Il y a quelques semaines, je regardais la deuxième saison de Top of the Lake, de Jane Campion (que j’adore), intitulée China Girl. À un moment de l’intrigue, l’héroïne imparfaite de la série, Robin, qui est une policière tourmentée jouée par Elisabeth Moss (que j’adore aussi), se fait attaquer par le petit ami de sa fille. Celui-ci se jette sur elle et lui mord le nez jusqu’à la faire saigner. Il essaie de le lui arracher pour la défigurer parce qu’elle est belle et pas à lui. Au moment où les personnes venant à son secours finissent par décrocher l’agresseur du visage de la femme, sa fille s’empresse de crier : « Ce n’est pas de sa faute ! Il a été maltraité durant son enfance ! ».
Mon cœur s’est arrêté.
Il y a, dans cette scène, une sorte de métaphore d’une conception de l’amour que je déteste, mais qui est très présente socialement. Durant toute la saison de la série, on voit se dérouler la dépendance amoureuse de Mary, la fille de la policière. Mary, à sa défense, n’a que 17 ans, bientôt 18, durant les évènements qui prennent place durant la série. C’est donc en partie normal qu’elle ait une vision de l’amour dénaturée et un peu malsaine… On l’entend dire à sa mère que si elle enquête sur son copain (qui est en fait un proxénète qui profite de nombreuses femmes de différentes origines asiatiques dans sa maison de prostitution), elle (Mary) n’aura pas le choix de lui dire puisqu’elle l’aime.
C’est quelque chose dans cet amour-là, qui m’embête. Dans cette idée encore très répandue qu’on a que l’amour est quelque chose qui nous dépasse et contre quoi on est complètement démuni…. Alors qu’en fait, ce n’est pas vraiment le cas, mais nous vivons dans un monde qui nous encourage à croire cela. C’est l’excuse qu’utiliseront de nombreux agresseurs pour justifier leurs actes : « Mais je l’aime trop ! Je n’ai pas pu me retenir » (phrase très commune dans les abus d’autorité et de mineurs…) et c’est la même excuse qui sera utilisée par la personne qui reste avec quelqu’un qui la maltraite : « Je l’aime encore ! Je ne peux rien faire ! ».
C’est faux.
Il y a, dans cet abandon devant un sentiment faussement nommé amour, quelque chose qui m’attriste et quelque chose que je comprends en même temps. Je reste humaine, mais je n’ai plus de patience.
J’écris à ce sujet, parce que récemment, j’ai mis fin à une amitié qui était importante pour moi à cause de ce genre de situation. Un ami a commencé une nouvelle relation et est complètement disparu du jour au lendemain. J’ai beaucoup de difficulté avec ce type de comportement et pas beaucoup de respect pour les personnes qui le font.
Entre l’âge de 16 à 18 ans, j’ai été comme ça aussi. Quand j’étais avec S… celui de Je connais la musique, nous avons passé deux ans à être, arrêter d’être, retourner en relation… et quand je n’étais pas avec, j’étais complètement obsédée par lui. À la fin de la relation, ce qui m’a frappée en premier, ce n’est pas à quel point je m’étais manqué de respect, mais à quel point j’avais été méchante, blessante et irrespectueuse envers mes amis en mettant ce lien que j’avais avec lui au-dessus de mes amitiés qui duraient depuis plusieurs années. J’ai compris ça quand j’avais 18 ans… alors me retrouver à 38 ans devant des personnes qui n’ont toujours pas compris ça et ne le comprendront peut-être jamais, ça m’énerve.
Durant toute mon adolescence, mon amie C… était comme ça. Elle dépendait complètement des filles dont elle tombait amoureuse et quand elle commençait une relation, elle disparaissait du jour au lendemain. Des semaines, des mois, voire des années. Bien entendu, elle tombait toujours amoureuse de femmes violentes… Après, quand elle n’en pouvait plus d’être dans cette relation, nous devions automatiquement réapparaître et être ses amis… et aller chercher ses choses chez la violente terrorisante, bien sûr… sans appeler la police. Elle est encore avec une violente d’ailleurs… mais j’ai arrêté de lui parler.
J’ai eu des amis masculins qui font ces choses aussi.
J’ai aussi eu, plus récemment, une autre amie comme ça pendant une bonne partie de ma trentaine. Aussitôt qu’une fille lui plaisait, elle disparaissait de la surface de la terre. J’étais très proche de cette femme et, comme je suis introvertie et que j’avais tendance à toujours me contenter d’un ou deux amis proches (ce qui est un de mes problèmes sur lequel je travaille encore à ce jour) à chaque fois qu’elle disparaissait, ça faisait un trou énorme dans ma vie. Et après elle réapparaissait et voulait reprendre sa place dans ma vie et être aussi importante qu’avant. Le fait que son comportement m’avait fait souffrir et plongée dans une solitude inattendue et imméritée (Elle ignorait mes messages quand elle était amoureuse, comme si je lui avais fait quelque chose ou si je n’avais aucune importance), ça, ça ne lui traversait absolument jamais l’esprit. À la fin, elle a eu une relation plus longue que les autres. Elle est disparue pendant deux ans. Au début, j’étais patiente. Je l’aidais. Ces personnes veulent que vous les aidiez à régler leurs problèmes de couple, mais ignoreront tous vos besoins qui n’ont rien à voir avec leur relation. Elles prendront aussi votre aide pour acquis. Au bout de deux ans, je me suis tannée. À la fin, on devait aller voir un spectacle ensemble au théâtre et elle avait échangé son billet sans me le dire et avait invitée sa copine avec qui elle était maintenant assise au lieu d’être avec moi… et elle avait ignoré mes messages avant la soirée, ne me répondant qu’une fois arrivée au théâtre. Ça m’a dégoûtée. Je déteste les couples fusionnels, mais j’y reviendrai… Je l’ai sortie de ma vie, elle aussi. Ça faisait trop de manque de respect.
