La solitude et sa fin

            Dans mon dernier billet, je disais que l’université et la littérature m’avaient sauvée, en partie parce que je n’avais pas à y avoir d’émotions. Je n’avais pas à y avoir de corps non plus (Il est revenu quand j’ai commencé à enseigner et ça a été l’horreur, mais j’en reparlerai). Ça aussi, ça aidait beaucoup… ne pas avoir de corps… parce que j’ai toujours peur d’être vue.

            Pendant presque toutes mes études, j’étais une sorte d’assoiffée de connaissances sur tout. Une muette effacée, ne parlant à presque personne, apprenant sans contester. Je pense que je voulais surtout m’emplir ce qui n’était pas moi et ne pas laisser de place à ma souffrance. À l’extérieur des cours je sortais boire avec les quelques amis que j’avais. Je buvais trop, le but étant entre autres encore une fois, de m’effacer. Il faut être adroit, par contre, pour jauger le moment limite au-delà duquel vous ne serez plus dans l’euphorie, mais où vous aurez atteint et ouvert la trappe qui renferme les créatures que vous ne voulez pas voir à l’intérieur de vous.

            Je ne recommande pas de boire après un évènement traumatisant, ni de consommer d’autres substances d’ailleurs. J’avais 20 ans et je commençais l’université et je n’avais personne pour m’encadrer. J’ai eu la chance de ne jamais devenir alcoolique ou toxicomane. Je n’ai pas ce genre de penchant vers la dépendance. Il y a juste la nicotine, dont je dois me méfier… pour toujours. Un peu la nourriture aussi. Pour le reste, rien ne colle, rien ne m’accroche. Il y a des raisons à cela, sur lesquelles je reviendrai.

            Bien sûr je ne recommande à personne non plus de ne pas vivre ses émotions dans la vie. Les idées voulant que les émotions soient une preuve de faiblesse ou encore qu’elles soient négatives ont été démontrées fausses depuis longtemps, même si certaines personnes s’entêtent encore à y croire pour leur malheur et celui des autres qui les entourent qui doivent en subir les contrecoups. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a parfois des moments, comme lors de traumatismes graves, où il n’est pas nécessairement recommandé de vivre ses émotions sur le champ ni de le faire seul. Le cerveau lui-même peut parfois nous rendre service en bloquant l’accès à des émotions trop fortes. Il le fait à notre insu. Il le fait aussi afin de nous garder en vie.

            J’ai peut-être trop attendu, avant de revisiter mes traumatismes… ou pas. Personne ne sait et ne peut décider pour vous d’à quel moment il sera adéquat pour vous de le faire. Il n’y aura jamais un moment idéal, mais il faut le faire, sinon toutes ces émotions enfouies retrouveront leur chemin jusqu’à la surface, que nous soyons d’accord ou pas. Elles le feront souvent violemment à un moment pas du tout idéal pouvant parfois nous coûter cher sur différents plans importants.

            Je pense que je ne l’ai pas fait en partie parce qu’à l’époque (il reste des traces de ça aujourd’hui, mais ça commence à être moins pire avec des mouvements comme #metoo et des livres, articles, chansons, documentaires et… qui parlent du sujet) on ne parlait pas vraiment d’agression sexuelle. J’ai essayé d’en parler un peu au fil des ans, mais les gens n’ont pas accueilli ce que je disais. Au contraire c’était toujours comme si je les dérangeais quand j’en parlais. Une fille que je connais à peine, mais qui connaît mon agresseur, m’a même qualifiée d’instable auprès de plusieurs personnes que je connais… Je me souviens d’une fois où, avec des amis écrivains, on a croisé mon agresseur dans un bar et il prenait des photos de moi. Je l’ai dit à deux gars qui étaient là. Un est resté sous le choc, l’autre m’a dit que j’avais toujours des problèmes… Aujourd’hui il cherche à aider les femmes qui ont été agressées… Je ne sais pas s’il se souvient de cette soirée…

            Je vivais beaucoup d’isolement déjà et ça ne m’a pas aidée à en vivre moins.

