Encore l’amour

Attention : Il est question de différents types de violence dans ce texte. Cela pourrait troubler certaines personnes. 

            Quand j’entends l’autre malade qui a tué sa femme chanter « Serre-moi encore. Étouffe-moi si tu peux », j’ai l’impression d’être à la maison. Pas parce que je voudrais jouer à des jeux coquins violents, mais parce que je l’ai trop été, violentée, étouffée, jusqu’à confondre cette mise à mort avec l’amour. J’ai réalisé, il y a plusieurs années déjà, que je ne sais pas trop ce que c’est, l’amour hors violence. J’ai quelques amitiés de longue date et mes chiens et mes chats qui m’ont peut-être donné quelque chose qui pouvait ressembler à ce que certaines personnes appellent l’amour. Ma belle-sœur aussi. Mais je reste avec peu d’expérience et je trouve le monde bien pénible et froid. Vide aussi.  

            Il y a, dans mon expérience, un lien entre la mort et l’amour qui n’a rien à voir avec le lien entre l’érotisme et la mort dont on parle parfois, comme le fait Bataille, par exemple. Pour moi l’amour c’est la mort parce que ceux qui disent vouloir m’aimer essaient toujours de me tuer d’une façon ou d’une autre, que ce soit par le silence, la fuite, le viol, la violence physique, la violence psychologique sous toutes ses formes. Dans une interdiction d’être moi, dans une volonté de me remettre à ma place, dans une incitation à me taire ou dans une tentative de me faire passer comme ayant un problème et…. 

            Parmi toutes ces personnes qui ont voulu m’aimer comme cela, la seule personne qui s’est vraiment remise en question et qui a essayé de changer, c’est moi. Ce ne sont pas mes parents, qui menaçaient de se suicider dès que je ne convenais pas à ce qu’ils attendaient de moi. Ou encore de m’étouffer en me disant que si je les aimais, je me tairais. Ou encore qui essayaient de me contrôler de toutes les façons qu’ils pouvaient imaginer, jusqu’à ce que je n’aie plus aucune idée de qui j’étais, ni de ce que je pouvais vouloir. Jusqu’à ce que j’arrête de désirer bouger et respirer, que je commence à être toujours fatiguée, à ne plus vouloir quoi que ce soit sauf me détruire toujours encore plus. C’est principalement comme cela que je me suis révoltée : en me détruisant et en me rendant repoussante pour bien des gens. 

            Après, j’ai toujours fréquenté des hommes violents ou presque. Il y a deux exceptions. Les degrés de violence varient, c’est sûr… mais à la fin, ça revient au même et les violences moins spectaculaires, plus subtiles et perverses, laissent souvent des traces beaucoup plus profondes et bien sûr impossibles à prouver. 

            C’est sûr que de l’extérieur, les gens pensaient qu’enfant, j’étais aimée. Je l’ai été un peu par un amoureux adolescente, puis par un autre un peu au début de l’âge adulte… mais sinon, mes expériences des rapports amoureux, et en partie des rapports amicaux, sont très négatives, bien qu’il y ait un peu de lumière ici et là. Comme je dis souvent, ça fait 14 ans que je suis en thérapie. 14 ans pendant lesquels j’ai travaillé beaucoup à me changer et où j’ai appris à m’aimer, mais peu importe ce que je fais, le monde autour, lui, ne change pas… ou alors il le fait vraiment très tranquillement.

            Je pense quand même que la thérapie est une expérience valide, ne serait-ce que parce qu’elle m’a permis de ne pas devenir cynique et de ne pas devenir moi-même une personne violente ou une personne incapable d’aimer. Une personne capable de se fâcher et de se sortir des situations qui la tuent. Je suis toujours restée enthousiaste et j’ai toujours commencé mes histoires en croyant fermement que les nouvelles rencontres allaient être différentes et que les choses se passeraient mieux. Ça n’a pas été le cas. Je n’ai, malgré ça, jamais rencontré un homme qui agissait vraiment de façon à ce que ça fonctionne. Ils disent souvent avoir de bonnes intentions, mais dans les faits, quand on gratte un peu, ces bonnes intentions, elles les concernent plutôt eux que moi. Je pense que je n’ai jamais rencontré un homme qui se soit demandé ce qui pouvait être bon pour moi dans la relation… et encore moins un qui me le demande, ni qui me demande ce que je peux bien vouloir d’une relation, moi. Ils me plaquent toutes sortes de choses dessus… Décident de qui je suis, de ce que je peux vouloir, de ce que je pense d’eux… Et pas mal à chaque fois, tout cela est complètement faux. 

            Ce que les autres appellent l’amour a toujours été pour moi l’expérience qu’on veuille quelque chose de moi, qu’on me le prenne, qu’on me frappe dessus concrètement ou métaphoriquement… et tout cela sans jamais me voir réellement. Je suis invisible… Ça ressemble à ça, cette expérience de mort que je décrivais tantôt… Pour moi, l’amour, c’est comme me faire étouffer par quelqu’un qui ne me voit pas réellement, mais me répète qu’il m’aime et me veut du bien… tout en me faisant effroyablement mal. C’est terrorisant. J’ai toujours envie de fuir quand on semble s’intéresser à moi, encore plus quand on me dit qu’on m’aime. 

            Mes expériences récentes n’arrangeront pas la situation… Les symptômes de stress post-traumatiques sont encore revenus en fait… c’était juste une accalmie. Il y en a pour un certain temps, je pense, malheureusement… Il y a des moments où je voudrais crier d’horreur… Il y a des moments de terreur, de dégoût et de larmes. J’ai pris plus de rendez-vous avec mon psy. J’ai recommencé à écrire. Je vais finir un livre cet été. Il le faut. J’ai besoin d’avancer et finir un projet. C’est une façon de s’aimer. 

            Je ne dis pas ça pour faire pitié, même s’il peut sembler que c’est ce que je cherche à faire. J’essaie plutôt de nommer que pour certaines personnes, c’est ça, l’amour… Ça ne doit pas être vraiment ça, je sais… mais c’est ce qu’on m’a donné comme image de l’amour et des relations. 

            Ça me donne envie de me mettre à courir et de ne jamais arrêter.        

            Je vais prendre soin de moi. Essayer, en tout cas. 

            J’arrêterai de courir un jour si on m’aime vraiment, si on me voit et si on cherche réellement à me connaître… mais je ne retiendrai pas mon souffle en attendant.  

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