-traumatique remontent en vagues en moi. Parfois elles sont lentes et parfois elles engloutissent tout et je reste là, cachée à quelque part en moi, observant ce qui arrive à mon corps et mon esprit pendant la tempête. Je vois tout. Il y a des moments où même le voulant, je n’ai qu’une infime emprise sur la situation. Il y a d’autres moments où je peux agir plus efficacement. Il y a enfin des moments où je sais que je pourrais agir plus. Ce sont ceux-là qui m’intéressent aujourd’hui.
J’ai vu cela en moi cette semaine et ça m’a effectivement intéressée, même beaucoup. (J’ai aussi écouté un podcast sur le traumatisme qui a alimenté ma réflexion et dont je reparlerai bientôt.) Couchée devant The Handmaid’s Tale bougeant à peine en mangeant des cerises et en pleurant, j’ai compris que j’étais encore dans mon vieux mécanisme d’adaptation. Même si ma connaissance de la psychologie et mon féminisme ont grandi, la petite fille terrorisée est encore là, en moi, cherchant à se rendre inerte. L’avalement de nourriture et de télésérie sont ça, aussi parfois : une tentative de se rendre absente à soi, une volonté d’inconscience.
Ce n’est pas toujours moi qui la rend presque morte, cette femme que je suis maintenant. J’ai parlé de cet homme qui s’attendait à ce que je sois encore gentille et calme et sereine après m’avoir dit que nous avions un flirt léger (pendant les semaines où je lui parlais des violences que j’ai vécues… Il y avait des moments cutes, oui, mais il me semble que la présence de ces récits au travers aurait dû suffire à en faire un moment important) et qu’il n’était pas prêt pour une relation malgré le fait qu’il essayait que je m’attache à lui depuis plusieurs semaines et plein d’autres choses malheureuses comme ça. Me demander ça à moi… l’exiger, même. Moi qui ai eu des relations si souffrantes… C’est comme si on m’avait tiré dans le ventre et les jambes et qu’on me demandait de rester debout, calme, souriante et accueillante malgré la douleur qui me transperce… et l’envie de mourir que ça me donne et contre laquelle je dois me battre. Je ne suis pas suicidaire, c’est promis, mais ces non-amours me tuent un peu plus à chaque fois quand même. Ça fait beaucoup.
Et le chantage, la manipulation me tuent aussi… « Je ne répondrai plus si tu n’es pas gentille. », ce qui a été fait par lui avant n’ayant aucune importance… C’est moi qui aurais alors dû ne plus répondre… mais j’ai répondu quand même parce que pour moi sa souffrance était réelle… Comme ma mère qui m’efface en me disant que je ne suis pas son enfant si je ne suis pas gentille. Comme cette « amie » récemment, qui me connaissait assez pour me raconter le suicide de son frère et la mort de son père, mais qui m’a pratiquement effacée en me rangeant dans la colonne « je la connais à peine » quand j’ai voulu lui parler de ma souffrance. Cette histoire-là ne m’a pas surprise. À chaque période de stress post-traumatique que j’ai eue, une femme à qui je donnais jusqu’alors beaucoup d’attention s’est mise à essayer de me faire croire que je ne pensais qu’à moi alors que j’étais en pleine crise, et ce, malgré le fait que j’expliquais l’état de stress post-traumatique. À essayer de me faire croire qu’il y a un problème avec moi, un problème autre que celui que je nomme et que j’explique pourtant très bien et sur lequel il existe de la documentation à n’en plus finir pour une personne honnête et curieuse qui voudrait savoir.
Avant je me serais sentie coupable longtemps. Maintenant, je la reconnais à chaque fois qu’elle apparaît dans mon entourage, cette femme, celle qui profite d’un moment où je ne vais pas bien, où je suis par terre, en miettes, en traine de me ramasser, pour me sauter dessus à pieds joints et me dire plein d’horreurs qu’elle dissimulait jusqu’alors sous des sourires faux et une passivité feinte. Hypocrite. Cette fois, juste à la première phrase, mon cerveau m’a dit : « Bon… encore une variation de ma mère, tabarnak »… et j’ai su qu’il fallait quitter. Ça m’a quand même mis dans une colère telle qu’il a fallu que je la bloque, alors que c’était en fait moi que je bloquais afin de ne pas dire plus, afin de ne pas déverser sur elle des choses venant d’un passé trop lointain et qui ne s’adressaient à elle qu’en partie. Je me suis retenue. J’ai pris soin d’elle malgré tout, même si ce n’est pas ce que ça a dû sembler être pour elle.
Je réfléchis à ça ces jours-ci. À ces personnes qui me poussent vers une forme de mort en se répétant être de bonnes personnes. À celles qui me rejettent ou me déclarent inapte parce que je ne suis pas comme elles veulent. Depuis que je ne suis interrompue alors que je visionnais la série, que je l’ai mise sur pause et que je me suis dit que j’étais en train de me tuer moi aussi, (moins qu’avant, avant j’aurais mangé des chips au lieu des cerises… j’aurais probablement fumé des cigarettes aussi… mais je vieillis et je m’assagis, ça a l’air… je commence à me soucier de moi…) que j’étais en train de m’effacer, de me néantiser, de me traiter comme si je devais disparaître parce que je n’étais pas comme ces deux personnes voulaient que je sois. Depuis que j’ai réalisé ça, je respire mieux. Je respire plus profondément. Je prends au sérieux ce qui m’arrive. J’essaie de me mettre en mouvement, mais en mouvement avec pauses afin de vérifier que je ne suis pas non plus en train de me perdre dans l’activation et la mobilité excessives…
Je fais ce que les autres n’ont pas fait. Ce qu’ils n’ont pratiquement jamais fait. Je me demande plus souvent qui je suis et ce que je veux. Je me demande de quoi j’ai besoin. Je me questionne sur ce que je veux faire pour moi et les autres. Je me demande comment faire pour vivre en étant moi, sans masque, sans chercher à plaire, sans m’arrêter lorsque les autres essaient de me clouer par terrer. J’avance. Je m’éloigne de la mort et de son versant psychique, la dépression. Je reprends vie. Je ne me cacherai pas.
