La perception de soi (suite)

            J’ai oublié de dire dans le dernier texte que la seule personne à qui j’ai dit « Je t’aime » quand j’étais au primaire, m’a donné un coup de poing dans le ventre. Ce qui, en un sens, peut sembler comme un signe du fait que je choisirais longtemps de mauvais objets d’amour… ou juste une malchance. Un mélange des deux, probablement.

            Quand je suis arrivée au secondaire, j’étais encore habitée par une très mauvaise image de moi, une honte de mon corps et une peur des autres. Je suis devenue amie avec une personne qui ne me voulait pas que du bien et qui se plaçait constamment en position de supériorité par rapport à moi. Elle me parlait comme si elle avait tout vu de la vie, à 14 ans… et je me suis laissée entraînée dans des choses qui auraient pu être très dangereuses pour moi, mais dont je suis heureusement sortie assez rapidement.

            À cette époque, j’enviais les autres qui avaient des amoureux. J’avais l’impression que ce serait toujours impossible pour moi et j’avais toujours l’impression que les garçons qui m’intéressaient étaient trop bien pour moi. Je me sentais laide et inintéressante. Ça venait des choses que j’entendais à la maison et du fait que je n’avais pas vraiment d’autre point de référence.

            J’étais amoureuse d’un jeune homme rebelle qui jouait de la batterie dans un groupe de métal. À mon grand désespoir, après lui avoir parlé quelques fois, il a fini par me dire qu’il me trouvait jolie, mais que j’utilisais des mots trop compliqués pour lui et qu’il ne comprenait jamais quand je parlais. J’ai pris ça très négativement. Comme à la maison le fait de penser et d’être différent n’était pas vraiment encouragé, cette expérience et d’autres qui suivraient ont fait que j’ai utilisé, pendant très longtemps, toutes sortes de façons pour cacher mon intelligence, pour la diminuer. Je me sentais obligée de boire beaucoup, de ne pas parler de ce qui m’intéressait (ni de le faire en fait… je n’ai pas fait ce que j’aimais réellement pendant très longtemps) et d’adopter d’autres comportements dans le genre pour être acceptée par les autres et être jugée digne d’intérêt. J’avais honte de mon corps, de mes pensées, de mon intelligence, de ma curiosité, de ma créativité et… J’avais honte de tout mon être.

            Un jour ce garçon dont j’étais amoureuse m’a embrassée. Je me suis sauvée en courant. Terrorisée. Après j’avais trop honte pour lui reparler. Comme il prenait vraiment beaucoup de drogues, et qu’il ne semble pas avoir cessé de le faire d’après les nouvelles que j’ai eues au fil des années, c’était probablement une bonne chose. Mais c’est sûr qu’à l’époque, avec mon imaginaire d’adolescente malheureuse, je l’ai très mal vécu.

            Après des mauvais coups qui allaient en empirant de plus en plus, mes parents et les parents de mon amie ont fini par nous interdire de nous voir. L’école aussi, d’ailleurs, du moins sur le terrain de celle-ci. J’ai donc dû trouver de nouveaux amis, ce qui, avec le recul était une des meilleures choses qui pouvait m’arriver parce qu’à ce moment j’ai rencontré plusieurs des personnes qui sont encore très importantes pour moi aujourd’hui. J’ai rencontré celui que j’appellerai mon premier amour, qui est encore un très bon ami, 21 ans plus tard.

            Nous avons eu une belle histoire d’amour qui semblait parfaite à tout le monde et l’était en un sens. C’était un amour inattendu et beau. On avait un drôle d’air. J’étais un sorte d’hybride entre une punk et une gothique et lui un genre de hippie (nous étions bien sûr plus complexes, mais c’est l’image extérieure que nous offrions). Nous n’avions donc pas l’air tout à fait agencés. Je l’aimais vraiment beaucoup. Je n’avais rien à lui reprocher. Je n’ai encore rien à redire aujourd’hui, mais j’ai compris pourquoi j’ai fini par ne plus vouloir être avec lui.

            J’avais commencé la relation avec l’idée qu’il était trop beau et trop bien pour moi et que c’était en un sens une faveur qu’il me faisait d’être avec moi. L’image que j’avais de moi-même était tellement négative que c’était impossible pour moi de concevoir les choses autrement. J’étais toujours stressée parce que je me disais qu’il finirait inévitablement par voir qui j’étais réellement, à voir à quel point j’étais insuffisante dans tous les aspects de mon être et par me rejeter. Je n’étais donc jamais calme et je ne me laissais jamais aimée, même si je l’aimais, oui. Plus il était gentil avec moi, plus cela me semblait anormal et trop beau pour durer. C’était insupportable de voir quelqu’un aimer ce que je détestais si profondément : moi.

