Cette semaine je suis allée à la première séance de mon nouveau cours de dessin. Comme à chaque fois que je vais à un nouveau cours, je me sentais comme une enfant. Ou alors peut-être que je confonds encore enthousiasme et immaturité, infantilisme.
Cela vient probablement du fait que j’ai eu une sorte d’enfance inerte, immobile, silencieuse. J’ai vu la moindre envie qui naissait en moi écrasée par des commentaires moqueurs et destructeurs. J’ai fait certaines des choses que je voulais faire quand même, mais avec un plaisir toujours entaché par des commentaires insinuant que j’allais nécessairement vers l’échec. J’ai encore de la difficulté, aujourd’hui, à montrer quand j’aime quelqu’un ou quelque chose de peur de voir mon bonheur détruit encore une fois… ou du moins contaminé par les idées mesquines d’autres personnes qui généralement ne savent même pas ce que je fais.
Et ça arrive, oui.
À chaque fois que je vais mieux, que je suis heureuse, il y a une personne pour tenter de me remettre à ce qu’il voit comme ma place, dans le trou dépressif où j’étais avant. Je ne me laisse pas faire, mais ça reste quand même une perte d’énergie considérable et inutile. Je dois méditer plus, pour que ces voix ne deviennent qu’un vague bruit de fond auquel je serai indifférente.
Dans le cours de dessin, il y avait des personnes provenant de tous les groupes d’âges. Ça m’a rassurée sur le coup. J’étais quand même un peu stressée. J’ai reconnu en moi ces mêmes pensées que j’ai à chaque fois que je suis dans une nouvelle situation, devant des inconnus.
Une partie se compose de plaisir et une autre de peur. Une partie se demande si je trouverai des gens ayant des préoccupations et valeurs proches des miennes, ou si je serai encore regardée comme la personne étrange qui ne sait pas s’intégrer, les choses m’ayant été dites ou faites n’étant bien sûr jamais prises en compte dans l’élaboration de ce jugement…
J’imagine que les deux options sont bonnes, au fond. D’un côté, avoir parfois plus d’affinités avec les autres serait bien. De l’autre, accepter mes différences et les assumer même si cela me fait vivre un inconfort est aussi pertinent dans ma démarche et dans ma vie.
Ma capacité d’entrer en relation avec les autres est encore diminuée par les restes de peur et d’inconfort que je ressens à chaque fois, mais c’est à moi d’y travailler et surtout de me rappeler que je ne suis pas obligée d’avoir des relations avec tout le monde… le monde étant trop souvent beaucoup trop comme une cour d’école primaire. Constatation nouvelle pour moi, parce qu’avant j’assumais toujours simplement que les autres étaient meilleurs que moi… dans tout.
Dans le cours, nous étions assis en demi-cercle devant le professeur qui ne parle pas très bien français, chose qui ne m’a pas dérangée outre mesure mais qui semblait agacer les autres. Ce qui m’a perturbée, ce sont tous les comportements énervants d’étudiants qu’on espèrerait disparus au moment d’entrer à l’université.
J’étais crispée, en colère, sur ma chaise, les marmonnements incessants de plusieurs personnes enveloppant une partie de mon cerveau par derrière, m’empêchant de bien écouter. J’ai pensé au pauvre professeur. J’enseigne aussi. Je sais ce que ça fait d’avoir ce bruit de fond agaçant et sans fin alors qu’on tente de donner un cours qui est important pour nous.
J’ai senti monter une très forte colère en moi. Il y a des personnes qui peuvent faire autre chose, mais quand même suivre ce que la personne en avant dit. Ce n’était pas le cas. Les personnes qui parlaient arrêtaient le professeur à toutes les deux minutes pour poser des questions sur des choses qu’il avait dites ou qui étaient clairement inscrites dans le plan de cours
Je sais qu’ils ont peur un peu, eux aussi, et que cela explique en partie ce comportement, mais en même temps je le vois comme un manque de respect et d’empathie de leur part envers le professeur et les autres étudiants.
Je sais qu’une part de moi veut être une étudiante modèle et que cela implique pour moi une forme d’immobilité fascinée et souriante, mais silencieuse. Je ne prends la parole que pour être utile. Effacée, mais attentive et utile. Donc ces comportements m’énervent encore plus.
Au moment où le professeur a donné le devoir pour la semaine, une fille a demandé s’il s’agissait vraiment d’un cours pour débutant. Il fallait faire un autoportrait, le portrait d’un ami, une scène intérieure de la maison et un paysage. Elle trouvait que c’était beaucoup.
Le professeur lui a demandé si elle voulait vraiment être dessinatrice.
Elle n’a pas répondu.
Je l’ai regardée du coin de l’œil et j’ai vu son corps s’affaisser. Son visage et ses yeux sont devenus tout rouges et ses yeux faisaient des mouvements d’aller-retour. Après quelques minutes, elle pleurait.
Ça m’a rendue triste et soulagée en même temps.
Triste, parce que ça montre à quel point on se met de la pression, comment on est constamment dans la représentation, comment on veut être bon dès le départ, alors que c’est complètement absurde. Le bonheur est dans la pratique et dans le progrès. C’est normal de ne pas être bon quand on commence une nouvelle activité, mais le regard des autres pèse si lourd pour certains que parfois on l’oublie. C’est aussi normal de ne pas être bon à chaque fois qu’on fait quelque chose même si on le fait depuis longtemps. Et enfin, même ne jamais devenir bon peut être normal et satisfaisant si jamais ce qu’on vise n’est pas d’être admiré pour ce que l’on fait, mais plutôt juste le fait de le faire pour le sens que cela a pour nous.
Soulagée parce que j’ai réalisé que j’étais heureuse de ne plus être au même endroit de doute et de peur que la triste fille à côté de moi dont j’espère qu’elle dépassera ce moment de frayeur initiale et n’abandonnera pas le cours. Je suis arrivée à un état où j’accepte de montrer ce que je fais, même quand c’est raté ou laid, sans trop d’émotion, parce que je veux m’améliorer.
Après un certain temps, mon corps a commencé à se détendre sur la chaise. C’est devenu plus facile d’ignorer les bruits autour. Je me suis souvenue de pourquoi j’étais là. Pour m’amuser, pour apprendre, pour réaliser mes projets, mes rêves. J’ai recommencé à respirer et j’ai souri sincèrement cette fois, à l’idée du défi qui m’attendait.
Quand je suis rentrée à la maison, j’ai commencé à dessiner. J’ai remarqué que j’hésitais moins et que j’avais moins peur de le faire maintenant.
J’ai plus de facilité avec les lieux, donc j’ai commencé par cela. On n’avait pas droit à une règle, ce qui m’a permis de constater que j’ai pas mal de difficulté avec la perspective et les lignes droits. C’est une bonne information et j’accepte d’avoir à changer cela.
J’ai aussi remarqué que même si le devoir était de faire les choses d’une façon réaliste, mon regard sur le monde tend à produire une interprétation du réel qui tend vers autre chose. Je ne veux pas la perdre, même si je veux améliorer ma capacité de reproduire le réel un peu plus. Ça peut peut-être servir parfois…
Au-delà des qualités plastiques de ce que je fais et même si je n’ai pas encore terminé ces dessins, l’important, c’est qu’au lieu d’avoir l’impression que j’allais mourir en dessinant, je me sentais vivante.