Estomaquée

La première fois que je me suis rendue compte que j’avais vécu une relation violente, j’étais dans mon salon en état de choc, en train de me baver dessus sur le sofa, incapable d’arrêter de pleurer en plus.

Je me suis dit que là, quelque chose n’allait vraiment pas.

Je serais un peu plus tard diagnostiquée comme souffrant de stress post-traumatique. Le même que les soldats, oui… J’y reviendrai.

On pourrait alors penser que j’avais vécu quelque chose de spectaculairement violent.

Non.

Et oui, en même temps.

Mais c’était une violence qui n’était pas visible à première vue. Je n’avais pas de marques. Personne n’avait vu mon agresseur agir. Mes amis de l’époque (qui n’ont plus été mes amis après pour certains) le trouvaient même plutôt sympathique.

Mais revenons à l’histoire : je venais de sortir d’une relation avec un professeur (pas mon professeur, unprofesseur…). Il avait subitement réalisé qu’il était supposément encore amoureux de son ex.

Cette réalisation avait pratiquement eu lieu suite à une conversation particulière que nous avions eue la veille.

Il m’avait dit :

« Parfois, quand je pense à l’avenir, j’ai l’impression que tu ne survivrais pas si je te laissais ».

Ça m’a fait comme un coup de poing dans le ventre. Tout l’air m’est sorti du corps. J’ai déjà eu un coup de poing dans le ventre quand j’étais enfant, à l’école primaire. J’avais dit « Je t’aime. » à un garçon qui ne voulait clairement pas être aimé, ou plus probablement ne savait pas comment.

C’était pareil, même si le coup n’était qu’en parole.

Je me suis mise à pleurer à cause du choc et du sentiment d’absurdité.

Quand j’ai pu parler, j’ai répondu :

« Maintenant c’est moi qui ne sais pas comment je vais faire pour t’aimer. Ce que tu viens de dire est tellement prétentieux. On dirait que tu ne me connais pas. J’ai survécu à une agression sexuelle ! C’est clair que je survivrai à une rupture avec toi ! »

Il a répondu qu’il n’avait pas pensé à ça…

Je me suis endormie ce soir-là très tard et très perturbée. J’étais à la fois terriblement en colère, mais aussi déçue et triste parce que j’avais eu l’impression que cette histoire était sur la bonne voie.

J’avais de la difficulté à penser et à parler.

J’étais dans un genre d’état de choc, j’imagine.

Ça m’arrive souvent lorsque quelqu’un dit quelque chose qui me semble inconcevable de connerie ou de fausseté. Aussi quand je me rends compte qu’une personne que je croyais proche n’a aucune idée de qui je suis, en fait, et n’a donc rien retenu de tous les échanges que nous avons eus.

Tout ce temps perdu a quelque chose d’atterrant.

Ce sont de bonnes raisons pour rester figé, au moins un temps, dans une forme d’incrédulité triste, dans une sorte de sidération, qui exprime en partie la ténuité des liens dont on croyait qu’ils nous unissaient à l’autre.

Le lendemain matin, il m’annonçait qu’il pensait encore être amoureux de son ex… C’était peut-être vrai. Peut-être pas. Ce n’est pas important maintenant. Je n’en voudrais plus et mieux vaut qu’il reste le plus loin possible de moi, même si je ne le souhaite à personne, lui.

Je n’ai effectivement pas eu de nouvelles depuis des années. Je l’ai croisé une fois dans le parc pendant que je courais le matin. Il m’a regardée et s’est mis à rire comme si j’étais la personne la plus ridicule du monde, ne faisant ainsi que prouver que je le trouble encore pour des raisons qui lui appartiennent et ne me concernent plus vraiment.

Je pense souvent à elle, la fille avec qui il est retourné, même s’il m’avait appris à la détester, bien sûr. J’ai dépassé ça. J’espère qu’elle va bien. J’espère qu’elle arrive à respirer, à ne pas mourir plus rapidement sous son poids à lui.

Vous me direz que c’était juste un cave… C’est vrai. Il reste que ce n’est pas le genre d’explications qui satisfont mon cerveau hyperactif.

Pas alors. Pas maintenant. Probablement jamais.

Je ne fonctionne pas comme cela. C’est tout.

Alors j’ai tout décortiqué, tout analysé.

Je l’ai fait pendant des années.

J’étais déjà en thérapie pour d’autres raisons.

J’y étais aussi pour ces raisons-là, mais je ne le savais pas.

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