            En effet, quand je suis arrivée à Montréal et pendant les premiers mois après, je n’étais pas très entourée… et pas bien la plupart du temps. J’avais des difficultés à me faire des amis aussi. C’est le cas depuis l’enfance. J’en avais toujours quelques-uns, mais je trouvais difficile de passer du temps avec eux. Quand une personne ne s’aime pas au point où je ne m’aimais pas, c’est très difficile de partager des moments agréables et riches. Je ne savais jamais quoi dire, comment être dans mon corps, comment m’intéresser à l’autre et… Je me posais aussi, comme je me poserai probablement toujours, beaucoup trop de questions.

            Cet isolement a probablement contribué à ma victimisation et ensuite à ma revictimisation. Je restais seule, enfermée dans mon mal-être, et donc quand des personnes un peu louches m’approchaient, souvent mon sentiment de solitude l’emportait sur mon intuition et je les laissais entrer dans ma vie malheureusement.

            Le fait est que j’ai encore souvent de la difficulté à m’entendre avec les autres… avec la majorité des gens. Ça a en partie à voir aussi avec la douance, donc pas seulement avec les violences que j’ai vécues. La personnalité et la pensée sont structurées tellement différemment que parfois ça rend les contacts difficiles. Le rythme de pensée et d’action ne sont pas les mêmes. Les intérêts des autres m’ennuient souvent, même si j’essaie quand même de comprendre pourquoi ça les intéresse. Les sujets dont ils parlent, leurs préoccupations et leur perception du monde ne correspondent pas beaucoup non plus… ne correspondent pas souvent en tout cas. En ce sens, je suis une douée normale, au fond… Je ne dis pas ça pour dénigrer les autres, même si ça peut y ressembler. Je dis ça pour souligner le sentiment d’étrangeté… ou d’étrangèreté, comme j’avais écrit dans ma thèse, ce néologisme que j’avais créé pour traduire le sentiment de différence, mais aussi celui d’être étrangère, presque d’une autre planète, qui m’habite et qui semblait présent aussi dans le texte d’une écrivaine que j’analysais alors.

            Le plus frustrant est probablement la quantité d’efforts que je fais pour aller vers les autres, leurs intérêts, leur monde, alors que rarement le mouvement inverse est vrai. Au lieu d’essayer de comprendre qui je suis, l’autre me qualifie tout simplement de bizarre et ne s’intéresse pas vraiment à moi ni à qui je suis ni à ce que j’aime. C’était le cas jusqu’à tout récemment en tout cas. J’ai d’ailleurs eu un moment récent d’horreur quand j’ai constaté à quel point les personnes que je pensais être mes amis me connaissaient mal et combien peu d’importance j’avais pour elles…

            Je veux tout lire et tout apprendre et construire des choses. Alors que la plupart des personnes de mon âge veulent avoir des enfants et avoir la paix, ne plus faire d’efforts (mais il existe des personnes différentes, oui oui! J’en ai trouvé!). Des choses et des activités qui ne m’inspirent pas tellement, au fond. Ou alors ils veulent disparaître dans leur couple. C’est difficile à vivre, pour moi, surtout que je n’ai jamais pensé que mes amis étaient juste des personnes avec qui je passais du temps en attendant d’être en couple. Je trouve ça terrible, ce que plusieurs personnes acceptent ou ce dans quoi elles se noient volontairement.

            Je ne bois pas vraiment. Je n’ai pas d’envie particulière de passer mon temps dans un bar, ni de vivre la nuit. Je ne pense plus (je l’ai naïvement cru durant ma vingtaine) que la différence réelle ni ce qui m’intéresse s’y situent. En dehors d’un verre de temps à autre avec des amis, des personnes que j’aime beaucoup, ça ne m’intéresse plus. Cela m’ennuie profondément, en fait, l’ivresse et les paroles de personnes saoules ou droguées. J’ai perdu trop de temps et de personnes dans ces substances et cet environnement pour encore croire qu’il s’y trouve quoi que ce soit de pertinent. Il m’est aussi arrivé trop d’horreurs aux mains de personnes qui ne veulent pas être conscientes. Mais la plupart des gens aiment cela et parfois je me force encore… mais pas trop souvent. J’essaie de me respecter.