Là, avec cet ami, il est arrivé un peu la même chose. Je l’ai réconforté parce qu’il était super anxieux au début quand il commençait à la fréquenter. Je l’ai écouté. J’ai dit et fait des choses pour le rassurer. Il disparaissait de plus en plus. Il ne comprenait plus rien aux conversations que visiblement il ne suivait pas parce qu’il textait la femme qu’il avait rencontré au lieu de me parler et me répondait des choses bizarres et parfois insensées. Il s’est passé plein d’autres choses que je raconterai dans un autre billet, mais à la fin, alors que je lui racontais en textant quelque chose qui était arrivé qui m’avait vraiment blessée, il m’a interrompue en plein milieu en me disant qu’il venait d’arriver chez sa blonde et n’avait pas le temps de me parler (chose qu’il n’avait indiqué à aucun moment auparavant). Mon cerveau m’a dit : « Oh non ! Pas encore un autre comme ça ! » et je me suis fâchée et je l’ai sorti de ma vie (pour d’autres raisons aussi que j’expliquerai ailleurs).
Je n’ai pas fait ça de façon très élégante. C’était drôle, mais pas vraiment élégant ni poli, non… mais je n’en peux vraiment plus de ces situations. Il s’est ensuite mis è me dire que ce genre de manipulation n’avait aucun effet sur lui, chose que j’ai trouvée profondément insultante et triste. Si c’était éventuellement possible de pardonner son comportement en relation, cette insulte-là ne l’était pas. Cette phrase, elle m’a montré que la personne que je croyais être mon ami tout ce temps n’avait aucune idée de qui j’étais ou ne voulait pas le voir à ce moment. Je passe ma vie à lutter contre la violence psychologique. Je le fais au travail en enseignant des livres qui y sont liés, je le fais en thérapie et je le fais en création… Manipuler les autres, c’est quelque chose que je m’interdis formellement. Le pire que j’ai fait cette année c’était de dire à quelqu’un « à bientôt » parce que j’espérais que la personne réponde vite et après j’ai fait de l’insomnie parce que je me sentais mal… Manipuler quelqu’un, c’est vouloir l’influencer à faire quelque chose. En le sortant de ma vie, je faisais le contraire de ça. Je disais au contraire que je renonçais à obtenir quoi que ce soit de lui. Je sais que certaines personnes font du chantage affectif en disparaissant, mais s’il avait eu la moindre idée de quel genre de personne je suis et s’il avait pensé au fait que jamais de sa vie il ne m’a vue faire ça à qui que ce soit, il aurait compris que son interprétation était erronée. Aussi, si j’étais la fille et qu’un gars que je commence à fréquenter me disait qu’il n’a pas le temps de parler à son amie de longue date qui souffre parce qu’il est chez moi, je ne serais pas capable d’avoir confiance en lui et je le câlisserais à la porte de ma vie assez rapidement merci.
Il fallait que je me rende à l’évidence : mon ami préfère me regarder me faire arracher le nez par son idée maladive de ce qu’est l’amour et ensuite prétendre qu’il n’a pas le choix, parce qu’il est amoureux. C’est faux. On a toujours le choix. Je n’ai jamais perdu de vue mes amis dans aucune relation après celle que j’ai mentionnée plus tôt. Même dans mes relations où il y avait de la violence, je préférais me faire engueuler plutôt que de couper les ponts avec mes amis. Les amis ne sont pas des bouche-trous entre les relations. Ils sont importants et souvent plus fiables que les nouveaux amours.
Après cette histoire, j’ai pris un café avec une amie qui m’a raconté qu’un homme qu’elle connaissait et qui avait été son ami pendant 18 ans l’avait chassée de sa vie à la demande de sa nouvelle blonde avec qui il était depuis deux semaines… Horreur. Incroyable. À quel point il ne faut pas s’aimer pour faire ça ?
Il n’y a pas de relation saine qui demande de s’isoler à deux… Je sais que beaucoup de gens font ça, mais ça m’effraie. Je les ai en horreur, ces relations fusionnelles. Je ne veux pas une relation refuge pour me cacher du monde. C’est une relation fondée sur la peur, ça. Ça ne m’intéresse pas. Je préférerais toujours rester seule si c’est la seule option… mais il y a d’autres façons d’aimer. Je veux une relation qui me donne la force de m’ouvrir plus au monde et à diverses expériences.
Notre conception de l’amour est aussi tristement institutionnalisée que le reste de nos façons de vivre, mais elle est déguisée sous le masque de la passion amoureuse, un masque séduisant qui a pourtant quelque chose de fondamentalement aliénant et qui est mal compris. Il y a de la violence conjugale dans plus que la moitié des relations amoureuses à Montréal. Quelque chose est profondément malsain dans notre façon de concevoir l’amour.
J’en reparlerai plus tard.
Je suis une révolte sans fin.