Ce matin je semble être pas mal tombée dans l’œil d’un beau joggeur alors que je promenais Cassius au parc. Il a ri, gêné, quand il a vu que j’avais compris qu’il me regardait et m’a fait un signe de tête. Pour la première fois depuis longtemps, je ne me suis pas sentie effrayée. Je n’étais pas super à l’aise non plus même s’il avait l’air gentil et respectueux. Ça peut en rester là, mais je voulais quand même noter le plaisir que j’ai ressentie pas tant à être ainsi remarquée, que de pouvoir constater le changement qui commence à s’opérer en moi. L’absence d’envie de fuir.
Puis nous sommes rentrés et j’ai continué à travailler sur mon livre. J’ai parcouru les journaux, de quelques mois avant que je quitte Québec jusqu’à deux mois après mon arrivée à Montréal. Je suis passée par toutes sortes d’émotions. J’avais toujours pensé que l’effondrement que j’avais connu à mon arrivée ici était seulement lié au fait de sortir d’un milieu violent. Le fait de ne plus être constamment surveillée et contrôlée a tendance à produire une forme de dépression chez la personne qui quitte le foyer de la violence. J’avais été quand même assez méchante et honteuse face à l’état que j’avais alors connu. J’ai réalisé que la situation était en fait beaucoup plus complexe que ça, mais que j’en avais toujours fait abstraction dans mon interprétation par la suite.
Avant de partir de Québec, j’avais subi des abus de la part d’un professeur de cégep. J’avais reçu une déclaration d’amour d’un poète d’une quarantaine d’années qui ne voulait pas que je parte. J’avais reçu une autre déclaration d’amour d’un ami d’un de mes exs qui était accro à l’héroïne et ressemblait à Sid Vicious que j’avais eu la présence d’esprit de ne pas laisser m’approcher même s’il dégageait une infinité d’amour et de douceur. Je voyais un homme qui partirait pour l’Australie presque en même temps que je partirais pour Montréal et dont j’étais tombée amoureuse même si je n’étais promis de ne pas le faire. Je réaliserais aussi que certains amis étaient fâchés de mon départ et me feraient comprendre assez brusquement que maintenant ma vie était ailleurs et non avec eux. Tout cela en plus d’avoir peur de partir de chez mes parents pour la première fois et de commencer l’université dans une ville bien plus grande où je ne connaissais personne et où je serais agressée sexuellement huit mois après mon arrivée. Je ressens et revois l’appartement comme si c’était hier, avec son horrible vue donnant sur le Métropolitain.
Je suis restée ébahie devant la force qu’il m’a fallu déployer pour traverse toute cela. 23 ans plus tard, je ne sais pas vraiment comment je ferais pour gérer tout cela si ça arrivait maintenant. J’ai été fière de la petite moi, malgré sa déprime. Celle qui s’imposait 30 heures de lecture par semaine en plus de travailler et d’aller à ses cours dans un contexte qui aurait brisé plus d’une personne. Je me suis sentie pleine d’amour et de respect pour moi. J’ai compris aussi que je suis toujours plus forte que je pense et que les autres le pensent. La vie pourrait quand même me donner un break, oui…
J’ai aussi compris que je n’étais pas seulement déprimée. Maintenant que j’ai plus de recul et de connaissances, je peux les identifier clairement, les signes que je souffrais déjà de stress post-traumatique à l’époque. Comme cela paraît dans l’extrait du journal que j’ai mis dans le billet précédent, celui avec les incessantes pensées envahissantes. Je trouve dans ces constatations plus de respect pour moi et pour toutes les versions qui l’ont précédée et ça me fait du bien. Je me vois autrement. Ça me donne confiance pour la suite.
Plus tard dans la journée, j’ai raconté tout cela à mon psy. Je lui ai parlé aussi du nouveau rêve secret que j’ai identifié. Il a trouvé que c’était une idée originale, brillante et porteuse. Ça m’a fait plaisir. Je sais que j’ai quand même plusieurs étapes à franchir avant d’y arriver. Mais maintenant je crois plus en moi et je sais que d’autres le font aussi.
Après je suis allée me faire masser et maintenant je vivote, zen, sur le sofa avec les petits qui dorment à côté et les fenêtres enfin ouvertes. Malgré toutes les horreurs que j’ai traversées, je la trouve belle, la vie. Je n’oublierai plus ma force.