            J’aime me lever très tôt (et donc me coucher très tôt aussi). Ce qui est très rare… et considéré très bizarre par plusieurs. Je n’aime pas passer du temps au lit. Ça m’ennuie. La ville n’est d’ailleurs jamais aussi belle que quand je vais y courir très tôt le matin avec le chien et qu’elle est presque déserte. On peut en admirer la magnifique architecture et s’intéresser à sa structure, ses voies de mouvement, sa beauté, sans être dans l’hyperstimulation qui caractérise son activité le jour. La rue et les parcs nous appartiennent alors, à toutou et moi.

            J’aime lire, écrire, apprendre, dessiner… Je le fais d’ne façon compulsive maintenant. J’ai l’impression que c’est parce que je j’ai le sentiment d’avoir perdu mon temps à essayer de m’intégrer et à vivre ces histoires amicales/amoureuses/violentes qui n’ont fait que me détruire. Ça me rend vivante, même si j’ai peut-être l’air immobile pour l’œil peu entraîné.

            C’est sûr que maintenant je suis très forte et riche d’expériences que peu de personnes ont eu dans la vie. Et même si je peux sembler m’en plaindre, je ne changerais mon passé pour rien au monde en fait. Je ne me débarrasserais pas non plus de ma douance, malgré les souffrances qu’elle entraîne parfois. Elle est en partie ce qui m’a permis de traverser tout cela et je ne dois jamais l’oublier. Je dois travailler à mieux la comprendre aussi, entre autres pour faciliter mon acceptation de moi et mes relations avec les autres.

            Il reste que maintenant, les choses changent. J’ai fait du ménage dans mes relations passées qui me pesaient. J’ai éliminé de mon cercle les personnes qui m’ont fait souffrir de différentes façons dans le passé ou qui continuaient de le faire. Au lieu de me sentir plus seule, je me suis mise à me sentir de plus en plus heureuse. Je pense que je m’accrochais à des amitiés bouées qui me rassuraient en confirmant que j’étais une personne qui n’étaient pas vraiment digne d’intérêt puisque ces personnes m’abandonnaient ou me blessaient au moindre prétexte leur permettant de le faire. Pour les personnes qui ont vécu des choses difficiles, il est parfois plus rassurant de rester longtemps dans des situations insatisfaisantes que de se risquer à aller vers de nouvelles expériences qui risquent d’être négatives aussi, ce qui serait doublement blessant… et désespérant surtout. Quand on ne fait rien, on peut toujours s’accrocher à l’espoir abstrait qu’il y a quelque chose de mieux dans le monde. C’est vrai en fait, mais il faut y aller… agir.

            J’ai quand même choisi de me lancer dans le vide même si j’avais peur. Malgré le fait que certaines séparations m’ont fait mal, l’expérience ne se passe pas du tout comme je le croyais. Ça se passe vraiment bien, en fait, et les personnes que je rencontre maintenant, ou celle que je connaissais mais qui occupent plus de place dans mon présent maintenant qu’elles ont de l’espace pour le faire, sont beaucoup plus saines et stimulantes que celles dont j’étais entourée avant. J’aime mes amis. J’aime ma nouvelle vie. Je me sens de plus en plus vivante et heureuse et créative. C’est une excellente chose, la vitalité. La création stimulée par cette nouvelle vie aussi, sous toutes ses formes.

Bonne journée!

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2 commentaires

  1. J’aime beaucoup ce texte. Je m’y suis retrouvé dans certains passage de ce que tu décrivais. La solitude, l’enfermement dans des relation douteuse et malsaine. J’ai moi aussi été « obligé » de supprimer des gens de ma vie pour me libérer. Pour vraiment vivre MA vie.
    C’est fou le bien que ça fait!
    J’ai maintenant un tout petit cercle d’ami. Mais c’est moi/nous qui nous sommes choisi.

    Bonne journée à toi aussi
    ^__^

    Aimé par 1 personne

    1. C’est bien mieux comme ça en fait! Mais si on l’avait fait avant, on aurait eu l’impression de manquer quelque chose… Ça prend du temps la sagesse 😉 Merci et à bientôt!

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