Zoom et la perception de soi

            Presque toute ma vie, j’ai été persuadée d’être affreuse. Pas seulement affreuse. Il y avait en fait autour de moi, dans ma perception de moi, toute une série de caractéristiques extrêmement négatives que j’attribuais à ma personne. Ce que je me disais était tellement violent que c’est parfois difficile pour moi de comprendre comment j’ai fait pour vivre, même pour simplement continuer à respirer tellement je pensais que ce que j’étais devrait avoir honte d’exister et chercher à disparaître par n’importe quel moyen possible. 

            Ça n’a rien de rationnel. Plusieurs personnes dans ma vie ont levé les yeux au ciel ou m’ont dit que j’exagérais alors que c’était faux. Je me voyais vraiment d’une façon terrible. Certaines personnes se sont fâchées. Certaines ont pleuré de me voir me détester et me nuire. Le problème, c’est que puisque cette haine de moi n’avait rien de rationnel ni d’objectifs, peu importe ce que les autres disaient ou faisaient, ça ne changeait rien. Je me suis après tout fait dire pas plusieurs personnes que je suis belle. Des hommes ont fait des choses impensables juste pour s’approcher de moi. Si le regard de l’autre avait été suffisant pour me faire me sentir bien dans ma peau et me vouloir du bien, ce serait arrivé. Ce n’était donc pas la voie pour moi. 

            Il reste que oui, dans l’enfance, la perception de soi se construit dans le regard de l’autre. Donc, une enfant comme moi, qui vivait dans un cadre où l’amour était conditionnel à l’obéissance et à la conformité aux rôles de genres, a entendu une infinité de commentaires négatifs sur son apparence et sa façon d’être elle extrêmement tôt. En fait, cette idée que je ne suis pas comme il le faudrait, que j’ai une anomalie, que je suis difforme, énorme, dégoûtante, répugnante, atrocement laide, révulsive et… elle m’accompagne du plus loin que je me souvienne. Aussi cette fameuse étiquette, celle voulant que je sois décevante. J’ai eu beau tout faire, ce n’était jamais suffisant. Je ne correspondais jamais à ce que l’on attendait de moi. 

            Je me suis trahie parfois, je me suis déguisée en le type de fille qu’on voulait, mais pas longtemps. Je me suis ensuite complètement noircie et révoltée à l’adolescence et ça n’a jamais vraiment passé après. Je me suis enveloppée de quelque chose qui ne convenait pas aux autres. J’ai réessayé un peu plus tard dans ma vie de me normaliser, de me pâlir un peu, lasse des commentaires niaiseux sur mon apparence… mais ceux-ci continuaient malgré tous les changements que j’avais faits alors je suis peu à peu revenue à ce que j’aimais. J’ai aussi découvert des choses que je ne savais pas que j’aimais, mais c’est une autre histoire.  

            Si seulement, pendant ce temps, je m’étais aimée au-delà de ce que les autres disaient, je pense que ça aurait été moins pire, mais ce n’était pas le cas. Je me traitais d’une façon hyper violente, bien pire que ce que la plupart des gens auraient pu imaginer. En fait, j’ai seulement commencé à ressentir quelque chose qui ressemblait à de la bienveillance envers moi-même et un mouvement de rejet moins violent il y a deux ans, soit à l’âge de 37. C’est long 37 ans à se sentir immonde et à difficilement supporter sa propre vue. Je ne pense pas que les autres pensaient que je pensais cela de moi. Je pense que les autres voient quelqu’un d’autre que la femme que je voyais. Dans bien des cas, en tout cas, j’ai encore conscience de ne pas convenir à bien des gens… pas parce que je ne conviens pas réellement, mais parce que le monde change très lentement et les gens sont encore enfoncés dans leurs vieilles définitions même s’ils ne l’avouent que rarement. Ça paraît mal… Alors ils cachent qu’ils n’ont pas vraiment changé d’idée à propos des femmes… mais je sens quand même que ça commence à changer. C’est particulièrement visible dans les paroles et les façons d’être des personnes un peu plus jeunes et cela m’emplit de bonheur. 

            Donc, il y a environ deux ans, j’ai commencé à me détester un peu moins et à m’intéresser davantage à mon corps et mon image. Je me suis mise à produire des images de moi dans toutes sortes de circonstances. Des autoportraits. Principalement de mon visage puisque mon corps m’effrayait encore parfois. Son image encore plus que sa présence ou ses sensations. J’ai mis plusieurs de ces photos sur les réseaux sociaux, même si parfois je m’y trouvais affreuse. Je suis certaine que les personnes qui pensent toujours au pire et assument que c’est la vérité y ont vu un signe de narcissisme de ma part, mais non. Je ne suis pas narcissique. Je me suis déjà soumise à cette hypothèse dans le cadre de ma thérapie et le résultat a été négatif. Je suis quand même fière de m’être exposée à cela. Peu de gens sont prêts à se remettre en question à ce point… 

            Non… la vérité, c’est que j’avais lu des textes féministes qui parlaient des selfies comme une façon de se réconcilier avec son image. Alors j’ai fait ce que j’avais à faire. Je me suis prise souriante, l’air bête, riant, pleurant, étant malade, étant heureuse, plus grosse, plus mince, seule, avec le chien, avec des amis (mais rarement parce que je n’aime pas dévoiler mes liens sur les réseaux)… et ça a pris deux ans. Deux ans avant que j’accepte ma face. J’ai seulement commencé à accepter et apprécier mon visage à l’âge de 39 ans. Ça veut dire beaucoup de souffrance et de honte pendant extrêmement longtemps. 

            J’ai aussi finalement commencé à ressentir de la compassion et de l’amour pour moi. C’est arrivé étrangement. C’est arrivé en me regardant parler dans Zoom. Le fait d’avoir vécu beaucoup de violences de différents types avait eu, dans mon cas, pour conséquence de me sortir de mon corps et me détourner de mon image. De la déformer aussi. Je ne me voyais pas comme je suis réellement. Le fait de me voir et de m’entendre parler à mes étudiants, mes amis et mon psy sur Zoom a eu pour conséquence que j’ai fini par ressentir des élans de tendresse envers moi. J’ai pu voir mon humour, ma timidité, ma vulnérabilité, mais ma force aussi. J’ai pu finalement un peu voir ma beauté atypique. C’est fascinant, finalement, se voir vivre. J’ai appris à aimer me mettre en scène un peu plus aussi grâce à mon cours de photo. Avoir su, j’aurais fait toutes ces choses avant… C’est une des rares bonnes choses ayant émergé, pour moi, de la pandémie. Si d’autres personnes parmi vous ont vécu un peu la même chose, je serais bien curieuse de le savoir. 

            À plus!   

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