Les obstacles de la conscience : la perception de soi

            C’est un matin lent et pluvieux dans lequel mon incertitude de comment aborder mon sujet se déroule peu à peu de son endormissement protecteur. C’est parce qu’il est trop immense et je ne sais trop par quel morceau l’aborder.

            J’imagine que la meilleure chose à faire est d’y aller comme je peux et d’accepter que j’aurai probablement à y revenir souvent dans les prochaines semaines ou même les mois et les années à venir.

            J’ai raconté un peu mon enfance. De celle-ci et des choses qui m’ont été dites et faites pendant celle-ci, a découlé une perception de moi très négative qui allait influencer mes relations pendant très longtemps, que ce soit sur le plan amoureux ou sur celui de l’amitié. Cela m’affecte encore aujourd’hui en fait, même si je suis plus lucide par rapport aux enjeux qui se débattent dans le magma formé par les choses dont je suis consciente et ce qui émerge peu à peu à chaque moment des jours qui passent.

            Quand j’étais enfant, je n’avais pas beaucoup d’amis et les autres enfants me trouvaient bizarre. C’est en partie lié à la douance, mais aussi et surtout aux choses que je vivais à la maison. J’étais amie avec ma voisine, parce que sa mère me gardait souvent. J’étais amie avec l’autre voisine, parce qu’elle habitait proche, mais quand je suis entrée à l’école, me faire des amis a été quelque chose de très difficile.

            J’étais discrète et effacée. J’éprouvais aussi beaucoup de peur devant des menaces obscures de ce que les autres allaient me faire. Mes parents n’étaient pas très enthousiastes face aux autres. Mon père un peu plus à cause de son métier, mais il finissait inévitablement par se brouiller avec les autres à cause de sa personnalité, particulière, disons… Je n’étais pas encouragée à inviter les autres enfants à la maison. Ma mère fermait tous les rideaux des fenêtres dès que le jour baissait un peu, et disait inévitablement « Il ne faut pas que les voisins nous voient ». Elle me répétait aussi souvent que je ne devais pas parler de ce qui se passait à la maison.

            Pour une enfant grandissant dans ces circonstances, il n’y avait finalement pas grand-chose dont je pouvais parler avec les autres. Donc la plupart du temps je restais seule et je lisais. J’étais bien en classe, même si je m’ennuyais un peu, mais je redoutais le moment de la récréation où je devrais sortir dans la cour au son de la cloche et constater à nouveau ma solitude qui devenait encore plus intense face au bonheur des autres d’être ensemble. J’avais tendance à aller me cacher dans un coin de la cour. Parfois j’avais une amie proche, mais ça ne durait jamais vraiment longtemps. J’avais trop de secrets, que je ne comprenais d’ailleurs pas vraiment, à protéger. J’étais donc très isolée.

            En plus de cela, je vivais beaucoup de honte. J’avais honte de mon corps et de mes vêtements. J’avais honte de mon apparence en général au point où mes mouvements même étaient ralentis et toujours gauches. J’avais honte d’exister en fait. Je redoutais les cours d’éducation physique. Je redoutais en réalité tous les moments où je devrais me déplacer dans l’espace et être vue par d’autres. Ça ne rend pas le fait de jouer très facile ni même celui de simplement aller à la rencontre de l’autre…

            Je n’allais dont pas vers les autres et ils venaient peu vers moi.

            Je me souviens de mon premier petit ami à l’école primaire. Son cousin était venu me dire qu’il me trouvait très jolie et voulait sortir avec moi. Quand je suis rentrée à la maison, je l’ai dit à ma mère. J’avais sept ans. Je me souviendrai toujours de l’expression d’horreur qui a envahi son visage alors. Elle m’a dit que ça n’avait pas de bon sens et que je devrais oublier ça. Le petit ami en question m’avait demandé mon numéro de téléphone et il a appelé plusieurs fois ce soir-là pour me parler et me demander de faire différentes choses, comme de faire un dessin et de se le donner le lendemain. Sous le regard de ma mère et ses signes de tête négatifs, je disais non à chaque appel. Après quelques tentatives, le pauvre garçon m’a appelée à nouveau pour me dire que c’était fini parce que je ne voulais jamais rien faire. J’avais été voulue et rejetée en une demi journée.

            Durant les années qui ont suivi, je me suis encore plus effacée. Pas seulement à cause de cet évènement bien sûr, mais à cause principalement de ce qui se passait à la maison. J’ai commencé à me sentir de plus en plus anormale. Je voyais les autres vivre des expériences qui m’étaient inaccessibles et qui m’ont de plus en plus semblées à jamais hors d’atteinte.

