Je pense que quand j’ai commencé à travailler à cet endroit, j’étais encore assez naïve par rapport aux humains et à la société. J’avais de l’expérience de vie contrairement au préjugé que les gens ont souvent que les doctorants n’ont pas de vie… mais en même temps je ne peux pas dire que c’est une expérience si commune. Je vivais aussi déjà beaucoup de solitude mais j’avais quand même certaines personnes (ne serait-ce que les enseignants) qui avaient des idées et des dispositions plus proches. Je pensais que je trouverais ça dans plus de personnes quand je commencerais à enseigner, mais ce n’est pas ce qu’il s’est passé.
Je ne parle pas de choses dont tant de gens veulent entendre parler, mais ça, je ne le savais pas. Pas parce que ce n’est pas intéressant, mais plus souvent parce que les gens ne veulent pas voir que cela existe… mais moi c’est ma vie, c’est ce que j’ai connu… et donc j’en parle. Je pensais que la société était rendue plus loin dans les connaissances sur la violence, incluant les agressions sexuelles. Au lieu de trouver de l’accueil, j’ai trouvé de l’impatience, du déni et de la victimisation secondaire… et ça m’a fait mal. Très mal. Ça m’affecte encore tous les jours où je dois aller travailler. Mais cette situation existe aussi en dehors de mon travail bien sûr.
Il y a eu trois ou quatre féminicides dans les deux dernières semaines. C’est épeurant. Un des hommes avait été arrêté seize fois pour bris de conditions… Pouvez-vous me dire comment ça se fait que les gens n’ont pas compris que cette femme-là n’était pas en sécurité? Êtes-vous encore surpris que la police n’aie pas fait grand-chose pour mon harceleur? Allez-vous arrêter de faire honte aux femmes de ne pas arriver à se sortir plus facilement de ces situations?
Quand j’ai été engagée je ne savais pas encore tant de chose sur le HPI. Je suis en fait encore en train de comprendre ce que ça signifie comme écart entre moi et les autres. Je le savais encore moins à l’époque et en fait à ce moment je me pensais inférieure aux autres. Je ne me pense pas supérieure aux autres maintenant, non. Par contre je constate les différences et honnêtement je ne sais pas toujours comment vivre avec cet écart. Ça me fait peur de penser qu’il sera toujours là avec tellement de gens. Je pense que j’ai un deuil à faire sur ce plan.
Je pense aussi que je dois chercher vraiment plus fort des personnes qui me ressemblent un peu plus. J’en ai marre de ne pas pouvoir partager plus. J’en ai marre aussi que les choses qui m’intéressent fassent peur à tant de gens. Ce matin j’étais super enthousiaste que trois crimes anciens ont été résolus grâce à la généalogie génétique. J’ai trouvé quelqu’un à qui en parler mais après j’ai passé la journée à me demander si ça avait été trop troublant pour cette personne.
Je ne peux plus vivre comme ça. Je suis encore en pleine tempête de ma crise de sens et je ne sais toujours pas ce que je veux faire ni où je veux vivre.
Je saurai cependant bientôt comme filer les poils de chiens:
