Une autre des choses que souvent les gens ne comprennent pas au sujet des traumatismes, c’est à quel point cela rend difficile le fait d’aller vers l’autre. Les réactions peuvent être très différentes. J’ai très longtemps été capable de continuer à aller vers les autres comme si rien ne m’était arrivé. J’ai été très enthousiaste des autres. Très curieuse. Toujours ouverte à l’idée que les choses seraient différentes. Ça n’a pas été souvent le cas malheureusement. Ni en amour ni en amitié. Donc, à un moment donné, à force de la répétition de mauvaises expériences et de traumatismes, j’ai commencé à trouver ça difficile. J’ai fini par avoir peur des autres. C’est une peur que je ne peux pas toujours contrôler. Je fais quand même des efforts contre elle.
Je dirais que j’ai commencé à trouver cela de plus en plus difficile à partir d’il y a environ deux ans, quand une de mes amitiés s’est terminée. La personne m’a dit des choses tellement horribles et injustes qu’on dirait que ça a fait éclater ce qu’il me restait d’intérêt dans les nouvelles rencontres. C’est resté comme ça pendant longtemps. Au début de la pandémie, plusieurs choses que je pensais réglées ont commencé à remonter. J’ai dû vivre des flashbacks de beaucoup de violences que j’avais vécues. C’est arrivé à d’autres de mes amies aussi, mais j’ai déjà expliqué pourquoi cela fait ça ailleurs et j’ai prévu y revenir ici dans quelques semaines. Maintenant ça va mieux. J’ai plus envie de rencontrer des nouvelles personnes. Probablement parce que j’ai travaillé encore très fort à dépasser mes difficultés et que j’avais du temps et de l’espace pour le faire à cause de la pandémie.
Le plus difficile, c’est souvent que les autres n’ont aucune idée de ce que je vis ou de ce que j’ai vécu. Plusieurs personnes ne sont pas vraiment renseignées ni même sensibilisées au sujet des violences. Ça arrive aussi qu’elles pensent être renseignées, mais qu’au fond les connaissances qu’elles ont sont superficielles et qu’elles sous-estiment la gravité de ce qui vous est arrivé ou de ce que vous ressentez encore. J’ai déjà parlé de combien cela m’énerve quand les gens assument qu’une personne exagère sa souffrance… mais parfois aussi ce n’est pas vraiment conscient ni volontaire de leur part. Ce sont souvent aussi des personnes qui se coupent elles-mêmes de leurs émotions. Une autre chose qui est extrêmement difficile, c’est de faire comprendre aux gens que la peur qu’on a d’eux n’est parfois pas vraiment contrôlable au début, mais qu’elle tend à passer avec le temps. Plusieurs personnes le prennent de façon personnelle. J’aimerais bien que tout le monde comprennent que les traumatismes ont un effet réel sur le sentiment de sécurité dans le monde et que ça n’a rien à voir avec eux personnellement…
Parfois ça se passe bien aussi. Il m’est arrivé une histoire plutôt bizarre (mais normale au fond… C’est juste que ça a fait bizarre parce que ce n’était jamais arrivé.). Il y a un homme à qui j’ai commencé à parler. Je ne le connais pas. Nous avons des intérêts en commun. C’est à peu près tout ce que je sais. J’avais vu qu’il avait le même nom et la même apparence globale (silhouette et non traits) que mon agresseur de quand j’avais 20 ans. J’avais noté le lien, mais je ne pensais pas vraiment que ça me dérangerait parce que pour moi c’était clair que ce n’était pas lui. Mais quand je l’ai vu en personne, les choses se sont passées autrement. J’ai eu un genre de crise de panique et plein de flashbacks que j’ai cachés en ne lui parlant pas tout simplement. C’était dans un endroit où il y avait beaucoup de gens. Je pense que c’est arrivé pour plusieurs raisons. Le fait que j’avais choisi de ramener mon agression à mon souvenir volontairement pour faire une sculpture au printemps dernier, le fait qu’ensuite les dénonciations m’ont empêchée de ne plus y penser… Ces deux éléments rendaient mon agresseur plus vivant dans ma tête.
Ça ne m’était jamais vraiment arrivé avant. Le plus proche de ça que j’avais vécu était quand, alors que j’étais en couple avec un poète polytoxicomane, je m’étais mise à voir la silhouette de mon agresseur se superposer à lui quand je le regardais. Ça faisait moins longtemps que c’était arrivé alors. À l’époque, j’avais fini par comprendre que, bien que mon copain ne lui ressemblait pas, il était quand même violent comme mon agresseur et que c’était ce que mon cerveau essayait de me dire en les superposant comme ça. Par contre, là, je ne pense pas que c’est ça. Je n’ai aucune raison de le croire en tout cas. Cet homme ne m’a rien fait de mal. Je pense que la ressemblance est accidentelle et que puisque quand je l’ai vu il était dans la pénombre, ça a fait qu’il lui ressemblait plus.
Je me sentais quand même mal de ne pas lui avoir parlé et j’avais peur de l’avoir blessé, donc j’ai fini par lui dire. Ça me stressait quand même pas mal… c’est difficile à dire à quelqu’un… mais il a plutôt bien réagi. Après, j’ai décidé de retrouver mon agresseur sur Instagram. Il n’était pas question que je le laisse recommencer à me hanter et à conditionner mon rapport aux autres. Je ne l’avais jamais laissé m’empêcher de vivre. Je n’allais pas commencer maintenant. J’ai regardé son visage et son apparence maintenant. Il a vraiment changé. Pas en bien. Je l’ai comparé à des images de l’autre et ils se sont séparésdans ma tête. En tout cas. Je pense que ça a fonctionné et qu’ils ne se ressemblent plus pour moi.
J’ai dit à l’homme qui avait eu le malheur de lui ressembler que c’était réglé. Je ne sais pas ce que ça lui a fait. Peut-être rien. Peut-être un peu bizarre. J’espère que ça ne lui a rien fait de trop grave. Je verrai s’il m’en reparle. Je n’ai pas posé de questions. Je trouvais ça assez lourd comme ça. Ce n’était pas de sa faute. Juste un hasard malheureux. Mais c’est ça les traumatismes… même si on règle tout ce qu’on peut rationnellement régler, on ne sait jamais ce qui va faire que ça va remonter en nous, partiellement ou complètement. Je suis quand même fière de moi d’avoir appris à réagir vite et à confronter ces mauvaises expériences quand elles reviennent.
Pour ce qui est de la peur des autres qu’il me reste, je pense qu’il faut que je continue à travailler et faire de nouvelles expériences. J’ai un retour d’envie de rencontrer des personnes, c’est déjà ça. J’ai aussi récemment confronté une femme qui est en bonne partie à l’origine du harcèlement que je vis au travail depuis sept ans… Je ne pense pas qu’elle a trouvé ça drôle que je lui remette son hypocrisie à la figure comme ça. Il était plus que temps. Je suis courageuse, parfois.
À plus!