            Mes parents se sont mis à nous inscrire au terrain de jeux l’été pour que nous puissions passer du temps avec d’autres enfants. Je détestais cela et j’avais beaucoup de difficulté à m’y intégrer aussi. Je faisais aussi souvent semblant d’être malade pour ne pas y aller. Là aussi, un garçon que toutes les filles trouvaient beau s’est intéressé à moi. Alors qu’il m’exprimait ses sentiments pendant un court voyage de camping, je lui ai renversé mon chocolat chaud sur les jambes tellement j’étais nerveuse. Il ne m’a plus jamais parlé après. J’étais nerveuse parce que j’avais gardé, de ma première expérience, l’idée que je n’avais pas le droit d’être aimée par un garçon et aussi l’impression qu’il me trouverait inévitablement ennuyante et me rejetterait rapidement. Donc je ne sais pas s’il n’y avait pas quelque chose d’inconsciemment volontaire, dans cette catastrophe de chocolat chaud…

            À un moment donné, me sentant complètement différente, anormale et rejetée, j’ai fini par m’inventer un amoureux pour que les autres filles me fichent la paix et pour essayer de m’intégrer un peu plus. Je me suis fait prendre parce que j’avais nommé quelqu’un de mon école primaire qui sortait en fait avec une amie d’une des fille du groupe…Alors la honte a doublé et mon isolement aussi. J’ai fini par renoncer à l’idée d’avoir des amis et je n’ai plus demandé à ma mère de m’inscrire au terrain de jeux. Et j’ai gardé l’idée que j’étais anormale et bizarre… et surtout que personne ne m’aimerait jamais.

            Ça a continué comme cela longtemps. J’ai commencé à avoir quelques amies que j’ai rencontrées pendant la préparation à la première communion parce qu’on faisait encore ça dans ce temps-là. Je n’étais donc pas complètement seule, mais en même temps ces amitiés nouvelles, minces espoirs de changements étaient limitées par le fait que cette préparation avait une durée précise dans le temps. Je suis restée proche de la fille de la dame qui donnait le cours pendant longtemps. Je retrouverais les autres quand j’entrerais au secondaire.

            Pendant toutes ces années où normalement les enfants apprennent à vivre en société et à avoir des relations, j’étais limitée. J’étais limitée par le fait que ma famille n’était pas comme les autres et que parfois mon père nous retirait de l’école pour nous emmener en voyage, ce qui me valait ensuite souvent les foudres des professeurs qui n’appréciaient pas de devoir nous réserver un traitement particulier et faire des exercices supplémentaires pour mon frère et moi. J’étais limitée par le fait qu’en plus de mes difficultés internes, nous ne mangions pas à la même heure que les autres qui soupaient lorsque j’aurais pu aller jouer et jouaient lorsque l’heure était enfin venue de manger pour nous.

            Ce ne sont pas des violences terribles, bien sûr (même s’il y en avait sur le plan psychologique), mais ce sont des limitations qui ont contribué à m’enlever la possibilité d’être avec les autres enfants et qui me singularisaient davantage, me rendant encore plus bizarre pour les enfants qui n’apprécient pas toujours la différence. Ce sont des circonstances qui m’enlevaient la possibilité d’avoir un développement sain. Il y avait d’autres éléments, mais cela suffit pour le moment.

            J’étais par contre surtout limitée par la perception de moi que j’avais intégrée. Tous ces rejets, en plus des choses méchantes et dénigrantes que j’entendais à la maison ont fait que j’ai commencé très tôt à intégrer un discours intérieur très négatif dans lequel je m’accusais de choses terribles et me répétais que j’étais laide, ennuyante, bizarre… impossible à aimer, surtout, et que je devrais donc disparaître. Je n’avais pas non plus vraiment le droit d’avoir des besoins, mes parents nous disant souvent que nous étions trop exigeants, si bien qu’on a fini par ne plus rien demander du tout. Je me suis mis à me demander sans cesse comment je pourrais plaire aux autres et à ma famille. J’élaborais sans arrêt des plans qui me vaudraient d’avoir un peu d’attention des autres, d’en avoir au moins un minimum. Ces plans échouaient généralement ou alors je me faisais reprocher d’essayer d’attirer l’attention, personne ne comprenant, autour, que justement, un enfant a besoin d’attention saine et que je n’en avais presque pas du tout. Je suis donc restée longtemps avec l’idée qu’il fallait que je fasse quelque chose pour être aimée. Quelque chose de très difficile qui semblait m’échapper à jamais.

            J’ai commencé à lire à cette époque. À lire beaucoup plus que pas mal n’importe quelle enfant le fait à cet âge. Je lisais des livres pour adolescents et pour adultes et je m’attachais toujours bien sûr aux personnages malheureux et seuls, éléments qui ont peu à peu intégré sournoisement mon sentiment d’identité, à la fois comme représentation de moi qui m’isolait davantage, mais aussi comme réconfort au sens où avec les livres, je n’étais pas seule. Il y en avait d’autres comme moi, mêmes s’ils étaient corporellement inaccessibles pour un temps.

            Je me suis aussi mise à développer une curiosité sans borne pour comment les autres vivaient et à épier sans cesse les façons dont ils agissaient entre eux pour essayer de comprendre comment ça se passait, ailleurs. J’ai des souvenirs très vifs de la maison des autres où je n’allais que brièvement. Je me souviens d’avoir été très envieuse de chez soi que je ne comprenais pas réellement, mais qui me semblaient désirables. J’ai commencé à rêver d’être ailleurs.

            C’est seulement au secondaire que les choses commenceraient à changer pour moi et que je commencerais à avoir des amis qui m’aimeraient justement pour mes différences.

            La suite viendra.

            Bonne magnifique journée grise d’automne.

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