            Ce dont je n’étais pas consciente à ce moment, mais que j’ai compris depuis, c’est que j’étais terrifiée par l’amour. Tout ce que j’en connaissais, c’était ce que j’avais vécu dans ma famille. Être aimée signifiait pour moi ne pas avoir le droit d’être moi. Cela signifiait que je devrais m’écraser. Que je devrais cacher ce qui m’intéresse. Que je devrais me soumettre. Que je ne devrais rien dire ou faire qui risque de déplaire. Que je ne devrais jamais rien critiquer ou reprocher. Que je n’avais pas le droit de ne pas aimer les mêmes choses que l’autre… Que je devrais vivre du chantage émotif comme la menace que l’autre personne ne soit conduite à la mort, soit par le fait d’avoir pleuré trop longtemps ou par le suicide, si jamais je faisais quelque chose qui lui déplaisait…

            Ma mère répétait souvent qu’elle mourrait si je faisais quelque chose d’aussi anodin que me faire tatouer (ou d’autres choses du genre). Pour elle c’était la fin du monde. Elle serait probablement morte très vite si les modes présentes avaient été en cours quand j’étais adolescente… C’est sûr qu’on peut voir ça comme des façons de parler, avec le recul, mais pour une enfant et pour une adolescente, quand un parent vous menace de mourir à chaque fois que vous penser à faire une chose qui lui déplaît, ça fait beaucoup de pression. Beaucoup de pression à se conformer et toujours agir de façon à ne pas déplaire ou blesser l’autre. Ça empêche de vivre. Ça empêche presque de respirer. Elle acceptait d’autres choses que d’autres mères n’aurait pas acceptées, donc tout n’était pas si mal, mais disons que le caractère extrême des moyens qu’elle adoptait pour me décourager de faire certaines choses était plus marquant pour l’imaginaire d’une jeune personne. Mon père, quant à lui, me reniait au moindre prétexte, me disant que je n’étais plus sa fille pour des raisons qui auraient fait réaliser à d’autres parents que quelque chose n’allait pas et qu’il fallait aller chercher de l’aide.

            Donc c’était vraiment très lourd et paniquant, être aimée… parce que c’est la raison qu’ils utilisaient pour justifier de faire toutes ces choses.

            Beaucoup de personnes ont malheureusement trop de fierté mal placée et de peur pour aller chercher de l’aide. Elles empruntent souvent des chemins qui empirent les choses au lieu de les régler. Je suis la seule personne qui est allée chercher de l’aide dans ma famille et j’ai été sauvagement punie, pour cela. Je raconterai peut-être cela un jour aussi.

            Pour finir avec ma belle relation, je m’y suis sentie de plus en plus étouffée. Ça n’était pas lié à quelque chose de mal qu’il faisait. Ça venait de l’intérieur de moi, de ce que j’avais intégré comme conception de l’amour. J’étais trop jeune pour savoir que pour une personne qui se déteste et à qui on a fait croire que l’amour est ce que mes parents m’avaient fait croire que c’était, c’est normal que l’amour soit terrorisant parce qu’elle ne connaît rien d’autre. Ce qu’on appelait amour chez moi était plus proche d’une mise à mort de l’autre qui devait devenir un objet sans vie se pliant aux caprices de son possesseur plutôt qu’une relation qui donne de la force, nourrit et ouvre sur le monde.

            J’ai aussi laissé mon amoureux parfait parce que j’avais l’impression d’être prise et que si je restais avec lui, je serais prise à jamais dans cette banlieue de Québec où je vivais et donc proche de mes parents. Je serais prise dans cette vie qui me tuait et dont je voulais m’échapper à tout prix. Je l’ai quitté et après je me suis retrouvée avec des personnes qui en fait reproduisaient exactement le même modèle que je connaissais dans ma famille. Un modèle où je devais « gagner » leur amour à tout prix et continuer à me sentir comme de la merde constamment. Ça peut sembler absurde, mais non, il y a une logique. L’humain a malheureusement tendance à rester dans ce qu’il connaît et pour la jeune femme que j’étais, c’était beaucoup plus effrayant de penser que je pourrais me laisser aller à croire l’image que me renvoyait mon amoureux gentil et ensuite être abandonnée et devoir m’apercevoir que j’étais réellement la personne horrible que je pensais être… c’était plus facile de ne même pas essayer de vivre autre chose. Ça permettait de ne pas prendre de risque et de continuer à rêver à des portes de sortie que je n’aurais pas le courage de prendre réellement pour aller concrètement vers l’inconnu avant longtemps.

            Je ne sais pas si c’est clair… mais il y a du sens et une logique là-dedans, même s’il s’agit bien sûr d’une logique pervertie par le mal-être que je vivais alors.

            Le mélange de ces deux problèmes, le fait de penser que j’étais inférieure à tout le monde et aussi d’être terrorisée par l’amour qui ressemble à un étau où l’on meurt m’a accompagnée par mal toute ma vie après. Soit je me retrouvais avec des hommes bien, mais dont j’avais peur qu’ils finissent par m’étouffer ou voir que j’étais un être méprisable, soit je me retrouverais avec des hommes avec un caractère plus violent qui me confirmaient ma nullité et me maltraitaient plus ou moins sans conséquences parce que j’étais trop occupée à penser qu’ils me faisaient un cadeau d’être avec moi…

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